Rencontre avec Claudine et Jean-Marc Ploquin
CMTRA : Claudine et Jean-Marc Ploquin, vous êtes responsables de la boutique Harmonia Mundi, récemment ouverte à Lyon, et vous proposez un catalogue de musiques du monde très important. Que doit-on faire pour gérer un grand nombre de références de disques de musique du monde ?
Claudine Ploquin : Nous avons ouvert le 6 mars 1998. Nous proposons plus de 1000 CD différents en musiques du monde, 2500 en classique et à peu près 1000 en jazz, un peu de blues, de la musique pour enfant et toute la collection des interviews de Radio France, en tout près de 6000 références.
Pour les musiques du monde, on les classe par pays. L'incroyable diversité de ces CD, de ces musiques exige de tout écouter, et à force de les manipuler, mais essentiellement de les écouter, on peut en décrire le contenu, l'instrumentation et les caractéristiques des styles musicaux.
L'esthétique musicale la plus demandée, c'est quand même la musique classique. Sinon la musique du monde est en pleine ascension, et va certainement parvenir bientôt au niveau de la demande du jazz. Tous les styles de musique du monde sont concernés, avec une demande forte sur les musiques orientales, les musiques arabo-andalouses, le flamenco, et les musiques soufies.
CMTRA : Les gens qui rentrent dans votre boutique et qui s'intéressent aux musiques du monde sont-ils connaisseurs, ou bien y a-t-il un grand travail de pédagogie à faire pour les orienter ?
Jean-Marc Ploquin : Les deux ! On reçoit des gens qui sont vraiment très, très pointus sur certains domaines (ils vont chercher la petite bête et arrivent bien souvent à la trouver! ) et puis, comme la musique du monde est en pleine ascension, des gens qui découvrent et viennent se renseigner, écouter, et ensuite ils choisissent selon leur goût.
C.P. : C'est à nous aussi de faire découvrir, et pour ça on diffuse souvent ces musiques dans le magasin, et les sonorités vocales et instrumentales aiguisent la curiosité de l'oreille, les gens nous questionnent, et ça leur donne envie de connaître mieux.
CMTRA : Dans votre catalogue de distribution Harmonia Mundi, pour les musiques du monde, il y a des productions propres à Harmonia Mundi, mais aussi beaucoup de disques qui sont produits par d'autres labels avec lesquels il y a un accord de distribution. Comment cela se passe ?
J.M.P : Les différents labels qui sont chez Harmonia Mundi ont des raisons d'être qui sont assez différentes. On va trouver des labels comme Ocora/Radio-France, Network qui en est l'équivalent en Allemagne, Le Chant du Monde, qui fait partie d'Harmonia Mundi, qui vont avoir une vision encyclopédique des musiques du monde. Voir dans chaque endroit ce qui se fait, sans chercher forcément d'artistes précis. C'est vraiment sur le terrain que ça se passe.
Et puis il y a d'autres labels comme Modal, Daqui ou Indigo, qui vont avoir une politique d'artistes. Ils font confiance à un certain nombre d'artistes qu'ils promotionnent. Nous distribuons, tous genres confondus, dix neuf labels.
Un autre label qui fait un travail très intéressant c'est Iris Music qui outre plusieurs artistes qu'ils suivent aussi régulièrement, font un gros travail de publication d'anciens enregistrements d'archives, ce qui permet de retrouver des musiques qui ont été pratiquement oubliées, comme le "chamamé" argentin, les "churos" brésilien, ou même des vieux enregistrements de "fado". Beaucoup de choses qui seraient tombées dans l'oubli sans eux. Indigo a aussi une partie de son catalogue sur le même sujet.
Le parti pris de départ est de ne pas tenir compte de la mode. On va avoir, avec ce qu'on appelle les institutions, une orientation presque ethnomusicologique, et en même temps les coups de coeur par rapport aux artistes qui sont intéressants.
C.P. : A la rentrée, nous proposerons des archives musicales du Cap Vert, les travaux des ethnologues qui sont sur le terrain, qui ont fait des enregistrements de musiques évidemment sans partitions. Ils sont partis là-bas et ils viendront à la rentrée nous expliquer tout ça. On travaille beaucoup avec les chercheurs du C.N.R.S.
