Entretien avec Pascal Kober, rédacteur en chef
Le 13e numéro de L'Alpe, paru en octobre 2001 aux éditions Glénat, est consacré aux musiques et sons des Alpes transfrontalières. Un CD illustre des articles très divers relatifs aux démarches artistiques de musiciens de jazz, bricoleurs de sons, créateurs d'attirails sonores électro-acoustiques et autres compositeurs, résidants de l'Europe alpine ou inspirés par la symbolique alpine.
Cette publication, dirigée par Pascal Kober, sous la responsabilité de Jean Guibal, conservateur du Musée dauphinois, jouit d'un support de diffusion prestigieux pour élargir son regard anthropologique au grand public. Écoutons donc L'Alpe où les musiques n'ont plus de frontières, grâce aux musiciens qui les portent, évoqués ou non dans ces pages (violoneux des Hautes-Alpes, joueur d'orgue à bouche laotien « routinier » de Bonneville, saxophoniste de Martigny ou d'ailleurs).
L'Alpe où le folklore n'est plus toujours tapi où l'on croit.
Et gageons que le prochain numéro de L'Alpe, qui sera consacré cette fois aux « Terres d'accueil, terres de refuge » saura aussi parler de terrain d'entente, de coopération et de créations partagées.
CMTRA : Ce numéro de L'Alpe est un ouvrage riche et varié, illustré de très beaux documents iconographiques et sonores. Comment l'avez-vous conçu ?
Pascal Kober : Nous avons vocation de traiter de cultures et de patrimoines sur l'ensemble de l'arc alpin, de Nice à Ljubljana en Slovénie. Ce numéro, nous l'avions en tête depuis deux ans. J'étais le seul à y croire. On m'avait dit que ce serait très compliqué, nous ne voulions surtout pas rester axés sur les musiques traditionnelles, comme l'avait fait Alpes Magazine. Ce n'est pas l'angle de traitement de la revue.
Nous souhaitions ouvrir la revue à davantage de diversité, comme nous le faisons d'habitude.
Lorsque l'on traite des vins, nous allons chercher les relations qu'il peut y avoir entre un vin jaune du Jura et le cépage exploité dans les vignobles alpins, par exemple. Nous avons eu exactement la même démarche sur ce numéro musical, avec la part traditionnelle, évidemment incontournable, mais également l'ouverture sur la façon dont les compositeurs contemporains et classiques ont pu se servir de la montagne comme source d'inspiration. Nous avons aussi rajouté des paysages sonores, des sonnailles, la fabrication des appeaux dans une entreprise installée dans les Alpes drômoises et des approches un peu plus iconoclastes, avec un papier sur la montagne illustrée sur les pochettes de disques de rock.
Ce sont bien évidemment des approches que l'on attend dans L'Alpe puisque c'est notre « fonds de commerce », notre façon de fonctionner que de s'engager dans des approches peu classiques.
Quelles sont alors les relations que vous avez mises à jour entre ces musiques et le territoire auquel vous les rapportez ?
Nous n'avons pas vocation à faire de la prospective. Je ne suis par définition spécialiste de rien si ce n'est du monde alpin, et encore. Je me revendique surtout et avant tout journaliste généraliste. Nous avons traité ce sujet de façon assez approfondie en y consacrant un numéro entier, même si nous savons, pour les avoirs survolés, fréquentés de près ou de loin, qu'il y a des sujets que l'on aurait pu évoquer et qui nous ont échappés, car nous n'étions pas là au bon moment ou parce que nous n'avons pas eu les bons interlocuteurs.
Comment avez-vous réalisé la direction artistique de ce CD ?
Il n'y a pas eu à proprement parler de direction artistique du CD, nous ne l'avons pas souhaité, d'ailleurs cela nous a été reproché. Là encore, nous ne voulions surtout pas faire de ce CD un « plus produit », comme cela se conçoit dans la presse habituelle.
Ce CD de L'Alpe, comme l'iconographie, se présente plutôt comme une illustration sonore des articles. Au fond, ce n'est pas un CD qui s'écoute pour découvrir les identités musicales alpines dans leur diversité, c'est plutôt une espèce de patchwork. Nous ne sommes, là aussi, pas spécialistes et il m'a semblé qu'il était beaucoup plus pertinent de jouer complètement la carte de l'illustration sonore plutôt que d'essayer de faire un « pseudo » travail artistique.
Nous nous sommes toutefois retrouvés, avec Benoît Tiberghien des « 38e Rugissants » et avec le Festival de jazz de Grenoble sur des convergences d'esthétiques musicales et nous avons échangé quelques pistes pour la fabrication de ce numéro. Nous avions commencé aussi à élaborer avec Alain Claude une façon de traiter le sujet des musiques traditionnelles et Alain est décédé. Philippe Fanise nous a dépanné à la dernière minute en nous donnant un article sur les musiques traditionnelles.
Bien évidemment, les musiques traditionnelles, qui, pour moi, devaient être un volet parmi d'autres, me semblent un poil sous-représentées. Mais ce sont les aléas de fabrication d'une revue comme la nôtre. L'association Prélude, habituée à la conception d'expositions sonores, a réalisé le master avec les éléments sonores que nous lui avons transmis, pour un résultat exploitable du point de vue de la production.
Vous revendiquez beaucoup la particularité de votre approche en réaction à d'autres supports de presse, quelle est donc l'originalité de L'Alpe ?
