Pour la troisième édition consécutive, le CMTRA propose à ses lecteurs une chronique consacrée au quartier de la Guillotière, à Lyon, et aux travaux de recherche et
de collectage musical qui y sont menés par l'équipe...
Perspective historique des « Mémoires musicales de la Guillotière ».
Ces dernières années, la notion de
mémoire est devenue un sujet de
réflexion sur la ville et les liens qui s'y
tissent. Elle est également devenue un
mode d'intervention dans les espaces
urbains jugés en difficulté, une
manière de faire émerger les récits,
d'aborder les pratiques quotidiennes
ou rituelles et d'essayer de renouer des
dialogues.
Des projets associatifs ou
artistiques et des politiques publiques
se construisent sur ce thème, menaçant,
dans l'excès et la précipitation,
de le vider complètement de son sens.
Travailler la notion de mémoire dans
un quartier de ville induit une prise en
compte de l'histoire des lieux dans lesquelles
s'inscrivent les mémoires
énoncées par les habitants d'aujourd'hui.
Elle implique de penser les
mouvements, les événements, les
constructions sociales ou urbanistiques
qui s'y sont succédés.
Au-delà
de la connaissance, une perspective
historique offre une profondeur de
champs, une mise en abîme qui peut
être d'un grand recours pour appréhender
le présent. Elle peut également
permettre l'émergence de thèmes qui
entrent en résonance, esquissent la
trame d'un imaginaire partagé des
lieux. Reste à écrire, à réinventer les
liens, sans forcément chercher de
continuité ou de cohérence...
Tout au long de nos recherches à la
Guillotière, nous nous sommes attachés
à découvrir les univers sonores et
musicaux qui habitent le quartier, à
rencontrer les interprètes et essayer
d'entrevoir leurs mobiles, à identifier
les pratiques et les espaces dévolus à la
pratique musicale, aux ritualités collectives.
Ce sont ces mêmes interrogations
qui nous ont poussés dans les
salles claires et studieuses des différents
services d'archive, afin de
recueillir des éléments de la vie culturelle
et musicale de la Guillotière d'autrefois.
Le village, le faubourg, la ville puis le
quartier de la Guillotière ont toujours
constitué un territoire marginal par
rapport à la grande cité voisine.
Aux
portes de la ville, de l'autre côté du
pont, il a été le lieu d'accueil des refoulés,
des voyageurs et des indigents puis
un faubourg ouvrier avant de devenir
un quartier d'immigration. Si les activités
culturelles des élites se déroulaient
dans la presqu'île, la Guillotière,
était le lieu des fêtes populaires, des
cabarets, des maisons de jeux et de
plaisir, autant de pratiques jugées suspectes,
transgressives et menaçantes,
soumises à un contrôle extrêmement
soigneux des pouvoirs publics.
Au
19ème siècle, lors de certaines fêtes,
carnavals et autres défilés des brandons,
des panneaux étaient placardés
dans les rues du faubourg par les autorités,
qui énuméraient de manière
extrêmement détaillée les interdits et
les mesures de régulation mises en
oeuvre.
En 1832, lors de la promenade
de Saint-Fons, le Maire de la Guillotière
énonçait ainsi : « Il est défendu à
toute personne masquée, travestie,
déguisée ou non de chanter, débiter
et vendre sans autorisation expresse
(...) aucune chanson, soit en parcourant
la commune à pied, à cheval
ou en voiture, soit en stationnant sur
la voie publique, ou dans les bals ou
autres lieux réputés publics. Il est
également défendu aux personnes,
non masquées, de provoquer et d'insulter
en aucune manière celles qui
sont déguisées1 ».
Dès la fin du 18ème siècle, les débits
de boisson commencent à accueillir
des attractions et des tours de chant,
avant que l'idée ne se généralise sous
la Révolution et les premières années
de l'Empire. Ce phénomène recouvre
une multiplicité de formes et de dénominations
: « goguettes », « assauts de
gueules », « cafés-chantants »,
« assauts de chant » et reprend, au
milieu du 19ème siècle, le flambeau de
la tradition chansonnière à dominante
politique ou sociale, héritée de la rue2.
Sous le règne de Napoléon III, ces
réunions, fondées sur l'interprétation
libre de chansons, étaient perçues
comme dangereuses pour l'ordre
moral et faisaient l'objet de contrôles
d'une sévérité surprenante. Les propriétaires
des lieux qui accueillaient
ces réunions chansonnières devaient
non seulement se munir d'une autorisation
spéciale émanant de la préfecture
mais y faire également approuver
les listes des chants exécutés.
Les
répertoires autorisés étaient circonscrits
« aux chansonnettes à une seule
voix, aux romances et airs à une ou
deux voix, sans mélange de prose ».
Les morceaux devaient en outre être
interprétés sans aucun costume, sans
travestissement ni mise en scène.
« Les vaudevilles, saynètes, opérettes,
danses, pantomimes, ainsi que tous
les chants contraires à l'ordre et à la
morale3 » y étaient formellement
interdits, comme la présence de
physiciens, d'escamoteurs, ou de
jongleurs.
Les interdits pesant sur la chanson
populaire concernaient également les
répertoires des chanteurs ambulants et
autres vendeurs de chansons qui
sillonnaient les rues des quartiers
populaires. Dans les rapports journaliers
rendus en préfecture par le
Commissaire de police, on fait état de
chansons prohibées, interprétées dans
les rues et ayant fait l'objet de contraventions
:
Lyon, le 24 novembre 1890
Note de service
On signale que des chanteurs ambulants
parcourent la Guillotière et
principalement les vogues en
chantant et vendant une chanson
obscène et déplacée intitulée :
« Curés, sac au dos ! »
M. le commandant des Gardiens de
la Paix et M.M. les Commissaires de
police sont invités à donner des
instructions au personnel placé sous
leurs ordres pour verbaliser contre
tout chanteur de chansons non
revêtues du Visa Préfectoral (....)