J.M.P. : Dans les labels que nous distribuons, certains d'entre eux ont ce souci d'éviter tout phénomène de mode et d'aller plus sur le terrain : Ocora, Network, l'Institut du Monde Arabe et Harmonia Mundi. Il y a aussi une filiale d'Harmonia Mundi en Espagne. Autant Harmonia Mundi en France et aux États-Unis sont branchés sur le classique, autant Harmonia-Mundi/Espagne propose une couleur espagnole générale, avec évidemment du flamenco.
CMTRA : En complément de cette orientation patrimoniale, quelle orientation concernant la politique de l'artiste ?
J.M.P : Ca se passe toujours pareil, chaque label fait un choix, des coups de coeur d'artistes, mais dans une politique à long terme, une véritable politique d'accompagnement dans la durée.
C.P. : Entre autre Miguel Poveda, jeune artiste de flamenco, non gitan, ce qui est assez rare. Donc c'est vrai un coup de coeur d'Harmonia Mundi Espagne, qui va-t-être suivi comme a été suivi Ginesa Ortega dans le même style, des gens comme ça.
Restant traditionnel, il amène des touches contemporaines, genre accompagnement au piano.
CMTRA : Harmonia Mundi France, Espagne, États-Unis, où s'arrête cette domination du monde ?
C.P : (Rires). Non, nous ne sommes pas présents dans tous les pays tout de même. Pour les boutiques, il y en a deux en Espagne, sinon, uniquement en France, il y en a trente, plus deux forums livres et disques.
CMTRA : La caractéristique du catalogue général Harmonia Mundi, est donc de mettre à la disposition du public des documents dont on sait qu'ils ne se vendront probablement pas en grand nombre mais que vous considérez comme indispensables à votre catalogue !
C.P : Disons que notre politique de travail n'est pas "si dans deux mois ce n'est pas vendu, on le renvoie à la maison mère!". On garde tout à disposition et, au contraire, c'est ce qui fait la qualité du magasin. On a les perles rares que l'on garde tout le temps en rayon et si on les vend, on les fait revenir aussitôt.
J.M.P : Et si on peut en vendre cent mille, on en vend cent mille, il n'y a pas de problèmes (rires). On est bien là dans une autre philosophie que celle d'autres endroits. Dans les grandes surfaces culturelles, il y a comme nous le savons maintenant, obligation de rentabilité à très court terme, avec surveillance informatique des mouvements sur les références et sortie immédiate du catalogue s'il n'y a pas un minimum de ventes. C'est un autre esprit.
CMTRA : Le fait de Mettre à la disposition des mélomanes, des enregistrements rares, n'oblige-t-il pas à développer une culture personnelle énorme ?
C.P : Il y a nous, nos coups de coeur, car on ne peut pas tout aimer quand même, il ne faut pas rêver. Mais ça permet de découvrir, oui énormément de musiques, de traditions. Et aussi la clientèle nous fait découvrir, ce qui est très important.
Comme on leur propose l'écoute, ils peuvent nous expliquer aussi les traditions des pays. Donc ce qui est passionnant, c'est le contact avec le client. Personne n'est parfait et on apprend beaucoup. En règle générale, nous recevons des gens curieux, que la musique rend curieux, donc le dialogue est facile et permet à chacun de s'enrichir.
CMTRA : Une dimension assez importante : comment se font vos choix directs pour l'accueil de la musique vivante chez vous ?
J.M.P : Les choix se font au gré des gens que l'on rencontre et que l'on a envie de faire passer au magasin. Étant donné que l'on propose du jazz, de la musique classique et des musiques du monde, on veille à ce que les trois esthétiques soient présentes, lors de ce qu'on appelle nos "rencontres musicales". Et les musiques du monde sont présentes dans les concerts que l'on fait au magasin, comme par exemple avec Omar El Maghrebi, distribué par Harmonia Mundi et produit par Modal/Plein Jeu.
CMTRA : Ces événements musicaux qui se déroulent dans un environnement spécial, ne se déroulent pas tout-à-fait sur le modèle d'un concert. Est-ce-que vous avez une idée des publics qui viennent ?
C.P : Essentiellement les amis des artistes mais ça commence à s'élargir : les gens du classique peuvent venir écouter un concert musique du monde ou de jazz. L'entrée est libre, et ils découvrent des musiques pour lesquelles ils ne feraient pas le déplacement dans une salle de concerts.
J.M.P : Cela permet à des publics et à des artistes qui normalement n'auraient aucune raison de se rencontrer, de se rencontrer quand même.
Propos recueillis par J.B.
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