Les enchantêtues
Le goût du voyage
Voyage ethnopoétique en
compagnie des Enchantêtues à
travers les mélodies, les sons et
les langues du monde entier,
percussions vocales tsiganes,
chants d'amour bulgares, jeux
respiratoires malgaches...
Entretien avec Lilia Ruocco.
CMTRA : Peux-tu nous présenter
« Les Enchantêtues » ?
Pour faire simple, les Enchantêtues,
c'est un groupe qui réunit quatre
femmes et un percussionniste, et qui
s'est donné comme projet d'explorer
les chants du monde. Le groupe est né
en 2000 à Paris avec la rencontre de
trois chanteuses-comédiennes à
l'école du Samovar. En travaillant
ensemble là-bas, elles ont eu envie de
continuer toutes les trois en construisant
ce projet.
Elles ont commencé à partager des
chants qu'elle connaissaient, des
patrimoines personnels fabriqués au
gré des rencontres, des voyages, ...
Juliette a par exemple beaucoup
voyagé dans les pays de l'Est et
notamment en Hongrie et en Roumanie.
En prise directe avec les contextes
de création et d'apparition des chants
traditionnels, elle s'est petit-à-petit
forgé son répertoire, son bagage
musical qu'elle a souhaité mettre à
disposition de ce projet en le transmettant
aux autres filles.
Cette démarche constitue d'une
certaine façon la raison d'être des
« Echantêtues » puisque chacune
d'entre nous, à des degrés divers, s'est
frottée à des répertoires et les réinjecte
dans nos créations.
Les Enchantêtues, c'est donc une mise
en commun de répertoires personnels
glanés ici ou là et qu'on « soumet » au
travail artistique d'interprétation et
d'arrangement à notre façon.
Actuellement, on travaille par exemple
un morceau que Juliette a appris d'une
petite fille de la rue. Elle l'a tout simplement
gardé dans sa mémoire et
nous l'a ensuite proposé. Notre
recherche consiste donc à intégrer ces
répertoires qui peuvent venir d'absolument
partout. De mon côté, je suis
italienne et ai été bercée des chants
traditionnels de ce pays que je mets à
disposition du groupe. Au-delà de ces
chants transmis directement par l'origine
de chacune de nous, par ses
voyages et son expérience, il y aussi la
volonté de se saisir de chants qu'on est
amené à écouter, à découvrir au détour
d'un concert, d'un stage,...
Le tout est de faire passer ces chants au
filtre de notre identité particulière et de
les rendre « enchantétesques » d'une
certaine façon. De ce côté, les
méthodes de travail entre nous sont
assez libres et revêtent plusieurs
formes. Par exemple, l'une peut proposer
au groupe un arrangement
qu'elle aura, au préalable, imaginé,
conçu et travaillé seule avec un multipiste.
Ou bien l'arrangement sera travaillé
de façon collective à partir de
moments d'improvisation qui peuvent
aussi bien exister dans un cadre de travail
et de répétition, que survenir dans
des moments de vie quotidienne où la
spontanéité et les tentatives parfois
farfelues peuvent faire émerger des
idées intéressantes.
Si elle en est une, notre tradition à nous
consiste à se laisser surprendre par les
chants, à se laisser saisir par les émotions
qu'ils procurent. Et c'est de cette
façon qu'on les choisit bien souvent.
Sur notre CD, il y a ce fameux morceau
transmis par une petite fille de la
rue dans lequel on a vraiment plongé
par le biais de l'émotion qu'il nous
procurait, sans forcément en comprendre
l'exacte signification du point
de vue linguistique notamment,
puisque les tentatives de traductions se
sont avérées insatisfaisantes. Il y a
quelque chose de mystérieux dans
cette façon d'aborder la musique sans
chercher systématiquement à la
contextualiser, à savoir d'où elle vient,
ni même ce qu'elle raconte parfois, ...
On est résolument dans une démarche
artistique très libre, très décomplexée
et pas du tout dans une démarche de
musicien ethnomusicologue guidé par
un souci de rigueur scientifique.
Quelles traditions musicales
visitez-vous dans le voyage
« ethnopoétique » autour du
monde que vous proposez ?
Notre répertoire comporte beaucoup
de chants européens issus de cultures
très différentes cependant, avec un
répertoire important provenant d'Europe
de l'Est, de Roumanie, de Hongrie,
de Bulgarie mais aussi de Finlande...
Nous explorons également
des chants provenant du Mexique ou
encore d'Afrique (et du Mali) mais
aussi de Mongolie. Daphné est particulièrement
sensible au chant mongol
et travaille énormément autour des
techniques vocales du chant diphonique
qu'elle nous transmet dans les
Enchantêtues, sans faire de nous pour
autant des spécialistes de cette technique
vocale très complexe.
L'arrivée
du percussionniste a également
apporté des sonorités particulières et
notamment indiennes avec l'intégration
des tablas dans un certain nombre de
morceaux.
Le choix des chants dépend donc intimement
de ce que chacun apporte. Il
ne nous est jamais venu à l'esprit par
exemple d'aller chercher un chant
latino-américain sous prétexte que...
on n'en a pas dans notre répertoire ! Le
choix des chants est guidé par l'émotion,
le sensible, plus que par la
volonté de construire un répertoire
exhaustif ou représentatif. Même si je
suis italienne et que j'ai beaucoup
travaillé les répertoires italiens, on n'a
par exemple pas encore intégré ces
répertoires dans notre CD.
