Entretien avec Eric Montbel.
CMTRA : Eric, peux-tu nous présenter
ce disque au nom ensorceleur
« La charmeuse de serpent » ?
Le projet était de produire un disque
vraiment travaillé en studio, avec la
console conçue comme un instrument
de musique à part entière.
Avec Pascal
Cacouault, avec qui je poursuis une
longue collaboration, cela consistait à
pousser les limites très loin du rendu
de la scène, pour produire une
musique d'écoute, comme une
musique de film, très éloignée du live.
La démarche est assez éloignée d'une
filiation « trad » au sens historique,
c'est vraiment du travail sur le son et
la technologie, avec l'emploi de sampling,
de boucles, de filtres, de
rythmes électroniques ... J'ai toujours
aimé l'electro-pop, de Kraftwerk dans
les années 80 jusqu'aux Chemical
Brothers aujourd'hui, et je me nourris
de ces influences, il existe pour moi
une familiarité de ces musiques avec
les musiques trad.
La Charmeuse de Serpents est au
départ un spectacle que nous avons
créé en 2004. Je voulais une musique
qui évoque l'univers de Rousseau,
comme un film. La peinture de Rousseau
est une peinture du rêve, c'est une
peinture onirique qui n'a rien de naïve.
Rousseau évoquait des jungles, des
nuits, des paysages nocturnes sans lien
avec la réalité, c'est l'un des premiers
peintres de l'inconscient.
Pourquoi cet intérêt pour la peinture
du Douanier Rousseau ?
Rousseau invente l'exotisme, depuis
son atelier de Paris puisqu'il n'a
jamais voyagé plus loin que le Jardin
des Plantes. Il lisait et rêvait beaucoup
mais Rousseau a vécu immobile. Ses
toiles sont un rêve de l'ailleurs, un
imaginaire de l'Autre. Et surtout la
musique est omniprésente dans ses
toiles : la « Bohémienne endormie »
est étendue dans le désert avec un luth
à ses côtés, la « Charmeuse de Serpents
» bien sûr est une sorte d'Orphée
indien qui joue de la flûte au crépuscule.
De façon très opiniâtre il exposait
ses grands rêves sur toiles, c'est très
beau et ça tient la distance, c'est une
peinture moderne et populaire.
Oui, Philip Glass parce qu'il a fait le
chemin inverse : c'est un musicien
new-yorkais qui dans les années 60 a
découvert la répétitivité des musiques
indiennes, balinaises ou africaines, et
qui les a intégrées à la musique
contemporaine. C'est un exotisme du
XXème siècle, qui annonce la World
Music. Le morceau que j'ai appelé
« Glassery » est un hommage et un
pastiche aussi, mais joué à la vielle à
roue et à la cornemuse, c'est plus drôle !
Cette rythmique se prête merveilleusement
à la danse, très présente aussi
dans les toiles de Rousseau.
Ces musiques cycliques, ces « tournes
» que l'on retrouve dans les musiques
de Java, en Europe Centrale, ou en
Italie du Sud, au Maghreb, sont aussi
présentes dans nos danses du Centre
France, avec ces bourrées à six notes
qui peuvent devenir très obsessionnelles
et répétitives.
Je me souviens de
ce violoneux d'Auvergne, Antoine
Chabrier, qui jouait assis des bourrées
cycliques parfaitement hypnotiques.
Comme la peinture de Rousseau, c'est
une musique plus primitive que naïve,
avec peu de moyens mais un sens
aigue de l'essentiel et de la liberté.
Topanga ! est en revanche un
disque beaucoup moins « trafiqué »
qui allie le son de la cornemuse à
l'harmonium et à l'accordéon ...
C'est un peu la démarche inverse de
celle adoptée pour La Charmeuse de
Serpents : ici un disque quasi acoustique,
qui reproduit fidèlement ce que nous faisons
sur scène ou en bal, et que le public
peut s'approprier pour le rejouer.
Pour Topanga ! j'ai organisé la rencontre
entre deux personnes avec qui
je joue beaucoup, Laurence Charrier
à l'harmonium, et Bruno Le Tron avec
qui je partage des bals, boeufs et
impros mémorables depuis des
années. Nous voulions un « trio
d'anches », puisque harmonium, cornemuse
et accordéon sont de même
organologie. Des anches et du souffle,
mais avec des sons et des registres
différents. L'harmonium apporte de
belles basses et des nappes assez
proches d'un synthé acoustique.
Laurence en joue depuis longtemps, et
pour un mélodiste exceptionnel
comme Bruno, et pour moi, c'est un
régal d'entrer dans cet univers harmonique.
On est parti sur du répertoire de
bal, essentiellement des compos à
nous, une musique directe qui correspond
bien à la filiation trad. Mais il n'y
a pas contradiction entre deux disques
comme la Charmeuse et Topanga !,
même si l'un est conçu comme une
musique de film, et l'autre comme un
objet fonctionnel, d'écoute mais aussi
de pratique.
J'ai toujours défendu cette
double liberté dans le trad, de façon
presque militante : d'un côté une création
sans contrainte identitaire ou
régionaliste et de l'autre une musiquepratique
proche des amateurs et de
l'appropriation.
