Si dans le grand public, le violon est connu comme le symbole de virtuosité de la musique savante, on sait moins qu'il fut aussi dans certains coins de notre région, l'instrument
populaire par excellence et qu'il fait danser! Ce n'est donc pas un monopole tsigane ...
Le rigodon du Dauphiné incarne parfaitement la toute-puissance à danser du violon et
cette recherche du lien puissant qui lie le musicien au danseur.
Cette musique à danser au nom bien balancé reste assez méconnue sur les plateaux de nos bals et dans les cordes des musiciens du cru ; elle offre pourtant quelques précieux
répertoires, une danse singulière et une belle liberté dans ses possibles réappropriations.
Âpre et rocailleuse, rythmique et énergique, simple dans sa structure mais ciselée dans
ses effets, elle aurait pu tomber dans l'oubli si quelques acharnés ne s'étaient lancés dans la poursuite de cette longue histoire musicale. Une série de productions discographiques
de bonne tenue en est une des heureuses conséquences.
En chant de gueule, à plusieurs violons ou en alliance contre-nature avec la danse contemporaine, le rigodon cherche
sa danse, se déploie à partir du peu d'éléments qui nous restent et se trouve de nouveaux terrains de jeu.
Quelques éléments
sur les pratiques
dansées de rigodon
par Véronique
Elouard, danseuse
professionnelle et
enseignante
Le rigodon du Dauphiné
C'est une danse traditionnelle issue de
la société paysanne que l'on trouve
dans une aire géographique entre
Grenoble et Gap. D'après J. Faure, le
rigodon est dansé à Gap dès les dernières
décennies du XVIIIème au plus
tard, c'est la plus ancienne attestation
que nous connaissons.
Il peut se danser à deux, à quatre ou en
ronde (en couple ou deux hommes
ensemble par exemple) .
La forme est extrêmement simple
découpée en deux parties :
- Une première partie « promenade »
dans le sens inverse de la montre avec
la dame devant soi. Elle est plus ou
moins longue et peut se terminer par
une répétition de la dernière mesure,
cette répétition est appelée « la tourne ».
- Une deuxième partie sur place, qui
est en général répétée. Sur un rigodon
à quatre ou en ronde, chaque danseur
se tournera vers son partenaire en premier
puis vers un autre partenaire.
Les figures
La chorégraphie importe peu, le jeu
entre les danseurs et l'ornementation
me semble beaucoup plus important.
Chaque danseur avait sa façon à lui
d'ornementer, d'inventer des pas, de
jouer avec la musique.
S'il y a des figures, elles viennent de la
contredance qui peut amener une ou
deux figures dans des versions exceptionnelles
du rigodon.
Le mouvement
C'est une danse verticale (comparée à
la bourrée d'Auvergne au déplacement
plus latéral et « glissé »). C'est une
danse légère, aérienne où il y a des
frappés qui doivent être amenés avec
subtilité, pour ponctuer des fins de
phrases, pour enrichir la danse et rythmer
la musique (et non la couvrir) .
Les bras
Ils sont en général en bas le long du
corps dans la première partie de la
musique, ils s'élèvent au niveau des
yeux dans la deuxième partie, mais ne
font pas de mouvements importants.
Le pas
La plupart du temps, il n'y a qu'un
appui de pied par temps sur la première
partie de la musique. C'est souvent
sur la deuxième partie que l'on
trouve le plus d'ornementations ou de
variations d'appuis.
Mais je crois qu'il faut plus s'attacher
à l'énergie que procure la musique,
s'installer dans cette énergie et ne pas
s'attacher spécifiquement à chercher
un pas de base, qui n'est souvent qu'un
argument pédagogique. Il ne me
semble pas important non plus, de se
fixer sur un pied de départ. Les danseurs
traditionnels ne cherchaient pas
à analyser ce qu'ils faisaient, ils
vivaient leur danse ... C'est la pédagogie
qui demande l'analyse.
La musique
Elle est à deux temps et souvent composée
de deux parties musicales plus
ou moins longues. Il existe beaucoup
de rigodons très intéressants avec des
phrasés impairs, c'est-à-dire que le
nombre de mesures dans une phrase
musicale n'est pas forcément de quatre
mesures, mais peut être de cinq ou de
six ou de sept mesures.
La deuxième
partie musicale a souvent plus de notes
et traduit peut être plus la verticalité
que la musique de la première partie.
La force de cette musique réside dans
la simplicité de sa structure musicale
qui permet une grande richesse dans
l'ornementation.
Pourquoi le rigodon est-il si
peu connu en dehors des
cercles consacrés ?
La recherche sur le rigodon est beaucoup
plus récente que la recherche sur
certains autres styles de danses (bourrées,
danses bretonnes, rondos ...).
Il
y a eu rupture avec les pratiques du
milieu traditionnel, une rupture importante
par rapport aux bourrées d'Auvergne
par exemple. Les témoignages
des danseurs de rigodons collectés
sont très rares et surtout ce sont des
danseurs très isolés et âgés ... Et puis il
y a aussi des phénomènes de modes ;
dans les années 1980 on dansait beaucoup
plus de danses bretonnes que de
bourrées et l'on n'entendait jamais
parler du fandango .
