Entretien avec Appoloss
CMTRA : Appoloss, tu occupes à Lyon une place tout à fait originale, avec beaucoup d'activités différentes autour des musiques qui ont une forte influence africaine, puisque c'est ton continent d'origine. Quel est ton monde musical ?
Appoloss : Je suis arrivé à Lyon en 1998 pour préparer la Biennale de la Danse. J'étais chargé de créer la musique au niveau du huitième arrondissement et pour la Maison de la Danse.
Pour ce spectacle, j'ai donc fait se rencontrer percussions africaines et cuivres et tout s'est très bien passé. Ensuite j'ai essayé de monter un projet de disque, ce que je faisais déjà en Afrique. Cela m'a pris quinze mois, entre les voyages Paris et Lyon, puis trouver des musiciens d'horizons divers et de différentes cultures aussi bien d'Afrique du Nord, d'Europe de l'est et d'Amérique du Sud.
Aujourd'hui et avec tous ces éléments, nous avons monté le groupe avec qui nous venons de réaliser cet album. Ensuite, je donne des cours de percussions dans différentes structures, à la MJC de Ménival, la MJC de Monplaisir, l'association ACAPI de Vénissieux et Mermoz. Je fais régulièrement des stages de percussions et je joue aussi en studio à Lyon et parfois hors de Lyon.
J'ai participé à de nombreuses collaborations, j'ai notamment travaillé avec Djengo Dé, musicien de jazz, avec qui nous avons fait un projet intitulé « Djembé à la rencontre du jazz » mais qui n'est pas encore abouti, ce n'est que le début. Bref, j'essaie de m'occuper sainement.
Quel est ton sentiment par rapport à la place des musiques africaines dans la région Rhône-Alpes. Nous savons que Paris est la capitale des musiques africaines pour la France, mais que se passe-t-il à Lyon ?
Pas grand-chose sinon des stages et des ateliers, mais on ne va pas au-delà dans la mesure où je pense que tout le monde est tenté d'aller vers Paris, vers la capitale, vers les maisons de disque, vers une plus grande médiatisation.
À partir de là, Lyon est un peu délaissée, mais j'aime les défis et je pense qu'il y a vraiment une place à se faire ici car il y a beaucoup de musiciens dans tous les styles. On dit que les Lyonnais sont très fermés, mais en fait ils sont très ouverts et quand on commence à bien les connaître, ils sont très chaleureux. Tout cela prend du temps et c'est positif dans le sens où, quoi que l'on fasse dans la vie, il faut de la volonté, tout demande du temps. Mais il faut vraiment que les structures culturelles s'ouvrent d'avantage à d'autres styles musicaux car il n'y a pas que de la musique classique et du jazz à Lyon.
Nous sommes aujour-d'hui résidants français et l'on essaie de développer tout ce qui est échange culturel. Je pense que ces structures doivent plus s'ouvrir, moins sélectionner.
L'album intitulé « Déhiléba » est tout neuf, qu'as-tu voulu mettre dedans ?
Tout d'abord, je dirais qu'il s'agit d'une rencontre culturelle. Depuis ma tendre enfance, j'ai beaucoup travaillé à développer la musique traditionnelle africaine et aujourd'hui, je me rend compte que l'on n'irait pas très loin si l'on ne faisait pas de métissage. L'idée était donc de fusionner plusieurs cultures dans l'album, d'avoir une base rythmique africaine, je reste l'auteur compositeur et arrangeur, mais avec une ouverture occidentale ou sud-américaine.
Depuis ma tendre enfance, j'ai toujours rêvé de jouer devant tous les peuples du monde. Aujourd'hui, cela prend d'autant plus de signification dans le monde où nous vivons. Je rêve d'être un jour en concert devant tous ces peuples, pour leur dire que je suis fier d'être africain et que je suis fier de partager ce petit temps avec vous. Voici ce que je vaux, voici ce que nous pouvons faire tous ensemble au-delà de toute considération de couleur de peau.
