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Lo Kèr I Bat
Le cœur bat





Entretien avec René Lacaille





CMTRA : René Lacaille, ce n'est pas un peu lourd à porter ce titre d'ambassadeur de la musique réunionnaise ?

René Lacaille : Non, pourquoi ? Et puis vous savez, je ne suis pas tout seul : il y a aussi Danyel Waro, Gramoune Lélé, Firmin Viry... Et puis quand je bouge quelque part, c'est toute la Réunion qui bouge avec moi. J'ai joué une trentaine d'années dans cette île avant de la quitter. A cette époque-là, je jouais partout, on jouait énormément et dès que l'occasion se présentait, dans les mariages, les bals, les fêtes foraines .... On faisait les fiançailles et les divorces. Les musiciens aujourd'hui choisissent de ne jouer que sur des podiums et jouent beaucoup moins. Nous on jouait beaucoup, on n'arrêtait pas. J'ai quitté la Réunion parceque c'était plus facile pour moi de voyager, et d'être en contact avec le monde. Je suis maintenant un Rhône-Alpin, j'habite à Grenoble. Vive la Réunion, c'est super, mais pour pouvoir jouer dans le monde, j'ai choisi de vivre ici plutôt que de rester là-bas. Est-ce que vous pouvez nous décrire comment les musiques circulent sur l'île et comment elles se mélangent entre elles?

C'est une île complètement métissée. Les mélodies circulent et s'échangent. Autrefois on entendait un marin siffler une mélodie dans un bar, on parvenait à capter un bout de cette chanson et on se mettait à la jouer. Il nous est arrivé de choper l'autre moitié de la chanson seulement quinze ou vingt ans après ... On attrapait tout ce qui passait et on en faisait notre musique. Donc vos influences musicales ne venaient pas de la radio ou de productions discographiques ?

Nous n'avons eu la radio que très tard ... Nous on écoutait simplement et c'est oralement que l'on apprenait tout cela. On recevait des norvégiens, des anglais ... il y avait des bateaux qui arrivaient de partout. Quand les marins norvégiens chantaient des chansons traditionnelles, nous on jouait du norvégien sans même le savoir. On a joué des valses viennoises en apprenant comme ça, sans les disques. Les disques sont arrivés bien plus tard. Tout ce qu'on apprenait à cette époque venait des marins et était assimilé oralement. Avec eux arrivaient aussi des tas d'instruments. Mon père qui était musicien était très ouvert, notre famille adorait les instruments. C'est comme ça que je me suis mis à jouer de l'accordéon. Mon père, mais aussi mon grand-père en jouaient avant moi. Est-ce que la musique était pratiquée collectivement ?

Il n'y avait pas de professionnels. Mon père faisait de la musique et travaillait la terre, tout le monde devait faire autre chose pour pouvoir manger. À La Réunion, tout le monde chante plus ou moins ... Donne à un Réunionnais une guitare ou un tambour, il en fera quelque chose. On a ça dans la peau, dans le sang. L'île est petite, donc quand les voisins se mettent à jouer, on l'entend tout de suite. Aujourd'hui, il y a encore des « groupes pays » qui jouent la musique trad, sinon les jeunes sont plutôt dans le hip-hop, ils utilisent le créole et ils renouvellent les rythmes. Guitare, accordéon, voix ... vous jouez une multitude d'instruments. Comment arrivez-vous à jongler entre eux?

Il y a toujours eu plein d'instruments à la maison, trombone, accordéon, piano, banjo ... Donc j'ai suivi aussi, je joue du charango*, du ukulele*, du chouras, de l'accordéon diatonique, de l'accordina, et puis j'ai aussi tous les tambours. Pour moi c'est naturel. Parfois je ne touche pas ces instruments pendant des mois. Je ne me prends pas vraiment pour un accordéoniste, car je joue de beaucoup d'autres d'instruments. Vous savez, guitare ou accordéon pour moi, ce qui est important c'est de jouer. Je passe beaucoup de temps à jouer, comme un gamin. Vous pourriez faire un groupe à vous seul avec tous vos instruments ...

Je n'aime pas jouer seul. Je serais triste de voyager tout seul, il faut quelqu'un pour partager un peu. Je viens d'une île, peut-être que c'est pour cela ... Les tambours, comment en jouez-vous ?

Il y en a des tas. On a des percussions du monde entier chez moi. Tambours de la Réunion, tambours cubains ... Je joue beaucoup d'instruments mais je n'en joue pas à la façon des autres. Quand je joue du charango* qui vient de Bolivie, c'est un instrument que je ne vais pas jouer à la façon d'un Bolivien. Ce que je recherche, c'est prendre un instrument que je ne connais pas et de le jouer à ma façon. Jouer comme un Colombien un instrument colombien, c'est faire de la copie. C'est bien de voir un Européen jouer de la musique arabe avec un oud par exemple. Ca me fascine, car un Bourguignon n'aura pas la même approche qu'une personne originaire de pays arabiques. Ce qui compte c'est d'avoir un instrument, de le sentir et de sortir un truc à soi. Vous chantez aussi sur certains morceaux ...

