Un son épais et rapeux, une énergie rock, de puissantes explosions sonores avec la danse comme point de mire, tels sont les quelques ingrédients de ce jeune groupe atypique qui ouvre la brêche du bal. Entretien avec Yann Gourdon (vielle à roue), Guillem Lacroux (banjo, guitare) et Pierre-Vincent Fortunier (cornemuse, violon) à Saint- Chartier.
CMTRA : Toad, ça commence
comment ?
Y.G : Le matériel de départ c'est la
musique à danser. Nous voulions monter
un groupe de bal, en mélangeant les
répertoires à danser à mes univers
musicaux inspirés de la musique expérimentale
et de la musique contemporaine.
Nous jouons des bourrées, des
scottishs, quelques bretonneries ...
Une grande partie des morceaux est
constituée des compositions de Stéphane
Mauchand qui faisait partie du
projet d'origine et qui nous a quitté
pour d'autres projets. Il y en a aussi
quelques unes de Guillem et de Pierre
Vincent.
Vous tentez une voie assez originale
dans ce milieu en fabriquant un son
brut, dissonant et sauvage ... vous
sentez-vous en rupture avec le
mouvement folk qui privilégie
plutôt l'aspect mélodique et des
sonorités plus lisses ?
G.L : Dans le blues, certains préfèrerons
Eric Clapton à Robert Johnson.
Nous avons fait notre choix, pour nous
il faut que ça frotte et que ça grince.
Y.G : C'est notre tempérament, cela
vient de nos goûts esthétiques et de nos
envies, c'est pas forcément un choix
d'être en rupture.
G.L : C'est juste l'évolution d'une tradition.
On la fait évoluer avec l'organologie
de maintenant. Et l'organologie
de maintenant, elle est aussi dans
le fait qu'on peut brancher les instruments,
qu'on peut produire d'autres
sons et jouer d'autres manières. On
utilise les moyens qu'on a, mais ça
mène toujours à la danse.
Et donc vous aimez bien quand
c'est saturé ...
Y.G : Dans la distorsion il y a aussi le
côté brut, qu'on retrouve dans les
musiques traditionnelles.
La dissonance existait déjà dans nos
instruments respectifs, que ce soit la
cornemuse, la vielle ou le banjo. Ces
instruments sonnent dans des timbres
bruités, parfois dissonants. Nous l'assumons
et nous jouons sur l'amplification
de ces aspects là.
L'instrument
dont je joue, la vielle à roue, c'est un
instrument à cordes frottées ... c'est
un instrument qui grince. J'ai pas
envie de gommer cela comme ça peut
se faire dans certaines pratiques, chez
certains vielleux aujourd'hui. J'ai plutôt
envie de mettre ça en avant et de
m'en servir comme d'une matière à
musique.
En revanche la distorsion n'empêche
pas la danse. On travaille un peu sur
les ruptures rythmiques mais généralement
les codes propres à chaque
danse sont respectés, on ne s'amuse
pas à déconstruire ça. Bien au contraire,
nous cherchons à emmener encore plus
loin le danseur grâce au son.
G.L : On joue beaucoup sur cette idée
de boucle, de superposition, sur
quelque chose de tournant et de répétitif.
C'est quelque chose qui existe
déjà dans la musique traditionnelle, la
plupart du temps ce sont des thèmes à
deux phrases qui sont répétées avec un
certain plaisir. Donc nous on récupère
cet aspect là et on se le réapproprie à
notre manière.
Vous sentez-vous proche du métal ?
G.L : Je pense plus au rock and roll, à
Hendrix et Chuck Berry. Dans le
métal, le son est compressé, nous
essayons de jouer plutôt sur la profondeur
et la dynamique du son, sur sa
puissance physique sur les danseurs.
Et puis ce qui est intéressant pour
nous, c'est d'être dans quelque chose
qui ne soit pas formaté. Donc en terme
de son aussi.
Le travail sur la distorsion est une pratique
courante dans la musique improvisée.
Quand on a une vision un peu
élargie de tous cela, on relativise. Dans
le rock aussi, la distorsion est une
chose courante, alors pourquoi ne pas
l'introduire dans le trad ? Pour nous ça
va de soi ...
Quel lien voyez-vous entre votre
recherche musicale et les musiques
traditionnelles ?
P.V. : On travaille sur la puissance
sonore, l'explosion. Notre musique est
tendue car elle cherche à toucher les
gens directement, sans passer par des
intermédiaires. Ce qui nous attire
avant tout dans le trad, c'est le son,
plus que le répertoire qui y est attaché ;
le son, le timbre et l'énergie qui se
déploie dans cette musique ....
Y.G : J'ai l'impression de redécouvrir
les musiques traditionnelles, pourtant
je connais bien cette musique ; je
baigne dedans depuis que je suis
tout petit. Mais j'ai l'impression
d'apprendre ce que c'est vraiment
seulement depuis un ou deux ans, et
notamment depuis Toad. Je réécoute
cette musique-là attentivement et certains
enregistrements de collectages,
les violoneux surtout ...
G.L : Quand on écoute les vieux enregistrements,
c'est plus ce côté râpeux
qui en ressort, nous c'est là qu'on va
chercher ; c'est plus proche de l'être
humain.
On préfère ça à un truc tout lisse, fabriqué
pour les disques, fait tout juste
pour rassurer les gens. Le côté non
tempéré des collectages, on le retrouve
dans notre musique. Aujourd'hui, il y
a tellement de trucs aseptisés ... les
dissonances de ces musiques, nous
ramènent aux dissonances de nos
propres vies.
Propos recueillis par P.B.
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Elodie Ortega /
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