Un autre trait commun de ces chants,
même si ce n'est pas une condition
impérative, c'est qu'ils racontent bien
souvent des histoires de femmes qui
sont -qui plus est- chantées et racontées
par des femmes... Cela montre,
encore, que finalement, nous partons
de ce qui nous touche, ce qui résonne
en nous et ce qui nous émeut, y
compris et surtout en tant que femmes.
Bien des artistes ne se consacrent
qu'à un répertoire en particulier
sans jamais parvenir à « en faire le
tour » d'ailleurs... Pourquoi avoir
opté pour cette diversité ?
On travaille beaucoup sur l'improvisation,
cela pour dire que notre socle
commun, c'est le goût de la recherche
vocale. Dans cette perspective, toutes
les traditions nous amènent à travailler
la voix, le corps de façon très différente.
C'est donc le goût de la différence
qui nous anime et qui fait sens
dans notre démarche : les Enchantêtues,
c'est d'abord un groupe de
« voyageurs des sons ».
Notre curiosté nous pousse à s'intéresser,
à aller piocher partout où il est
possible de trouver une technique, de
l'exploiter artistiquement. Nous
sommes particulièrement fascinés par
les jeux de respiration des Esquimaux.
L'enjeu consiste en fait à répondre aux
questions suivantes : comment se saisit on
des techniques vocales ? Comment
les combine-t-on ? Jusqu'où peut-on
aller dans les croisements ou la juxtaposition
des timbres ? Des atmosphères ?
Cette recherche est aussi intéressante
que complexe, et risquée. Insérer des
tablas dans un chant tsigane ne va pas
de soi. Seule la liberté artistique qui
nous habite par rapport aux traditions
et aux répertoires puisés nous permet
d'oser. Il est d'ailleurs parfois difficile
pour certains d'entre nous d'entendre
certains arrangements et de s'emparer
réellement de certains croisements.
Quand le percussionniste a proposé
d'intégrer un rythme rock à un chant
tsigane, j'ai personnellement mis
beaucoup de temps à ressentir le résultat
et de surcroît à en cerner l'intérêt.
D'une certaine façon, nous sommes
dans une double logique de métissage.
Métissage externe d'une part, parce
que notre projet, c'est d'aborder des
chants issus d'aires culturelles
différentes et variées. Métissage
interne d'autre part, parce que dans
chaque morceau, nous allons faire
s'entrecroiser des techniques, des jeux
qui proviennent de différentes traditions
vocales. Juliette a par exemple
composé un chant qu'on caractérise de
blues pygmée en intégrant les techniques
de chant pygmé à des grilles et
des tonalités blues. De la même façon,
on chante un thème arménien qui est
support à des improvisations selon des
modes indiens.
On se permet ce type de recherche en
essayant de prendre de la distance en
posant la question de sa cohérence
artistique à la réécoute.
Comment organisez-vous ces
chants dans le cadre du concert ?
On tente au maximum de créer des
atmosphères qui peuvent permettre à
chaque spectateur d'accéder aux émotions
qui sont à l'origine. Pour cela, on
intègre des histoires, des textes qui
entrent en résonnance avec les chants.
On s'imprègne, on expérimente et on
se retrouve par exemple à intégrer des
passages de Shakespeare alors qu'on
ne l'aurait jamais imaginé. Nos chants
s'articulent autour d'un fil conducteur
littéraire qui contribue à rendre cohérent
notre parcours musical et qui fait
que le public se retrouve davantage
dans une dynamique de concert-spectacle
que de concert seulement. Nous
nous retrouvons d'ailleurs plus dans
cette idée dans le sens où nous interprétons
les chants comme des textes,
ce qui fait de nous des comédiennes.
Votre deuxième album sort cet
automne, qu'en diriez-vous ?
Même si je parle du premier CD en
tant qu'auditrice puisque je n'y ai pas
participé, il me semble qu'il est plus
abouti dans la recherche et la complexité
musicale, notamment avec l'intégration
des percussions.
Le premier
était assez « monocorde », sans grande
variation d'intensité. Dans celui-là, il
y a vraiment une gamme d'émotions
tout à fait perceptibles qui correspondent
bien à l'idée de voyage que l'on
développe, c'est un album très coloré.
Il sort cet automne après un an de travail
consacré à la création de cet objet.
On va désormais pouvoir se tourner
vers la scène avec, au préalable, un travail
de création qui risque d'être très
différent de celui effectué pour le CD.
Etant donné par exemple, que le percussionniste
ne pourra pas reproduire
sur scène tous les sons enregistrés en
studio. Nous travaillerons pour cela
avec un metteur en scène, notamment
sur la question des textes, du fil
conducteur et des « transitions. »
L'idée est donc de repartir le plus possible
sur les routes et d‘emmener le
plus de personnes possibles dans notre
voyage.
Propos recueillis par J.S.E
Contact
04 75 88 09 79 / 06 60 75 25 20
[lesench@hotmail.com->lesench@hotmail.com]
Le mas - 07600 Saint-Andéol-de-Vals.
Le groupe
est composé de :
Daphné Clouzeau,
Valérie Gardou,
Juliette Roussille
et Lilia Ruocco
(chanteusesinstrumentistes)
et Michaël Fernandez
(percussionniste).
dates :
sortie de l'album :
janvier-février 2007.