Le secrétaire Général pour la Police,
Bouvagnet4
D'autres documents d'archive permettent
d'établir la présence de pratiques
culturelles issues de différentes
vagues de migration et d'installation
de groupes de population à la Guillotière.
Au 19ème siècle, les migrations
étaient d'abord « internes », issues de
l'exode rural des provinces
mitoyennes. Des listes entières d'associations
déclarées en Préfecture
avant 1940, d'amicales, de fédérations
regroupant les « exilés » d'Auvergne,
de Savoie ou d'Ardèche, donnent un
aperçu du paysage communautaire
régional de la fin du 19ème et du début
du 20ème siècle.
Les Auvergnats, arrivés
à Lyon pour trouver du travail dans
les usines des faubourgs ouvriers, et
notamment la Guillotière, ont emmené
avec eux les instruments de musique
(la cabrette) et les pratiques musicales
de leurs villages.
De nombreux documents
témoignent ainsi de la tenue
régulière de « bals à la musette » dans
les débits de boisson du quartier. Les
pratiques rurales reprennent vie dans
un nouvel environnement et côtoient
d'autres activités musicales...
Y a-t-il
eu à Lyon, comme à Paris, l'éclosion
d'un mouvement de bal musette qui
serait tombé dans l'oubli ?
L'histoire
reste à écrire mais les sources sont là :
A Monsieur le Sénateur chargé de
l'Administration Du Département
du Rhône
Le Sieur Nury cabaretier demeurant
à Lyon rue Madame n° 143.
A l'honneur de vous confirmer qu'il
a déjà obtenu de votre bienveillance
l'autorisation de faire danser à la
musette il vient de construire une
salle de danse derrière son établissement
il désire que vous lui accordiez
l'autorisation de faire danser
avec orchestre trois jours par
semaine Dimanche Lundi et Jeudi.
C'est pourquoi Monsieur le Sénateur
l'exposant requiert de votre
bienveillance que vous lui octroyiez
la dite permission pour faire danser
avec orchestre et que le calme et
l'ordre y seront expressément maintenus.
Dans cette attente monsieur le Sénateur
Recevez les hommages respectueux
de votre dévoué serviteur
Nury 5
Aux Archives Départementales du
Rhône, lieu de la mémoire écrite et
officielle du département, sont conservés
les documents administratifs,
juridiques et politiques. La série 4T
rassemble un ensemble de fonds épistolaires
et de documents témoignant,
en deuxième lecture, des pratiques
culturelles et musicales des habitants
des siècles écoulés. Parfois, ces documents
apportent d'autres éléments, et
laissent entrevoir par exemple le
regard porté par les autorités sur certaines
de ces pratiques. Sans ambages
et sans aucun égard pour le « politiquement
correct », les élus exprimaient
leurs fortes inquiétudes quant à
l'émergence d'activités allogènes,
inconnues et incontrôlées :
Lyon, le 13 octobre 1858
A Monsieur le Sénateur administrateur
du Département du Rhône
Monsieur le Sénateur,
J'ai l'honneur de vous rendre
compte que le Sieur Claude, restaurateur
rue des Martyrs n° 203, qui
fait l'objet de la demande (...) nourrit
et loge plusieurs jeunes gens
d'origine Italienne (au nombre de
12) et ce sont ces individus qui
demandent à danser.
A mon avis il n'y a pas lieu d'autoriser
le pétitionnaire dans sa
demande vu que les ouvriers italiens
sont généralement des tapageurs et
très mauvais sujets.
J'ai l'honneur d'être, avec un
profond respect,
Monsieur le Sénateur,
Votre très humble et très dévoué
serviteur,
Le Commissaire de police6
De quoi y a-t-il souvenir ?
Que restet-il, dans la mémoire collective, de ces
pratiques, des enjeux qu'elles ont
représenté, des fonctions qu'elles
occupaient dans la vie sociale d'un
quartier populaire et du regard porté
sur elles ?
Aujourd'hui, la Guillotière
semble d'avantage marquée par les
thèmes de la marginalité, de la transgression
et de l'étrangeté, que par ceux
des réjouissances collectives, de la
créativité musicale et du bouillonnement
culturel.
La mise en abîme historique d'un territoire
permet de prendre conscience
de certaines continuités que notre présent
continue de subir. Peut-être la pertinence
du travail autour de la
mémoire et de l'histoire réside-t-elle
alors dans la remise en jeu des récits
sur le passé ?
Y.E.
crédits photos :
Archives Municipales de Lyon et Archives
Départementales du Rhône
1- Archives Municipales
de Lyon, fonds
des affiches
2 - Source : Jean-Luc
Roux, « Le café-concert à
Lyon »....
3- Archives départementales
du Rhône, 4T
163. Affaires culturelles.
Réglementation des
cafés chantants.
4- Archives départementales
du Rhône,
4T 165. Affaires
culturelles. Censure.
5- Archives départementales
du Rhône,
4T 180-181. Affaires
culturelles. Demandes
d'autorisation.
6- Archives départementales
du Rhône,
4T 180-181. Affaires
culturelles. Demandes
d'autorisation.
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