Alpes Magazine et Alpes Loisirs sont deux supports complètement concurrents. Nous, nous ne sommes pas concurrents sur le plan éditorial mais très complémentaires. Notre approche n'est pas touristique, en revanche elle va être complètement ethnologique, sociologique et historique. La décision que nous consacrions un numéro à la musique avait été prise antérieurement au fait qu'Alpes Magazine sorte un CD qui accompagnait son petit dossier sur les musiques traditionnelles.
L'Alpe n'a pas vocation à traiter des fromages, des vins, des animaux et de la transhumance ni de la musique de façon typique. Ça n'est jamais ce que l'on attend d'une revue scientifique sur la montagne, il faut absolument qu'on élargisse à d'autres domaines. C'est tout l'intérêt de la chose.
Les grands collecteurs des Alpes françaises et italiennes ne sont pas trop évoqués, est-ce un parti pris de votre part de ne pas avoir publié non plus d'enregistrements de terrain ?
Ce n'est pas une volonté délibérée, les hasards de programmation font que cette partie est une portion congrue. Elle est tout de même traitée indirectement dans le disque puisque nous avons repris un thème de Nicolas Perrillat qui lui fait ce genre de choses, des collectages de témoignages anciens.
Ce qui manque un peu aussi, pour un équilibre plus généreux de ce numéro, mais comme sur tous les numéros de L'Alpe, de manière récurrente, c'est tout ce qui concerne la partie germanophone.
Nous avons seulement un papier sur le jodle, inévitable si on parle de musiques alpines. Cela tient à notre difficulté de communication avec ces mondes-là. Nous avons d'excellentes relations avec la Suisse francophone, avec l'Italie. Une version italienne de la revue paraît d'ailleurs deux fois par an. En revanche c'est toujours plus difficile de trouver des auteurs côté Autriche, Suisse allemande ou Allemagne. On a un fonctionnement qui est malgré tout assez « presse », même si on réfléchit à nos thématiques et à nos contributions très en amont. Du coup quelques sujets passent un peu à l'as. Mais nous n'avons pas vocation à traiter les événements de manière exhaustive.
Sur chacune des thématiques, je tiens à cette diversité, avec la contribution d'auteurs généralement plus universitaires que journalistes qui ont vraiment leur propre regard. L'ouvrage de référence sur les musiques des Alpes reste certainement à faire. Ce n'est pas la vocation de L'Alpe de le faire. Pour nous, il s'agit de s'ouvrir à un lectorat qui n'est pas du tout spécialisé. Chaque fois que nous faisons un numéro sur une thématique particulière, les gens qui travaillent exclusivement dans ce secteur-là, nous disent que nous avons oublié telle ou telle chose. C'est vrai, c'est parfois volontaire. Mais de façon affirmée, nous n'avons pas vocation à devenir une référence pour tous les sujets. On en revient à l'histoire de concurrence et de complémentarité entre les titres. J'ai mes thématiques arrêtées jusqu'en 2005. Je sais que les sujets liés aux Alpes sont malgré tout assez récurrents et souvent redondants. J'ai tendance à communiquer le moins possible sur les thématiques en cours, pour des questions de concurrence, sauf sur celles qui n'ont pas encore fait l'objet de travaux de recherche suffisamment identifiés.
Nous préparons le prochain numéro « Terre de refuge » qui sort en décembre, le suivant concernera la gastronomie. Bien sûr, je suis toujours curieux, ouvert et attentif à toutes propositions. Mais je ne suis pas en recherche d'articles. Nous ne diffusons pas les thématiques trop en amont parce que l'on sait très bien qu'avec nos réseaux habituels, aussi bien du côté éditions Glénat que du côté Musée dauphinois et avec les deux conseils scientifiques qui réunissent chacun une dizaine de personnes, chercheurs de haut niveau sur des domaines très différents, côté italien et côté français, nous avons un champ d'investigation et un terreau potentiel d'auteurs très important.
En deux ou trois brèves lignes, dans ce numéro de L'Alpe, vous reléguez le contenu des publications du CMTRA au rang de tradition « pure et dure » ? Vos termes ne sont-ils pas antinomiques ? Des travaux anthropologiques n'ont-ils pas questionné depuis longtemps la notion de tradition pour en faire une invention plutôt qu'une réalité circonscrite ?
Vous êtes clairement identifié « Musiques traditionnelles », ce n'est pas une critique, c'est un constat pour moi.
Oui, mais vous usez de vocabulaires très tranchés dont nous vous accordons volontiers l'exclusive. Nous-mêmes évitons de parler de tradition attachée à des « terroirs » ou à des identités. Ne peut-on pas souhaiter que les notions de pureté, de fixité ou de crispation ne relèvent déjà d'une autre époque, d'un autre regard et d'un autre discours que celui ouvert par l'anthropologie ?
C'est une expression à prendre à la lettre et au mot. Si je dis « pur et dur » c'est que pour moi vous vous consacrez exclusivement à cela et pas à l'ouverture d'Olivier Messian sur les oiseaux de montagne. Je revendique une complète subjectivité, y compris dans les critiques négatives que nous faisons paraître sur des parutions de bouquins. Je recevais votre revue régulièrement et c'est vraiment l'image que j'en garde après lecture, je vous avoue, pas très attentive.
Je trouve que vous êtes très ouverts sur les autres musiques du monde et très exclusivement consacrés aux musiques traditionnelles, y compris dans leurs dimensions contemporaines, pour moi ce n'est pas une opinion c'est un constat.
Propos recueillis par V.P.
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