Je suis pas un chanteur mais je chante. J'emploie ma voix, comme j'emploierais un saxo, j'utilise la voix comme un instrument. Je fais partie d'une génération de gens qui aime les mélodies. Je crois qu'on aime ma musique car je ne joue pas à l'artiste-top-soleil. Je suis dans ma cuisine, je fais de la musique comme je vis. Je ne suis pas dans la mode, à me dire « tiens il faut que je mette le dernier truc que j'ai entendu». Ma mode à moi, c'est de jouer de la musique depuis très longtemps. La langue créole donne un ton très enjoué à votre musique, avez-vous essayé avec le français ?

Je ne compose qu'en créole. Je pourrais essayer en français pourquoi pas, mais il y a tellement de grands compositeurs (ah Brassens !)... Le créole, c'est ma langue maternelle tout simplement. On nous a obligé à parler français à l'école lorsque l'on était petit, mais c'est en créole que j'arrive à m'exprimer. C'est une langue très imagée, c'est une langue pour l'imagination. Un proverbe existe à la Réunion qui dit : « zoreille gos y'entend pas comm' zoreille droite », c'est à dire « l'oreille droite n'entend pas la même chose que l'oreille gauche» . Avec le créole, ce n'est jamais sûr. Tout peut avoir plusieurs sens et pour moi, c'est très important. Quand on entend quelque chose dans une chanson créole, il vaut mieux s'assurer auprès d'un vieux créole ce que cela veut dire car on a toujours des surprises... C'est une langue pour les ruses ?

Oui, exactement. Vous savez, moi je suis un moqueur. On aime faire rire quand on parle créole. Toujours, derrière les paroles, il y a cette envie de faire rire. En tout cas moi, très vite une discussion trop sérieuse m'endors. Dans le créole, il y a des mots malgaches, des mots qui viennent de l'anglais, des mots qui viennent de toutes les communautés qui ont métissé La Réunion. Après l'esclavage, quand la Réunion a commencé à se peupler massivement, ça s'est peuplé avec des Hollandais, des Espagnols, des Italiens ... et ces populations se sont ajoutées aux Malgaches qui étaient arrivés bien avant. Je ne sais pas si vous pouvez imaginer le mélange qu'il y a. Donc quand on parle créole réunionnais, il y a des mots qui viennent de partout. Aujourd'hui il est tellement mélangé, qu'il a perdu beaucoup de mots. Si vous voulez une idée du créole de cette époque, il faut écouter Danyel Waro qui emploie beaucoup de mots anciens. Nous sommes des petites bibliothèques réunionnaises. J'essaie de placer des vieux mots et de les faire revivre dans mes chansons. Pour le festival des Jeudis, avec qui allez-vous jouer ?

Aldo Guinart, flûte et saxophone, Marc Lacaille, Aurianne Lacaille, et Yanis Lacaille aux percussions et au chant. C'est pas de la musique pour dormir, c'est du chaud, chaud. Comme dit Bob Brozman « Y'aura pas un seul fauteuil sec ». Il y a beaucoup de Lacaille dans ce groupe, ça reste donc une grande affaire familiale ?

Oui, je me sens très bien comme cela. Pourquoi chercher loin ce que l'on a sous la main, et puis vous savez, ils sont tombés dans la marmite tout petits comme moi, et ils sont très bons. Sinon il m'arrive aussi de jouer avec Raoul Barboza, un grand seigneur de l'accordéon en Argentine et Antonio Rivaz qui est colombien. Colombie, Argentine, et la Réunion, pour nous c'est facile de nous retrouver musicalement tous les trois. Nous avons les mêmes rythmes, mais avec des accents différents. Chacun amène du piment chez l'autre. Votre musique s'imprègne d'influences multiples et sont des compositions, vous reconnaissez-vous dans l'appellation « musique traditionnelle de la Réunion »?

Oui, car il y a le rythme. Comme Danyel Waro, 90 % de ce que je joue sont des compositions personnelles. Donc c'est du contemporain sur du traditionnel. Mais ce que je fais est plus traditionnel que certains groupes actuels de la Réunion, qui sont plus inspirés par le reggae par exemple. Pour vous c'est le rythme qui vous enracine dans cette musique ?

Oui, j'ai tous mes tambours avec moi et ce que je joue c'est vraiment du roots réunionnais. Moi, c'est ça qui me fait vivre et c'est ça que j'ai envie de faire vivre. Enchanté, ravi de faire votre plein d'essence ! Propos recueillis par P.B. Retrouvez René Lacaille dans la [lettre n°59->article57] -charango : instrument à cordes des Andes péruviennes et boliviennes -ukulélé : petite guitare à 4 cordes d'origine portugaise Contact [marie-wild@wanadoo.fr->marie-wild@wanadoo.fr]


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