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Mugar, rencontre celtico-berbère
Festival "Musique au Parc" - Bourg-de-PĂ©age (26) - 3/5 septembre

Entretien avec Michel Sikiotakis Michel Sikiotakis : Mugar est né d'une création qui a eu lieu à la grande Halle de la Villette lors du festival "Le Printemps celtique" en 1996. A l'origine, la demande était assez floue, alors du coup nous avons eu assez de liberté pour faire ce dont on avait vraiment envie.

C'est une demande qui a été faite à Youenn Le Berre et à moi-même, et dès le début, on a essayé d'avoir une troisième tête, un musicien berbère qui piloterait cette partie de l'opération. Nous avons donc demandé à Nasredine Dalil, spécialiste de ce style de musique, de nous rejoindre pour ce projet. Nous avions deux missions : faire quelque chose de différent, et utiliser des musiciens amateurs en travaillant avec les banlieues parisiennes. Nous sommes parti sur cette idée celtique-maghreb, mais en rencontrant différents musiciens, chanteurs, on a vite réalisé que ce serait plus intéressant de le faire avec les musiques berbères, plus particulièrement avec les musiques kabyles, du fait de l'importante existence de la communauté kabyle en région parisienne en tous cas. Il y a une complicité au niveau musical, au niveau historique aussi, car ce sont des communautés qui ont été déplacées, qui ont subit l'immigration, ce sont des musiques qui ont été aussi opprimées pendant pas mal d'années.

Il y a des correspondances musicales assez étonnantes, ce sont des musiques qui ont dû s'acclimater à la ville : les kabyles ont été repoussés par les envahisseurs arabes vers les endroits les plus inhospitaliers du nord de l'Afrique, enfin les berbères en général habitent dans les endroits les plus difficiles. Les kabyles ont été forcément les premiers à être immigrés à Alger par exemple, et ensuite en France...

Arrivées à la ville, ces musiques ont dû s'accoutumer, trouver des moyens de survie dans d'autres milieux, un peu comme cela est arrivé aux Irlandais qui ont débarqués aux États Unis ou pour les Bretons à Paris... il y a donc des histoires très similaires, et puis il y a des manières de faire qui sont assez proches. Cela m'arrive assez souvent d'aller dans des lieux kabyles à Paris, et j'aime voir les gens se mettre autour d'une table et prendre une guitare ou une mandole pour chanter des chansons sans que se soit un spectacle. Tout le monde participe, soit en chantant soit en faisant de la percussion sur la table, et c'est tout à fait le genre d'atmosphère que je connais par les pubs irlandais, tout se fait d'une manière naturelle. L'idée du spectacle Mugar est parti de là. Maintenant, cela dépend du lieu où l'on joue, mais souvent, on se retrouve tous ensemble sur scène autour de petites tables de bistrot et c'est une réelle rencontre de communautés. Dans un esprit assez respectueux l'un de l'autre, il y a en fait assez peu de moments où les musiciens berbères jouent des airs bretons ou inversement, c'est à dire que chacun joue principalement sa propre musique. Il y a des moments de fusion totale, mais c'est une nouvelle musique qui en ressort où chacun garde sa manière de jouer, son style aussi bien vocal qu'instrumental pour le mettre au service d'une nouvelle musique.

Il y a un mélange de culture mais aussi de musiciens professionnels et de musiciens amateurs, c'était alors assez fort parce qu'on a des musiciens comme Youenn Le Berre qui est doit être à son 20ème disque avec Gwendal et autres, et puis des gens qui n'avaient jamais enregistré quoique ce soit, pour qui c'était la première scène, et qui se retrouvaient dans la même expérience. Maintenant, ce côté-là s'estompe un peu parce qu'on est en train de professionnaliser le groupe. Il y a également un troisième niveau de mélange, celui entre tradition et composition. CMTRA : Il y a eux d'autres expériences de mélange celtico-berbère, avant cette formation, mais c'est comme si Mugar semblait plus logique, plus naturel, comment expliquez-vous cela ?

M.S. : Lorsqu'il est arrivé en France, Idir, qui est un des chanteurs berbères les plus important a trouvé très vite un écho en Bretagne avec des possibilités de tourner. Il a été très apprécié là-bas, c'était déjà un signe. Alors expliquer Mugar, c'est difficile parce qu'avant tout c'était simplement pour se faire plaisir, sans oublier le public bien sûr. On a pas cherché à rentrer dans des critères commerciaux, ni dans des critères de succès ou de rentabilité, car il s'agissait d'une commande de trois concerts et dans l'esprit de tout le monde, cela ne durerait pas. Il n'y avait donc aucune contrainte. C'est cela qui est beau dans notre histoire, le public l'a ressenti aussi très fort.

Ces trois concerts à la Villette se sont transformés en quatre concerts, parce que les organisateurs ont tenu à ce que ce soit Mugar qui clôture le festival, et les gens revenaient avec leurs amis. Aujourd'hui le CD est là, mais entre la création et le CD, il y a eu pas mal de répétitions pour mettre tout cela bien en place, dans les meilleures conditions. C'est un CD qui a été enregistré très vite, sur deux-trois week-ends. Le groupe ressemble plus à un petit orchestre, c'est à dire qu'en fait Nasredine Dalil, Youenn Le Berre et puis moi-même, mettons en place le choix du répertoire, les compositions, les arrangements, et nous dirigeons les répétitions.