Mes compos sont toujours très mélodiques,
j'essaye d'évoquer des souvenirs
ou des images, mais ça c'est
l'amour ! Et puis l'idée c'est aussi de
donner du répertoire aux joueurs de
cornemuse ou d'accordéon, ils sont
toujours en demande de choses nouvelles,
parfois un peu difficiles, je
pense qu'ils seront satisfaits par cette
livraison !
Je travaille dans le cadre d'une thèse
de doctorat encadrée par Luc Charles
Dominique qui dirige maintenant
l'ethnomusicologie à la fac de Nice.
Nous avons accumulé beaucoup
d'informations, il y a plus de 20 ans,
sur tous ces domaines traditionnels du
Centre France, notamment avec notre
association des Musiciens Routiniers.
Ces informations ont surtout connu
une exploitation artistique et militante,
dans le cadre des CMT entre autres,
mais peu de choses ont donné lieu à
des travaux universitaires. Là je m'y
remets, c'est passionnant.
Les cornemuses à miroirs du Limousin
sont des objets, des instruments de
musique, mais qui furent conçus pour
êtres vus autant qu'entendus, peut-être
même plus comme des images, des
icônes, que comme des objets producteurs
de sons. Ceci dans le cadre de
rituels religieux, chrétiens, au
XVIIème siècle sans doute. Ensuite
elles ont été « popularisées », elle sont
sorties du cadre du rituel pour être
jouées dans des bals et les fêtes populaires.
Les fabricants successifs ont
conservé le décor, les miroirs, les
signes, sans en comprendre forcément
le sens, ou bien en le détournant,
en l'interprétant, et ceci jusqu'au
XXème siècle. Je travaille sur un
corpus de 120 cornemuses à peu près,
du XVIIème au XXème siècles.
Ma rencontre avec les cornemuses du
Limousin est une histoire ancienne qui
passe par Lyon, et qui m'a conduit en
Haute-Vienne et en Corrèze dans les
années héroïques où c'était vraiment la
chasse au trésor, surtout avec mes amis
Pierre Imbert et Thierry Boisvert. A
l'époque, il fallait se garder des folkloristes
et d'un ou deux ayatollahs
régionalistes, mais dans l'ensemble ce
fut une aventure très novatrice, où l'on
a trouvé un nombre incroyable d'instruments,
de mélodies, de photos
anciennes, et puis la rencontre surtout
avec quelques joueurs qui pratiquaient
encore. Donc le jeu de chabrette s'est
reconstruit, et maintenant il y a
plusieurs dizaines de jeunes joueurs
qui pratiquent.
Les chabretas, les cornemuses à
miroirs du Limousin sont des instruments
fascinants par leur beauté et leur
mystère : c'est « l'inquiétante étrangeté
» dont parle Freud. Quelque
chose qui fascine, qui séduit mais dont
on a un peu peur. Les décors sont
volontairement obscurs, avec beaucoup
de signes qui ne cherchent pas à
être compris : ce sont des sens superposés,
stratifiés, car la cornemuse en
elle-même pose déjà problème.
Un
instrument magique, vaguement
sexuel, dont le son semble sortir de
partout et qui prolonge le souffle du
musicien, ce n'est pas simple. En
même temps très séduisant, et cette
séduction a toujours existé, depuis le
Moyen-Âge. Si on rajoute à cela des
miroirs, des chaînes, des étains, du
velours, de la corne et de l'os, on a la
chabrette, un bel objet bien baroque
et complexe, qu'il ne faut surtout pas
simplifier.
Ce qui m'intéresse aussi c'est de
contribuer à réorienter les travaux
ethnomusicologiques sur des terrains
français ou européens, et ne pas laisser
le champ occupé ad vitam aeternam
par les approches exotiques et extraeuropéennes.
La « musique-pratique »
au sens de Barthes, ou de Baudrillard,
c'est la proximité. Ce qui rejoint la
problématique de la pratique musicale
du trad, des musiques vivantes, des
programmations de festivals ...
En créant les Musiciens Routiniers au
début des années 80, notre projet fut
dès le départ de lier recherche et
pratique, création : une vision des
musiques traditionnelles qui n'envisageait
pas le jeu des instruments sans
une étude approfondie, ethnologique,
des sources, et en même temps une
recherche liée au style, au jeu, à la pratique
elle-même, qui induit une
meilleure compréhension du sujet, par
le sensible autant que par l'analyse. En
cela je n'ai pas varié, je pense toujours
qu'un bon ethnomusicologue est celui
qui pratique la musique qu'il étudie, de
l'intérieur et de l'extérieur, avec toutes
les contradictions que cela suppose,
mais qu'il faut gérer.
Nous avons accumulé une somme de
données, enregistrements, photos,
vidéos, instruments ... et sans doute le
temps est venu de mettre cela en
forme, d'analyser en profondeur et de
publier.
Propos recueillis par P.B.
-La Charmeuse de Serpent, avec Eric Montbel,
Alain Bruel, Gilles Chabenat, Nicola Marinoni,
Yvon Bayer, chez Modal/ Ulysse productions,
disponible sur le catalogue de la FAMDT.
Réalisé avec le soutien de MFA, ADAMI,
Région Paca et DRAC Paca.
- Topanga !, Eric Montbel, Bruno Le Tron,
Laurence Charrier, chez Ulysse Productions /
Intervalle Productions.
A commander sur le site : [http://ulysse.ange.free.fr->http://ulysse.ange.free.fr]
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