Bayatbaatar Davaasuren
Entretien avec Kilina Crémona, chorégraphe aux Ateliers Desmaé
Les ateliers Desmaé vont organiser plusieurs activités de chant et de danse en collaboration avec Bayarbaatar Davaasuren qui est un jeune musicien,
chanteur et danseur de Mongolie. Comment est née cette envie de travailler avec un artiste mongol? Quelle est l'origine de cette aventure humaine et
musicale ?
J'ai rencontré Bayar quand je suis allée faire un stage de danse en 1999, en Mongolie. Et là, j'ai entendu Bayar chanter, c'était la première fois que j'entendais du chant diphonique, deux sons à la fois. C'était incroyable, j'étais médusée... Ce stage a été l'histoire qui a tout déclenché, il fallait absolument que l'on implante quelque chose de sérieux avec des artistes mongols, il fallait que l'on fasse une chorégraphie. J'ai continué à me rendre régulièrement en Mongolie et j'ai choisi des danseurs pour faire un
projet pour la biennale de la danse à Lyon en 2000 sur le thème de la route de la soie. J'avais quatre danseurs mongols classiques de l'opéra et j'ai choisi Bayar pour la danse traditionnelle. Les danseuses étaient roumaines et croates, car j'habitais en Croatie à cette époque, et il y avait également deux danseurs de mon ancienne compagnie française. Donc on a mélangé un petit peu tout ce monde et on a travaillé. Bien évidemment dans le travail de recherche, j'ai inclus Bayar avec sa voix. C'est à ce moment que je suis devenue sourde, je ne pouvais plus ajuster la musique. Pourtant, j'entendais celle de Bayar, donc j'ai décidé de faire une belle
partie avec sa musique ! On a créé une petite danse mongole pour introduire la thématique, la chorégraphie présentée en 2000 s'appelait « Loup bleu». Bayar est un artiste incroyable qui a en plus le désir de connaître la modernité ; un homme très ouvert, très fin, très subtile. Voilà, notre collaboration a commencé comme cela. Ensuite, il est devenu chorégraphe au théâtre des Traditions à Oulan Bator pour « moderniser » la tradition. Depuis, il vient régulièrement en France et il sera là à l'automne prochain.
Quelles sont les activités liées à sa venue cet automne 2005?
Cet automne, Bayarbaatar va se produire en concert mais également animer différents stages autour de la culture mongole. Tout d'abord au mois d'octobre, il va proposer un stage de chant diphonique et de musiques et cultures mongoles pour tout public au sein des Ateliers Desmaé. Il fera ensuite, toujours avec les Ateliers Desmaé, un stage autour des danses traditionnelles de Mongolie au mois de novembre. Enfin, il organisera un stage autour des techniques d'apprentissage du chant diphonique au Centre de la voix en décembre. D'autre part, nous allons reprendre la pièce de la compagnie « Et le vaisseau cingla... » créée en mai dernier. Les représentations auront lieu du 1er au 3 octobre à la Salle Rameau. Nous présenterons également la pièce le 5 novembre au CCVA de Villeurbanne et les bénéfices de cette soirée seront reversés à l'association Actions Mongolie. A cette occasion, Bayarbaatar
donnera un concert en première partie. Actions Mongolie est une association humanitaire qui envoie des médecins ophtalmologistes et du matériel médical dans l'ouest de la Mongolie. Il faut savoir que dans ce pays, la médecine est très en retard. L'association réalise une mission là-bas tous les ans, elle effectue des opérations chirurgicales, et continue à former les jeunes médecins aux nouvelles techniques et au nouveau matériel.
Bayar va participer à d'autres créations avec Bernard Fort, pouvez-vous me parler de ces concerts ?
