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La parole du bois





Entretien avec Gérard Coppéré





CMTRA : Gérard Coppéré, vous êtes spécialisé dans la conception et la réalisation d'expositions itinérantes sur un thème central, les instruments de musique du monde. Vous présentez actuellement une exposition intitulée « La Parole du bois ». De quoi nous parle-t-elle donc ?

Gérard Coppéré : « La Parole du bois » est une exposition itinérante qui a vu le jour il y a deux ans. Cette collection présente environ 200 instruments de musique du monde issus du règne végétal. Photographies de musiciens, documents ethnographiques et pédagogiques, objets rituels et usuels, et bien sûr animations, complètent l'exposition. Si le règne animal entre dans la fabrication de nombreux instruments de musique, avec les peaux, cordes en boyaux, cornes, et le règne minéral avec les lithophones, le règne végétal offre incontestablement la plus grande diversité de matériaux pour la réalisation des instruments de musique. Musiciens et facteurs puisent dans leur environnement ces matériaux simples ou complexes qui seront utilisés en l'état ou soigneusement travaillés. La Parole du bois offre à voir et à entendre des graines, coques, gousses, bambous et calebasses mais aussi les principales essences occidentales et les bois « exotiques ». Ce sont tout d'abord les arcs musicaux et les rhombes dont les premières représentations remontent au magdalénien (10 000 ans avant notre ère). Viennent ensuite les pluriarcs et les harpes d'Afrique centrale dont les caisses de résonance en bois de tulipier rappellent l'esthétique de la pirogue. Souvent, une figurine humaine, d'une exceptionnelle beauté à l'image du répertoire musical, termine le haut du manche de la harpe. L'Afrique, cependant, n'a pas l'apanage de l'anthropomorphisme puisque l'on retrouve cette préoccupation esthétique dans l'instrumentarium européen avec les têtes de violes, violons ou vielles à roue. Viennent ensuite les nombreuses flûtes et « anches » en roseau ou bambou, puis les innombrables percussions ; hochets et sonnailles en graines ou en calebasses, bambous raclés ou entrechoqués, cloches en bois, languettes en fibres végétales...et les tambours, symboles du pouvoir, liés à la danse et au divertissement. La visite se termine par les bois de lutherie européenne et la marqueterie ainsi que l'apparition des premiers brevets d'invention (Cyril Demian pour l'accordéon en 1823 et Adolphe Sax pour le saxophone en 1846 par exemple) Dans votre exposition figurent des instruments étonnants, comme le tambour « parleur » de Centrafrique. C'est une pièce monumentale, qui a demandé une technique de fabrication spectaculaire. On ne peut que saluer le génie humain qui fait preuve de trésor d'inventivité dans la réalisation, la conception et les techniques d'utilisation de ces instruments.

Le premier instrument de musique universellement connu est tout simplement notre corps. Les claquements de mains, les martèlements du sol avec les pieds sont, avec la voix, les premières manifestations sonores émises par l'homme. Plus tard, ce dernier a trouvé dans son environnement différents matériaux, dont les végétaux comme des troncs creux d'arbres morts, en les frappant, il en a mesuré l'efficacité sonore. Il a secoué des graines, soufflé dans des roseaux, pincé une liane tendue sur un arc. De ces expérimentations ont émergé des dispositifs qui se sont stabilisés. Si le rhombe est un objet sonore abouti, d'autres instruments ont évolué au cours des millénaires grâce à l'ingéniosité des musiciens, l'usage d'outils, les migrations et voyages, l'apprentissage et la connaissance des lois acoustiques. Les objets sonores à hauteur de son indéterminée, les bruiteurs, sont devenus des instruments de musique sur lesquels le contrôle des fréquences émises devint possible. L'instrument de musique est un outil producteur de sons qui permet un degré élevé de contrôle de l'émission sonore, en fréquence, en timbre et en puissance. Il permet l'épanouissement de l'être humain qui l'utilise. Il est l'élément moteur d'une culture musicale. La Parole du bois permet d'apprécier l'ingéniosité des musiciens, des facteurs et luthiers dans la réalisation de leurs instruments, tant européens qu'extra européens. Ce tambour « parleur » Linga Yanguéré des Bandas de Centrafrique dont nous parlions en est un des exemples. De deux mètres de long, monoxyle, c'est à dire sculpté dans une seule pièce de bois de takula ou bolando, une essence très dense, il peut être entendu à plus de dix kilomètres. Son concepteur a choisi cette essence en raison de ses excellentes performances sonores et de sa résistance. Ses poignées et pieds sculptés apporteront également confort au musicien pour le transport et le jeu. Les essences plus tendres, comme l'épicéa ou l'érable sycomore, seront choisies pour leur rapidité à propager les sons et leur résistance aux déformations, elles deviendront tables d'harmonie sur les violons d'orchestre et caisses de résonance sur les luths et les vièles. Dans l'exposition, chaque instrument est accompagné d'un cartel mentionnant les matériaux entrant dans sa fabrication, ses techniques et occasions de jeu. Les noms en latin des essences et espèces sont également mentionnés. Quelle est votre méthode pour réunir ces très nombreux instruments ?