Les musiciens font partie entière du groupe, mais c'est vrai que cela fait plus penser à un orchestre. Nous sommes 15, donc, vu le nombre on était obligé d'opter pour un fonctionnement comme celui-là. La commande de départ était dans cet esprit, proposée à l'origine à deux personnes, qui devaient créer un ensemble. On a mis au point un plan très précis du type de spectacle qui allait être joué. Ensuite, les différents thèmes, traditionnels ou les thèmes composés, et les différents arrangements sont venus naturellement. Avec certaines parties d'improvisations qui se mélangent aux thèmes traditionnels ou aux compositions, pour cela, il n'y a pas de règles fixes, le groupe est seul juge, suivant ses envies. Le mélange de ces trois inspirations fait partis de ce groupe, chacun amenant son bagage musical.

Il faut savoir que chaque musicien est respecté dans son milieu d'origine, alors il ne s'agissait pas de faire un mélange qui ne part de nulle part. Youenn Le Berre, flûtiste, a touché aussi bien au monde contemporain qu'au jazz, à la musique classique ou au folk celtique. Nasredine Dalil connaît excessivement bien toutes les musiques du Maghreb et en particulier les musiques kabyles puisqu'il est kabyle lui-même. Le groupe de musique irlandaise intégré dans Mugar et qui s'appelle Broken String sont des jeunes qui n'avaient jamais enregistré, issus entre autre des ateliers que j'anime à l'association irlandaise, mais ils étaient déjà demandés dans leur propre milieu. CMTRA : Est-ce qu'on trouve réellement des similitudes de jeux, ou de rythmes entre la culture musicale celtique et la culture musicale berbère, est-ce un constat issu d'une réalité historique ?

M.S. : Il y a évidemment des similitudes entre la musique bretonne et la musique kabyle, entre la musique irlandaise et la musique chaoui, une forme de musique berbère. Mais, en ce qui concerne l'histoire, je ne suis absolument pas compétent dans ce domaine, je me suis vraiment placé en tant que musicien. Certains disent que les celtes seraient passés par l'Afrique du Nord. Il est vrai que l'on retrouve des menhirs en Afrique du Nord, mais de là à échafauder des théories historiques, cela n'est pas de mon ressort.

D'un point de vue musical, on retrouve des choses très proches qui sont troublantes : certains chants de femmes de mariage ressemblent étonnamment à des gavottes bretonnes, on se rend compte également que certains rythmes berbères vont bien sur des gigues irlandaises. En Irlande, les slow airs et les sean nös, chantés avec des styles vocaux sont assez proches finalement de ce que l'on peut entendre en Afrique du Nord, ou dans le monde oriental en général, avec tout le côté ornementé, les sonorités de la langue aussi. On a dans un des morceaux quelques paroles en bretons qui s'enchaînent sur des paroles en berbères et on passe de l'une à l'autre des langues sans s'en rendre compte au niveau phonétique bien sûr, car les initiés connaissent évidemment la différence.

Maintenant, je pense que l'on a déjà mis beaucoup de choses extrêmement différentes sous le chapeau "musique celtique", c'était alors aussi un petit "pied de nez" de dire : "voilà, c'est aussi de la musique celtique !". Les échos reçus pour cette création sont positifs, les gens disent que l'on est arrivé à passer d'une musique à l'autre sans que l'on s'en aperçoive vraiment. Et, c'est pour nous, avant tout plus un message humain que musical qui dit : "Il suffit de s'asseoir côte à côte et de voir ce que l'on peut faire ensemble". CMTRA : Mugar me fait penser un peu à l'ONB qui a pour lui des influences de l'Afrique du Nord mais qui réalise aussi de savants mélanges culturels développés en milieu urbain, et qui justement trouve sa place dans la ville parce que les musiciens s'y sont installés comme chez eux. J'ai l'impression que c'est le même désir chez Mugar, de revendiquer une pluriculturalité à l'intérieur de l'espace métropole, comme un principe premier de savoir-vivre ?

M.S. : Oui, entre Mugar et l'ONB, il y a des liens, d'abord des liens d'hommes, car Nasredine Dalil a lui-même joué avec les premières versions de l'ONB. Fatah Ghoggal qui joue de la guitare avec Mugar est aussi le guitariste de l'ONB. D'autre part, c'est un peu la même démarche de dire : "Regardez, nous sommes de cultures différentes, nous sommes porteurs de ces cultures, respectueux avant tout, mais nous les faisons vivre dans le Paris d'aujourd'hui". En ce sens, il y a vraiment quelque chose de similaire avec l'ONB. Alors, l'enrobage n'est pas le même, Mugar a fait le choix d'avoir un son acoustique. La couleur générale est assez différente, mais la démarche est sensiblement la même.

Ce qui est surtout important c'est d'arriver à ne plus opposer "enracinement dans une culture et création". C'est vrai que chaque milieu musical peut être assez oppressant, que ce soit le milieu traditionnel, kabyle, breton ou même jazz, chaque milieu musical comporte sa proportion de fanatiques. Je pense que le public est touché par l'espoir que notre musique amène, l'espoir de dire : "on est différent mais on peut vivre ensemble". CMTRA : L'avenir de Mugar dont vous allez nous donner la signification ?

M.S. : "Mugar" veut dire "rencontre", mais c'est aussi le nom d'un lieu de rencontre de caravane dans le sud algérien, donc un lieu de fête. Alors, pour l'avenir, on pense à un prochain CD. Chacun par contre continue sa propre musique, c'est important pour garder le sens de Mugar, pour garder cette notion de rencontre, de joie de se retrouver ensemble. Sur le prochain disque il y aura un peu plus de compositions toujours en gardant certaines parties traditionnelles. Propos recueillis par Catherine Chantrenne Contact :

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