Avelsinn
Entretien avec Nass Hassani
et Florian Genilleau
CMTRA : « Avelsinn », un néologisme
?
N.H : Oui. Avel signifie “le vent” en
breton et “Sinn”, deux, en berbère.
Avelsinn, c'est donc deux vents, deux
courants différents qui se rencontrent,
deux personnes dépositaires de patrimoines
musicaux. Pas des patrimoines
ethniques dans le sens où « on ne joue
pas forcément d'où on vient, » Avelsinn
fait se rencontrer deux sensibilités
musicales qui ont en commun l'amour
des instruments acoustiques et des
répertoires traditionnels.
Comme quoi, un musicien maghrébin
comme toi ne joue pas que la
musique de son pays... Ouf !
Bien sûr ! C'est même une forme de
résistance : ce n'est pas parce que je
suis magrébin que je dois me cantonner
à chanter ma culture d'origine.
Comme le disait J.Baez : “You don't
have to be black to sing the blues...”
Je continue à jouer la gasba, instrument
particulièrement emblématique
de ces cultures et d'écrire des textes en
raï traditionnel. Mais ma pratique des
musiques irlandaises, comme des folk
song américaines, m'a aidé à enrichir
ma façon d'aborder les répertoires du
Maghreb.
Et donc, les répertoires d'Avelsinn ?
N.H : Nos répertoires sont traditionnels
par leur ancrage à une culture, une
histoire et un contexte. Quand on parle
de musique traditionnelle irlandaise,
aussi vaste soit-elle, on sait de quoi il
s'agit. Elle vient d'une île, l'Irlande,
oscille entre une forte culture de l'instrumental
et du vocal. Elle est aussi le
fruit d'une histoire particulière liée à
l'évolution des contextes sociaux et
politiques.
La musique irlandaise ne
serait pas ce qu'elle est si les Irlandais
n'avaient été empêchés de parler -et
donc de chanter- en gaelic, et s'ils
n'avaient pas refuser de le faire en
anglais au cours des 18 et 19èmes siècles,
périodes intenses de résistance à
« l'envahisseur ». De même, la tradition
maghrébine a certaines spécificités
rythmiques que l'on exploite. On
les reprend avec une marge liberté certaine
par l'arrangement et la création.
Comment avez-vous rencontré ces
répertoires ?
N.H : Pour ma part, j'ai appréhendé le
répertoire irlandais au Maroc avec
mon professeur d'anglais qui nous a
fait écouter quelques morceaux. J'ai
ensuite fréquenté les pubs et les sessions
en Angleterre où j'ai commencé
à pratiquer le bodhran, instrument qui
me rappelait bien entendu le bendir ou
le duff.
Pas étonnant lorsque l'on sait
que ces instruments tiennent leur
origine commune dans le tamis que les
travailleurs renversaient lors des
pauses et transformaient par la même
l'outil de travail en percussion.
F.G : Moi j'ai abordé la musique par
le classique et découvert par hasard la
harpe celtique. Je me suis alors intéressé
aux musiques bretonnes, celtiques,
et suis monté en Bretagne régulièrement
pour des stages ou des
concerts. Aujourd'hui, je joue la harpe
celtique sans la restreindre à ses répertoires
de prédilection mais au contraire
en l'élargissant, à des tonalités arabisantes
par exemple.
Encore un projet de métissage ?
N.H : Je me méfie beaucoup de ce
terme parce qu'historiquement, il est
connoté très négativement. N'oublions
pas son contexte d'apparition en Amérique
du Sud où les métissés sont nés
d'une campagne de viols organisée par
les colons. Et puis, j'estime que moi même,
je suis métissé !
Même si un heureux glissement
sémantique s'est opéré à tel point qu'il
est devenu valorisant de parler et de
produire du métissage, je préfère de
loin replacer la notion de “rencontre”
au coeur de la musique d'Avelsinn. En
l'occurrence, lorsque j'ai rencontré
Florian, je ne me suis pas posé pas la
question de savoir d'où il était originaire.
Ce qui est intéressant, c'est son
parcours, sa « nourriture musicale. »
Sur la première piste du CD, on
reprend Jimmy Mc Carthy avec la
harpe, la derbouka qui fait un rythme
d'Alger (Chaâbi) et le bodhran qui fait
un rythme de Fès. Le premier métissage
est d'abord rythmique. Pour
autant, on ne calcule rien. On joue également
« les routes de l'inexil, » thème
qui m'a d'abord inspiré un texte sur la
guerre civile en Espagne avant d'y
ajouter un rythme turc.
Le plus important,
c'est l'instrument que tu pratiques
puisqu'il est à la base de la création et
le patrimoine musical que tu portes.
Après, la rencontre fait le reste.
Votre album ?
N.H : On en avait envie depuis notre
rencontre mais je ne pensais pas que
c'était « bon » de partir avec une
maquette quelconque et de s'embarquer
à faire des dates trop rapidement.
Nous avons donc privilégié le temps
d'élaborer notre musique afin de partir
réellement avec le CD et le spectacle
que nous avons testé plusieurs
fois. Je suis convaincu que le répertoire
vit grâce au spectacle vivant,
c'est indéniable, mais aussi grâce à
l'enregistrement. Ce CD représente
donc plusieurs années de travail autour
d'un répertoire à écouter, assez intimiste.
Maintenant, on est partant pour
la scène, convaincus que cet album
valorisera notre musique.
Propos recueillis par J.S.E.