J'ai rapporté la plupart des instruments de mes voyages. Le collectage a commencé il y a environ vingt-cinq ans. Etant musicien, j'ai pu établir des contacts et relations privilégiés avec les musiciens rencontrés. Les instruments acquis l'ont été avec courtoisie et respect, parfois avec complicité par le biais d'échanges appropriés avec le musicien. Chaque instrument et objet ont une histoire, une patine, un son porteur d'images et d'émotions qui transparaissent dans l'exposition. L'instrument présenté est mis en valeur par la scénographie, il est à la fois isolé et re-situé dans son contexte social par des objets usuels ou rituels et des photographies de musiciens en situation. Pour « La Parole du bois », j'ai sélectionné dans ma collection les instruments issus du règne végétal. L'Afrique subsaharienne est très présente car son instrumentarium est extrêmement riche, il va des instruments les plus simples comme les sonnailles en graines d'Entada (qui ressemblent à nos marrons) aux instruments plus élaborés comme les sanzas du bassin du Congo ou les balas d'Afrique de l'Ouest. En outre, cette diversité permet aux visiteurs de suivre l'évolution des instruments de musique de leurs origines à nos jours. En Europe, la quasi-totalité des instruments antérieurs au XVI ème siècle a disparu. La lyre, par exemple, connue en Europe au Moyen-age n'est plus jouée qu'au Soudan ou en Ethiopie. En Europe, elle est devenue le symbole de la Musique. Enfin, pour ce qui concerne l'Afrique noire, un clin d'œil volontaire est fait aux « Arts premiers ». Par goût bien sûr, mais aussi pour répondre à l'intérêt du public pour ce courant esthétique. La double fonction d'un instrument de musique - forme et source sonore - en font un objet unique qui permet à l'ethnomusicologue de rencontrer le collectionneur pour une meilleure information du visiteur. Tous les continents sont représentés dans La Parole du bois. Nos luthiers sont en bonne place ; un volet de l'exposition traite par exemple des vernis employés sur les instruments européens et extrêmes orientaux, un autre volet traite des bois tournés (buis, ébène, palissandre...) pour l'adjonction de clés sur les flûtes, clarinettes et hautbois. Cette promenade dans l'instrumentarium végétal semble passionnante, mais le visiteur peut-il écouter ces instruments de musique ? Voir en utiliser certains ?

Pour répondre à ce souhait légitime, plusieurs formules sont proposées : le visiteur est guidé dans son parcours par un animateur spécialisé qui réalise des visites commentées avec démonstrations sur les instruments. Une invitation à la pratique, essentiellement pour les scolaires, est prévue en fin de visite, des concerts peuvent être organisés au sein de l'exposition. Des formations sont également mises en place pour les animateurs locaux ou les musiciens intervenants en milieu scolaire. Ces formations/mode d'emploi de l'exposition sont réalisées par Axel Lecourt, musicien de la Cité de la Musique, ou par Jean Luc Antignac, musicien et directeur artistique de la compagnie « Graines de calebasse" et par moi-même. Dans quelles circonstances « La Parole du bois » a-t-elle vu le jour, où pourra t-on la voir prochainement ?

La Parole du bois a été créée en juin 2003 à l'Hôtel de Ville de Villeurbanne. Commande de la Ville de Villeurbanne et plus précisément de la Direction des affaires culturelles et du patrimoine architectural, elle a été présentée dans le cadre des « Bons plants », manifestation dédiée à la Nature. Cet été, elle sera aux Fêtes de Thiers du 8 au 29 juillet, puis au Festival « Art et bois à Bréville » près de Cognac du 20 au 28 août, avant de faire sa rentrée au Musée de Saint Cloud en octobre puis dans d'autres villes d'Ile de France. Propos recueillis par J.B. Retrouvez Gérard Coppéré dans la [lettre n°32->article888] contact La parole du Bois www.musiques-ici-et-ailleurs.com


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