Accordéon en bandoulière
Entretien avec Mihaël Chobotar, accordéoniste et chanteur ukrainien
Mihaël Chobotar, depuis quand êtes-vous en France ?
Je suis ici depuis trois ans et demi. La première fois que je suis venu, c¹était pour participer à un festival international de musiques
folkloriques à côté de Metz. J¹ai décidé alors de rester en France comme musicien. Ma famille est restée en Ukraine, dans une ville qui est à la frontière avec la Roumanie, dans une région qu¹on appelle la Bucovine, que la Roumanie et l¹Ukraine se sont longtemps disputée. Il y a donc encore dans cette région une forte communauté roumaine.
Avez-vous toujours chanté et joué de l¹accordéon ? Comment avez-vous appris?
J¹ai commencé l¹accordéon à 14 ans, j¹ai appris dans un conservatoire. Je suis ensuite devenu professeur de musique, j¹ai donné des cours dans des conservatoires et dans les écoles de musiques. J¹ai aussi beaucoup voyagé comme musicien et chanteur, dans le Caucase, en Bulgarie, en Hongrie, à Saint-Pétersbourg Š Je connais tous les pays dont je joue les répertoires. Je n¹ai jamais fait d¹autre métier, la musique c¹est toute ma vie.
Quels sont vos projets ici ?
Je suis en France car il y a beaucoup de familles d¹origine russe, ukrainienne, roumaine, moldave qui veulent entendre de la musique traditionnelle. On m¹invite parfois pour les fêtes, les mariages, les anniversaires. Il y a par exemple une église catholique ukrainienne à Cusset où je vais jouer parfois. Il y a aussi une église russe, l¹église Saint Nicolas dans le sixième qui a été construite en 1947. J¹ai joué aussi dans des fêtes comme celles du 1er décembre, organisée par l¹association Rhône-Roumanie. Ils font à cette occasion un grand repas ouvert à tout le monde pour faire découvrir leur richesse musicale et l¹histoire de leur communauté.
Je joue avec Vladimir, un Français qui vient de Russie, et parfois avec David, le violoniste du groupe Musafiri. Je joue des répertoires bielo-russes, russes, ukrainiens, roumains, ça dépends des demandes, je m¹adapte. Tous ces répertoires sont très diversifiés, ils sont d¹une grande richesse. J¹ai ajouté aussi depuis que je suis ici des chansons françaises.
Est-ce que votre répertoire a évolué ?
Le folklore qui existait avant dans mon pays est ruiné, tout a changé, c¹est une autre vie maintenant. L¹Union soviétique avait une orientation plutôt conservatrice envers la musique, et puis on connaissait mal les autres pays. Maintenant que les pays s¹ouvrent aux autres musiciens et aux autres artistes, c¹est plus riche, il y a des échanges importants, par conséquent mon répertoire s¹est ouvert progressivement.
Et votre style ?
Oui, mon style a changé un peu depuis que je suis en France. Il s¹oriente vers le jazz, je sais pas pourquoi Š ça arrive
Vous jouez avec beaucoup d¹inspiration un répertoire qui sonne très nostalgique.
Oui, vous savez, je suis tout seul ici, ma famille est restée là-bas. Jouer ces mélodies me calme, c¹est mon caractère. Ca dépend aussi de mon humeur de la journée. De toutes manières, c¹est une musique très sentimentale, il y a dans chaque morceau un petit morceau de vie. Avec l¹accordéon, j¹utilise beaucoup le soufflet pour ouvrir ce « quelque chose » qui se trouve dans chaque chanson et je joue avec beaucoup de suspensions et de silences.
Vous improvisez beaucoup aussi semble-t¹il ?
Dès que je pense à ouvrir cette mélodie, l¹improvisation vient tout seul ; elle s¹impose. C¹est en France que j¹ai commencé à improviser, parce qu¹ici, il y a une vrai liberté musicale . C¹est le pays, l¹atmosphère qui a provoqué cela Š En Ukraine, c¹est plus fermé, c¹est le système politique qui a régné pendant longtemps qui veut ça. Aujourd¹hui ma musique folklorique s¹imprègne d¹autres influences, elle se transforme. Et puis quand on est dans la rue, qu¹on joue et qu¹on rejoue les mêmes morceaux, on a envie de les renouveller.
Qu¹est-ce que ces mélodies représentent pour vous ?
C¹est ma vie d¹avant et c¹est ma vie d¹aujourd¹hui. Ca représente aussi mon rêve ; je voudrais avoir le droit de travailler comme musicien pour pouvoir jouer pour ces minorités qui habitent à Lyon. Je veux représenter ces communautés dont je parle la langue et dont je connais les musiques. Les musiques traditionnelles ne sont pas perdues pour elles. Kalinka, Katioucha, Maritchka, Trenbita sont des chansons très vieilles, elles sont chantées à chaque fête des communautés russes et ukrainiennes. Tout le monde
connaît ces chansons, petits ou grands, elles se transmettent de générations en générations. Ce sont pour la plupart des chansons d¹amour d¹un grand raffinement.
Est-ce selon vous des communautés récentes ou anciennes, sont-elles nombreuses à Lyon ?
Les communautés russes et ukrainiennes pour qui je joue sont implantées depuis longtemps à Lyon, elles sont là depuis la révolution de 17-18. Il y a également eu une deuxième vague d¹émigration pendant la deuxième guerre mondiale. Elles sont complètement intégrées à la population française. Certaines d¹entre elles parlent russe avec l¹accent français. Lorsque je
suis arrivé en France, j¹ai réalisé combien ces musiques restaient importantes pour nous ; à travers ces chants et mon accordéon, je donne un peu de nostalgie et d¹histoire. Ils ont soif de cette musique. Lorsque je joue, ils chantent, ils dansent : ils s¹arrêtent et se transforment tous en chorale. Pour moi, à chaque fois c¹est une grande émotion.
Vous considérez-vous comme un musicien de rue ?
J¹ai joué dans la rue quand je suis arrivé, maintenant je ne joue plus. Ca suffit à peine pour vivre et c¹est très dur.
Etes-vous attaché à Lyon aujourd¹hui ?
Lyon, je connais bien, c¹est ma ville maintenant. Quand je suis arrivé, j¹ai beaucoup marché, marché. J¹ai quadrillé la ville pour bien connaître ses rues et ses quartiers. J¹ai une carte de séjour que je fais renouveler régulièrement, ce que je veux aujourd¹hui c¹est le droit de travailler en France comme musicien.
Propos recueillis par P.B.
Vous pouvez joindre Mr Chobotar pour des animations musicales et pour des
cours de musiques (accordéon chromatique à boutons)
Tel : 06 24 37 54 41