Les lumières du Fanous
Entretien avec Youssef hadit
CMTRA : Youssef Hadit, tu es responsable du Fanous mais tu es aussi à l'initiative de l'ouverture de ce lieu, peux-tu nous retracer un peu son histoire ?
Youssef Hadit : C'est un projet qui trouve ses origines dans mes différentes expériences de musicien. J'ai beaucoup travaillé avec des structures associatives et autres, et j'ai déjà monté des projets dans cet esprit. L'idée d'ouvrir un lieu insolite, un espace convivial consacré aux musiques traditionnelles de tout bord, s'est ficelée petit à petit. Il fallait choisir un quartier, un local, bref le cachet qui pourrait envelopper cette idée. J'ai mis trois ans à assembler ces éléments et le choix s'est porté sur Les Pentes de la Croix-Rousse.
CMTRA : Votre installation sur les pentes de la Croix-Rousse correspond-elle à une motivation particulière, quelle place y occupent les musiques traditionnelles ?
Y.H. : On ne peut pas dire aujourd'hui que les musiques traditionnelles occupent une place très importante sur le quartier, mais en même temps c'est un quartier qui a tout le potentiel pour. C'est le quartier de Lyon qui est en même temps insolite et populaire.
On y assiste de plus en plus à un mouvement culturel géré plus ou moins par de petites structures. C'est un quartier qui couve une énergie suffisante qu'il faudrait canaliser si on a envie qu'il se développe dans le sens de l'échange.
Des manifestations comme "Les Jeudis des Musiques du Monde" en sont l'illustration incontournable, mais je pense qu'aujourd'hui il ne faut pas s'arrêter là . Les Pentes, la Croix-Rousse ou tout simplement Lyon méritent beaucoup plus et la matière est là !
CMTRA : Quels sont les axes de votre programmation ?
Y.H. : Notre programmation propose trois concerts par semaine axés sur des musiques de cultures différentes. Et puis nous essayons de créer des rencontres entre ces musiques. Donc il y a souvent des soirées "improvisées" qui donnent naissance à des fusions très surprenantes. Il y a aussi des programmations autour des contes, des lectures, des expos... C'est un lieu dédié à l'art et à la culture, y compris à la culture dans son sens gastronomique.
CMTRA : Le programme de cette année ?
Y.H. : Il y aura beaucoup de choses inédites comme la semaine de la poésie québécoise. On va accueillir une troupe suisse de onze chanteurs et chanteuses autour de la chanson traditionnelle de Lausanne. Il y aura deux troupes de Gnawa dont une résidera ici pendant une semaine pour des lila de gnawa, nous organiserons une nuit de musique gnawa comme au Maroc et non pas un concert de gnawa comme on peut en voir dans une grande salle en France.
Il y aura des formations plus connues qui vont faire des soirées intimes ici. Et comme la saison dernière, des programmations qui vont tourner autour du Brésil, du Maroc. Mais aussi des Algériens de Grenoble pour un concert de musique arabo-andalouse, du flamenco, des expositions de peintres marocains d'Essaouira. On est également en train de créer un atelier de danses et de percussions. Les élèves donneront des représentations de temps en temps au Fanous et un spectacle en fin d'année dans une plus grande salle. On laisse aussi une marge pour des programmations de dernière minute. Le programme est édité chaque mois.
CMTRA: Tu pourrais raconter comment tu as rencontré les musiques traditionnelles sur ton parcours et comment elles t'ont semblé propices à ces ouvertures que tu as évoquées ?
Y.H. : Il y a d'abord mon origine culturelle marocaine bien que je ne sois pas né dans une zone qui me transmettait automatiquement cette culture traditionnelle, car je suis né dans la mégapole de Casablanca. Pour moi aussi cette musique traditionnelle était exotique. Donc j'ai du aller moi-même vers une tradition alors que ma génération et le Maroc se tournaient vers le modernisme et ceci est arrivé grâce au groupe légendaire casablancais Nass el Ghiwane, qui a été pour notre génération le phénomène culturel, l'école qui nous a donné le goût d'aller découvrir notre propre patrimoine.
Ce groupe a vu le jour au début des années 70, c'étaient des jeunes qui sortaient des quartiers populaires de Casa et qui ont eu l'idée d'aller vers les musiques traditionnelles du Maroc, qui les ont investies dans une structure nouvelle et ont sorti de cela une chanson de contestation. Et c'est en les cotoyant directement dans leur quartier, en assistant à leurs répétitions que j'ai comméncé à chanter et à jouer des percussions. Je dirais même que quand j'ai découvert Nass el Ghiwan, j'ai su que je chanterais. A
près, avec le temps, je suis allé vers la source de chaque chose que j'écoutais, à la rencontre de Gnawa, de Jillela, de musique berbère... Il y avait aussi le phénomène de la Halka (spectacle de la rue). J'ai reçu dans tout ce parcours une tradition orale que j'ai transportée en France, que je n'ai pas cessé de développer.
CMTRA : Tu as voulu offrir un lieu qui soit en quelques sortes un nouveau cercle d'échange autour de ces musiques, quel public a été sensible depuis deux ans à l'originalité de cette démarche ?
Y.H.: On ne peut pas dire qu'il y ait un seul type de public. Pour la démarche, il y a un public aussi bien chez les artistes qui voudraient trouver des endroits comme ça pour s'exprimer et pour se rencontrer que pour le public. Même si on a tout fait pour arriver à un résultat encourageant, on a été quelques fois étonné de la sensibilité du public, de ses réactions à la beauté et à l'ambiance insolite du lieu. Le public nous encourage beaucoup et devient de plus en plus complice de la démarche.
Nous avons visé dès le départ une certaine originalité. La ville de Lyon couve des trésors cachés et c'est par amour pour cette ville, qui à mon sens n'a pas ce qu'elle mérite au niveau culturel, que nous avons créé le Fanous, qui veut dire en arabe la lanterne, un clin d'oeil à la tradition des lumières à Lyon.
Le quartier des Pentes de la Croix-Rousse mérite un lieu comme ça, qui amène une couleur différente, d'autres modes d'expression et de rencontre, j'espère que d'autres vont voir le jour, c'est comme ça que les préjugés tombent petit à petit. La culture maghrébine en général est très ignorée, elle est amalgamée avec l'histoire de l'immigration en France, le problème algérien etc. Le Fanous c'est aussi un moyen de relativiser la place du raï dans la culture arabe. En la matière, la France couve bien d'autres potentiels qui ne sont pas découverts. Nous essayons de faire avancer les choses dans ce sens.
CMTRA : Ton activité musicale en ce moment ?
Y.H. : Le groupe s'appelle Transc'it. C'est une allusion à notre ancienne formation de musique de transe qui est actuellement en transit. C'est une formation qui devrait s'agrandir, qui s'inspire des traditions musicales du Maroc et d'Orient en général par les rythmes, par le métissage des musiciens et par le chant mêlant des textes anciens et contemporains.
J'ai également le projet de monter des contes musicaux.
Je tiens à garder les textes anciens parce qu'il y a une expression dialectale, une poésie populaire métaphorique propre à chaque minorité marocaine dont je cherche à restituer les images par la musique.
Propos recueillis par Valérie Pasturel
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