C'est ce que nous essayons de développer dans cet album. Déhiléba parle de préjugés et dit qu'il faut arrêter de porter un jugement sur les apparences, qu'il faut arrêter de dire que c'est untel ou untel qui vaut mieux que l'autre. Je m'adresse aussi aux religieux, car je sais que la plupart prient pour le paradis. Très souvent ce sont les premiers à porter des jugements alors qu'ils prient pour être mieux jugés après.
Une dizaine de musiciens ont participé à cet album pour lequel tu as réalisé la direction artistique. Tu as fait un énorme travail musical puisqu'en plus de la composition, tu assures toutes les percussions et la voix principale après avoir écrit les chansons. Il y a notamment une chanson intitulée Kérékété pour laquelle le texte est assez grave et très sérieux, quel est le message de cette chanson ?
Effectivement il s'agit d'un texte engagé. Kérékété signifie « escargot » au premier degré. L'escargot se déplace doucement, mais il arrive toujours à bon port. Au second degré Kérékété signifie le son des armes. Après la colonisation, l'Afrique a été prise en main par des leaders et chefs d'État qui ont mit en place des dictatures et des formes de fanatisme.
Au bout du compte tout se termine à chaque fois par des coups de fusils et des guerres. En tant que jeune musicien, j'affirme comme beaucoup d'autres que depuis la nuit des temps, les guerres n'ont jamais rien apporté. Les chefs d'État, c'est une chose, mais il y a une autre chose, c'est nous. Nous sommes fatigués d'entendre que ce sont les autres (occidentaux ?) qui ont fait du mal à l'Afrique, que c'est leur faute si nous sommes les derniers en tout. Tout ça est fini, nous sommes fatigués d'entendre ce discours-là.
Aujourd'hui que décidons nous de faire pour nous-mêmes ? C'est pour cela que le deuxième titre de l'album s'intitule Prends-toi en charge. Prends-toi en charge, dans le sens où il faut bien dissocier le politique du peuple et de notre culture. Nous devons être au rendez-vous et au carrefour de la rencontre culturelle humaine sans parler du sport et des activités artistiques mais bien en tant qu'être humain. Il faut tout faire et nous devons tout faire pour arranger la situation de nos enfants et petits-enfants. J'espère que mon message sera repris par d'autres voix.
Les publics occidentaux, amateurs de musiques exotiques dont font partie les musiques africaines, sont plutôt attirés par les musiques qui bougent et qui font penser à la fête. Comment faites-vous pour faire passer sur ces musiques de fêtes des questions très sérieuses comme celles que vous venez d'énoncer ?
Il est vrai que cela pose un problème, notamment au niveau des maisons de disques car on nous demande effectivement de faire bouger les gens et tout faire pour la fête.
Pour moi, toute la difficulté commence ici, car je sais bien que la fête fait partie de la vie, mais il n'y a pas que cela. Je suis fatigué de l'Afrique qui fait danser et de l'Afrique qui danse. Mon combat est d'aller au-delà de cela. Il faut avant tout initier les gens pour qu'ils comprennent qu'il n'y a pas que la fête. D'abord, il faut se demander qui sommes-nous et où allons-nous.
Personnellement il s'agit d'une démarche normale, mais il est toujours difficile de faire passer ce message car on nous demande de vendre et toujours vendre, de fêter et toujours fêter. Pour l'instant, j'ai encore du temps et de l'énergie pour me battre contre tout ça.
Dans cet album, il y a des titres chargés d'espoir, de bonheur et de mélancolie, je pense aux titres Zola et Yao ?
Zola est un amoureux qui pleure et attend sa dulcinée et qui vit cette attente tous les jours. Yao est un orphelin. À chaque coup de canon, il y a des orphelins en face et je leur dis que s'ils ont une porte fermée sur la gauche, il faut regarder à droite car il est certain qu'une autre porte sera ouverte, il faut s'accrocher et se battre et si Dieu existe, il a forcément prévu une autre porte de sortie. Il faut y croire, il y a toujours de l'espoir.
Mais à partir du moment où tu positives et tu crois en toi, tout est possible, même si le facteur chance rentre en compte. Il faut prendre sur soi, se battre pour la dignité. En tant qu'artistes, nous avons un rôle à jouer auprès du peuple car nous pouvons avoir beaucoup d'influence.
Propos recueillis par J.B.
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