Je pense qu'aujourd'hui on parlera
plus d'une reconstitution du rigodon
du Dauphiné, que d'une continuité
dans la tradition pour tous les gens qui
le dansent et surtout ceux qui l'enseignent.
Il y a une énorme part d'interprétation
et de reconstruction dans le
rigodon du Dauphiné pratiqué et
enseigné aujourd'hui.
Les sources
Pour la danse, nous disposons de très
peu de documents sur le Rigodon du
Dauphiné. Quelques images très
courtes sur des films datant de 1946
et après (à peine 10 minutes d'images),
quelques danseurs actuels mais très
isolés et très âgés, qui ne nous permettent
donc pas de faire une généralité.
Il
y a aussi l'enquête de Jean Michel
Guilcher dans laquelle il précise bien,
lui aussi, que les danseurs sont trop
peu nombreux pour faire une vraie
synthèse. Cette enquête nous a tout de
même permis de vérifier et de faire des
recoupements avec ce que l'on a
retrouvé dans les films et dans nos collectages.
Pour la musique :
Il y a plus
de documents sonores que pour la
danse, mais cela reste assez léger tout
de même.
Toutes les analyses par rapport à des
sources peuvent être contestées, car il
y a forcément une part d'interprétation :
interprétation par rapport à notre vécu
et à notre formation, interprétation par
rapport à nos connaissances du
moment sur l'objet analysé et par rapport
à ce que l'on veut en faire (du
spectacle ou du bal). Il est donc important
de revenir souvent à la lecture des
sources.
Les certitudes que l'on peut avoir par
rapport au Rigodon :
* La forme de la danse
* Les rapports des parties : 1ère et
2ème partie
* Le type général de mouvement
* Le rythme fondamental du pas .
Les incertitudes qui nous reste et
autour desquelles nous inventons:
* La structure du pas (existe t'il un pas
commun utilisé par beaucoup de danseurs
ou une pluralité de pas). On a
d'avantage rencontré de pas différents
sur la 2ème partie , qu'un pas commun
à tous les danseurs.
* La qualité du geste
* Les détails qui peuvent être l'essence
de la danse
*
Le style
Mes recherches
Pour ma part j'ai fait des recherches
avec Michel Favre : j'ai établi de
nombreux contacts avec des danseurs
sur le terrain, j'ai regardé, analysé les
films et les quelques documents dont
nous disposons sur cette danse, j'ai
étudié la musique. Nous avons cherché
les spécificités des différentes régions
(Champsaur , Trièves, Beaumont ...)
et les spécificités du rigodon du Dauphiné
.
Nous avons ensuite apporté
notre part d'interprétation, de sensibilité,
d'analyse et de création tout en
gardant ce qui nous paraissait l'essence
même du rigodon du Dauphiné : verticalité,
énergie, ornementation, rapport
musique-danse, convivialité.
J'aime le rigodon du Dauphiné, j'aime
les musiques de rigodon, particulièrement
l'interprétation qu'en fait Michel
Favre . Cette musique me donne envie
de m'y intéresser et surtout de danser.
J'ai envie de le faire connaître et de le
faire vivre ou plutôt « revivre ». J'ai
envie de créer de nouvelles chorégraphies
et de m'approprier cette énergie
pour aller vers de nouveaux ornements.
Le rigodon des alpes doit-il
disparaître ?
Peu d'éléments permettant une réelle
analyse, un réel " état des lieux " du
rigodon des Alpes.
Deux solutions s'offrent alors à nous ;
ne plus danser le rigodon par manque
de sources et par peur de trahir une tradition.
Ou bien choisir de le danser
malgré tout, avec le peu de connaissances
dont on dispose aujourd'hui,
avec pour parti-pris l'interprétation et
le risque.
La musique existe, pourquoi faudrait il
oublier la danse ?
Plusieurs groupes de musiciens ont
joué des rigodons en concert, ont fait
des CD, de plus en plus de gens ont
eu envie d'en jouer dans les bals folk.
La question de la danse s'est alors
vivement posée.
Progressivement, on nous a demandé
d'animer des stages pour connaître
mieux la danse et pour approfondir sa
pratique ... Mais est-ce légitime d'enseigner
le rigodon avec le peu de
sources dont on dispose aujourd'hui?
Il est trop tard pour se poser la question
car les gens ont envie de le partager,
c'est un véritable " coup de coeur " pour
le rigodon des Alpes, un appel à la
danse.
Pour moi c'est une danse pleine
d'énergie et légère, avec une possibilité
d'ornementations très intéressante.
La qualité du geste est importante,
mais le geste dansé s'invente dans le
lien fort qui se tisse avec la musique,
bien d'avantage que dans une esthétique
fermée et codifiée.
Quoiqu'il en soit, la pratique en bal est
là, réelle et bien vivante .
Article rédigé par Véronique Elouard.
photo : Doumé
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