En 2000, lors de la biennale de la danse de Lyon, le chant de Bayarbaatar était déjà associé à la Musique de Bernard Fort (L'Impatience des Limites) pour ma chorégraphie « Loup bleu ». Bernard Fort s'est rendu en Mongolie pour enregistrer les sons et bruits de la nature afin de continuer ses travaux de composition avec Bayar, entre tradition et modernité. La musique et les chants de Mongolie s'inspirent directement de l'écoute de la nature et de ses bruits familiers liés aux modes de vie nomade. Le chant des oiseaux et les sons de la nature sont également pour Bernard Fort, compositeur électroacoustique, des modèles esthétiques permanents dont il nourrit depuis longtemps son travail de création. C'est le projet de rassembler ces deux démarches, l'une traditionnelle, l'autre contemporaine qui a incité le compositeur à croiser le chemin de Bayarbaatar, lui-même désireux d'inscrire son répertoire dans les " courants " de la création contemporaine. Ce projet de création tentera de suivre en parallèle la même logique de
composition à partir de deux propositions sonores, le chant de Bayarbaatar, et le chant d'oiseaux de la Mongolie. Cela signifie donc une période de prises de sons dans la nature, mais aussi en studio pour les techniques vocales (et instrumentales) particulières de Bayarbaatar. Il s'agit de collecter une importante matière sonore destinée à la composition de la bande en ce qui concerne les sons de la nature, et à l'étude puis l'expérimentation de traitements pour la partie vocale qui sera jouée en direct et dont certains éléments seront peut-être intégrés à la bande. Cette création de Bernard Fort et Bayarbaatar Davaasuren se nomme " Les chants de l'Altaï "
En concert, la pièce sera donnée dans des espaces de format limité, sachant qu'il semble capital de ne pas amplifier le chant en direct de Bayarbaatar. De même on veillera à choisir des lieux permettant une certaine proximité sonore et visuelle avec le chanteur.
Ils se produiront entre autre au festival « Why Note » à Dijon en novembre, et au festival des 38ème Rugissants à Grenoble en décembre.
Il y a plusieurs types de chants pratiqués en Mongolie, pouvez-vous nous les citer et nous les décrire ?
La musique vocale est très courante là-bas. Dans la steppe, c'est instinctif de chanter car vous ne dérangez personne. Il arrive que pendant des jours et des jours, vous ne rencontriez personne et lorsque vous posez la tente et que vous faites un feu... vous voyez des Mongols qui arrivent à cheval. Tout à coup, la steppe est habitée. D'autre part, il y a très peu de villes. Leurs chants font vraiment partie de leur vie quotidienne et il y en a plusieurs types. Tout d'abord le chant long : c'est un peu comme une épopée
classique, la voix est beaucoup plus posée que les techniques acrobatiques du khöömïï (chant diphonique). Il s'agit en quelque sorte d'une mélodie infinie dont l'interprète improvise l'architecture. Il est pratiqué par les hommes ou les femmes toujours en solo, accompagnés ou non de la vièle-cheval ou du luth. Il est construit à la manière d'un poème avec des rimes. Le chanteur passe
des sons les plus graves aux sons les plus aigus, d'une voix de gorge à une voix de tête pour le plaisir de faire valoir toutes ses possibilités. Quand le chant long a lieu lors d'une fête, l'exécutant tient dans sa paume droite un bol de lait de jument fermenté (l'aïrak) posé sur une khadag de soie (écharpe rituelle). Il y a ensuite le chant court : il accompagne un travail précis. Son rythme
rapide, entraînant et dépourvu de fioritures, l'a rendu facilement adaptable à la vie moderne, c'est pourquoi il inspire aujourd'hui la majorité de la création musicale du peuple mongol. Il est présent à tous moments comme lors de la célébration de la nouvelle saison, la mise en route du cheval ou dans les chansons à boire. Enfin, lors de mon dernier voyage en Mongolie, j'ai eu la chance d'assister
aux chants de tir à l'arc : Uukhaï (exclamation poussée lors du tir à l'arc). Ils s'apparentent dans leur forme au chant long. Leur contenu verbal est plus important que leur mélodie (il en va de même pour certains autres chants de circonstances dans lesquels les paroles peuvent avoir un rôle d'efficacité à jouer : mariages, chansons à traire, jeux d'adresses...). Au bout de la cible à atteindre, des hommes sont disposés en demi-cercle, et pendant le trajet de la flèche, on entend une sorte de mélodie, comme un chœur, c'est assez extraordinaire. J'ai retrouvé ce chant lors d'un jeu d'adresse avec des osselets. Deux équipes assises par terre se font face.
Lorsqu'ils tirent les osselets, on entend un murmure... Ils s'encouragent mutuellement par des mots à peine articulés, mais à l'oreille, c'est quelque chose d'étonnamment mélodieux. C'est vraiment intéressant, je suis restée très longtemps à regarder ce jeu et à écouter ces « incantations ».
Bayar pratique le chant diphonique, pouvez-vous nous expliquer la singularité et la force de ce chant traditionnel ?
