Machete
[Ecouter des extraits musicaux de la chorale de la Guillotière->article917]
Entretien avec Mirtha guerrero, José Bellumbrosio et Denis Mignard
CMTRA : Mirtha, tu es la fondatrice de Machete. Ce groupe interprète des musiques de la côte pacifique du Pérou, là où tu as grandi...
M.G. : Oui, je viens du Pérou, de Lima. La musique que l'on essaye de reproduire ici avec Machete, c'est la musica negra, la musique noire du Pérou. À Lima, j'ai grandi dans un milieu où la musica criolla faisait partie de la vie de tous les jours. La musica negra fait partie de la musica criolla, les influences musicales africaines sont plus présentes. Cette musique est remplie de toute cette charge du passé. C'est ainsi que s'est définie son évolution et son identité, entre l'esclavage, la tradition andine et coloniale, et ce métissage a commencé dès l'arrivée des Espagnols.
Quand tu es arrivée ici tu as eu envie de reprendre une activité autour de la musique ?
M.G. : Non, il y a eu une pause. J'ai quitté le pays dans des circonstances difficiles liées à la situation politique du pays à ce moment-là. Ensuite je me suis aperçue que je ne pouvais pas vivre sans faire de musique. En fait dès mon arrivée à Lyon, j'ai rencontré des musiciens et ils n'étaient pas Latinos! Ça a reprit à ce moment-là...
Est-ce que ta manière de concevoir et d'interpréter ce répertoire s'est beaucoup transformée depuis que tu es arrivée ?
M.G. : C'est un résultat naturel, suite aux rencontres avec les musiciens et puis au vécu musical. La musique de Machete ne serait pas ce qu'elle est si je n'avais pas rencontré Denis Mignard par exemple... Avec lui on a travaillé vraiment l'esprit, si je peux dire, de mes compositions et c'est très important je pense quand, à la base, il y a une matière très personnelle. J'ai mis du temps à travailler ces choses-là, mes textes et leurs musiques, maintenant c'est devenu vital. Et en même temps c'est tellement plaisant de jouer des morceaux du répertoire « negro » que je ne pourrais pas m'empêcher de leur laisser une place. Dans la composition je ne me contrains pas forcément à respecter la tradition, ça fait qu'il y a des choses qui « sonnent » vraiment musica negra et d'autres qui se rapprochent beaucoup plus d'autres musiques.
Est-ce que le fait de faire cette musique aujourd'hui ici te permet de garder un lien privilégié avec le Pérou ?
M.G. : Oui, absolument ! C'est vraiment un lien et c'est d'un grand secours car l'exil est une expérience qui fait prendre conscience de l'identité. Je préfère d'ailleurs le terme d'expatrié ça me correspond plus, car l'éloignement et l'adaptation qui en résultent font aussi prendre conscience de l'importance de l'ouverture à tout niveau, donc musical. Dans mes textes c'est un sujet présent, qui me pose beaucoup de questions en tant qu'être humain et artiste. C'est sûr que c'est un moyen de faire perdurer des choses qui autrement ne seraient restées que pour moi et qui du coup se seraient perdues petit à petit.
Denis, Machete est ta première expérience dans les musiques du monde ? Qu'est-ce qui t'a plu ?
D.M. : Quand on joue une mesure de festejo ou de lando on se fait couper l'herbe sous le pied, il y a toujours une marche en trop ou en moins. Ce n'est pas évident à capter. Au début je croyais que c'était Mirtha qui jouait mal ! C'était pas carré, en 4/4. C'est du ternaire en 6/8 mais ça peut être interprété en 6/8 ou en 3/4. C'est une musique vraiment orale qui permet des interprétations très différentes. Il a fallu que j'en écoute beaucoup.
Et toi, José, tu es arrivé il y a peu de temps du Pérou et tu viens d'une famille qui joue un rôle important dans la musica negra ?
J.B. : Mon père, Amador Ballumbrosio, est l'ambassadeur de la culture afro-péruvienne au Pérou. J'habite dans un village noir qui est l'épicentre de l'esclavage et de la musique afro-péruvienne, El Carmen, au sud de Lima. Tous les musiciens qui pratiquent ces musiques aujourd'hui sont allés voir mon père pour apprendre et connaître l'histoire des esclaves et El Carmen est un village très important pour cette raison. La musique noire est arrivée au Pérou avec les esclaves qu'on envoyait travailler dans les chants de coton et longtemps c'était une musique interdite. C'est une musique très riche et forte parce que c'est une culture forgée dans la souffrance. Elle est puissante par son rythme et ses textes. Elle exprime la peur, la souffrance, le besoin de liberté. C'est un voyage de douleur, de tristesse mais aussi de joie. Notre famille à pour rôle de conserver et transmettre la culture afro-péruvienne. Déjà tout petit, avec mes quinze frères et sœurs, on devait apprendre. Je me souviens que tous les dimanches, on se réunissait et mon père racontait l'histoire de la famille, de l'esclavage, de la torture. Aujourd'hui c'est un devoir que je continue à assumer ici avec Machete.
Pourquoi « Machete » ?
M.G. : C'est venu comme une évidence. Machete c'est une machette, un symbole de liberté. C'est mon intention de faire cette musique ici contre vents et marées. Je voulais quelque chose qui identifie notre musique et le répertoire de la musica negra. C'est le symbole de l'esclavage et de la liberté. C'est l'instrument qu'on utilise pour avancer, ouvrir un chemin dans la forêt, pour couper la cane ou fabriquer un cajón.
Propos recueillis par Y.E.
Retrouvez Machete dans la [lettre n°59->article41]
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