Le khöömïï (chant diphonique, khöömïï signifie larynx en mongol) est une technique acrobatique de la voix (ou voix de bourdon), spécifique des sociétés de nomades de la région Ouest de Mongolie appelée Gobi Altaï dont Bayar est originaire. Point de rencontre géographique entre les montagnes de l'Altaï et l'immense désert de Gobie, cette région est, selon la légende, le
premier endroit où l'on entendit le khöömii, ce fameux chant de gorge diphonique. Sa pratique est réservée aux hommes mais ceux qui maîtrisent le khöömïï se font rares de nos jours. Par un jeu du fond de la gorge et de la langue, les virtuoses arrivent à rendre simultanément les sonorités d'une guimbarde et d'une flûte. Lorsqu'il est dans un débordement d'énergie, Bayar peut faire quatre sons en même temps. C'est très impressionnant. Il est actuellement l'un des artistes maîtrisant le mieux le khöömïï. Autrefois, ceux qui maîtrisaient cette technique étaient réputés capables d'entrer en contact avec le surnaturel. D'ailleurs, nous nous sommes
rendus avec Bayar dans le nord, à la frontière russe pour rencontrer une chamane, et là, il a chanté pour elle. C'était comme une sorte de connivence vis à vis des esprits de la terre. Le khöömïï c'est aussi l'hommage à la nature, aux parents, pas tellement à l'amour mais plutôt aux animaux, en particulier aux chameaux. Le troupeau est très important dans l'économie, le cachemire,
les chèvres, etc.. Ils ne vivent en effet pratiquement que de cela.
Il utilise le morin-khuur, qui est un autre symbole fort de la musique mongole. Quel est cet instrument ?
Le morin-khuur est la vièle-cheval du poète et devin des steppes, née, dit la légende, des caresses prodiguées par un cavalier céleste à son cheval ailé tué par une amante jalouse. C'est un instrument à cordes frottées qui se compose : d'une caisse trapézoïdale en bois et peau de chèvre, d'un long manche en bois dont l'extrémité supérieure est sculptée d'une tête de cheval ou de dragon, de deux cordes en crin de cheval (l'un épais pour les sons graves et l'autre plus mince pour les sons aigus), d'un archet en crin de
cheval. Les oreilles de l'animal constituent les chevilles qui servent à tendre deux cordes en crin de cheval. Le morin-khuur (vièle) accompagne le chant du soliste (homme ou femme). Bayar s'accompagne également du luth à 3 cordes. (Shanz)
Propos recueillis par S.D.
Stages
28 au 30 octobre 2005
Stage de chant diphonique, musique, danse et culture mongole avec Bayarbaatar Davaasuren proposé par les Ateliers Desmaé de 10h à 13h et de 14h à 18h à Villeurbanne. Approches du khöömïï mongol : technique acrobatique de la voix qui par des jeux du fond de la gorge et de la langue permet de reproduire des sons simultanés de guimbarde et de flûtes. Accompagnement à la vielle et au luth traditionnels mongols.
150€ stage + 16€ adhésion
Infos : 04 78 27 32 49
[contactdanse@ateliers-desmae.com->contactdanse@ateliers-desmae.com]
www.ateliers-desmae.com
11 au 13 novembre 2005
Stage « Les danses traditionnelles mongoles »
Les Ateliers Desmaé
Tél / fax : 04 78 27 32 49
[contactdanse@ateliers-desmae.com->contactdanse@ateliers-desmae.com]
www.ateliers-desmae.com
10 au 11 décembre 2005
Stage « Pratiques et apprentissages du chant diphonique »
Le Centre de la Voix / AMDRA / Les Ateliers Desmaé
Rens : 04 78 70 81 75
Concert-spectacle
5 novembre 2005, à 20h30, au CCVA de Villeurbanne - « Et le vaisseau
cingla.... » pièce chorégraphique de Kilina Crémona avec en première partie un concert de Bayarbaatar. Les bénéfices de la soirée seront reversés à l'association humanitaire Actions Mongolie.
4 décembre 2005, à 17h, au Musée Dauphinois à Grenoble à l'occasion du festival le 38ème Rugissants, « les chants de l'Altaï » avec Bayarbaatar et Bernard Fort
18 au 20 décembre 2005, « les chants de l'Altaï » avec Bayarbaatar et Bernard Fort au festival « Why note » à Dijon.