L’accordéon colombien d’Antonio Rivas
CMTRA : Vous avez commencé l'accordéon
très jeune. Racontez-nous
votre parcours musical.
Antonio RIVAS : Je suis né à Istmina
en Colombie, dans une famille où la
musique a joué un rôle prépondérant.
J’ai commencé à apprendre l'accordéon
diatonique, en autodidacte, à
quinze ans. J’ai participé en Colombie
à la création des groupes Vallenatos et
j’ai eu à maintes reprises l’occasion de
me frotter avec les grands maîtres de
ce folklore tels Alejendro Duran, Abel
Antonio Villa, Pablo Garcia… Après
avoir fait une maîtrise de mathématiques
en 1974 en Colombie, j’ai
décidé de m'expatrier en France pour
préparer un doctorat en Physique des
particules. En Colombie, je jouais dans
différents groupes, mais nous étions
tous étudiants. À Grenoble, j’ai continué
à faire de la musique en amateur.
Mais à Montpellier, les choses ont
changé. Certains musiciens, des professionnels,
m’ont fortement incité à
monter un groupe et m’ont présenté au
patron d’un club, le Feeling, qui m’a
donné carte blanche et m’a invité à
jouer quand je le voulais. J’ai commencé
avec deux musiciens (Diego
Mejia et Mario Gomez). J’ai créé en
1984 le groupe Antonio y sus Vallenatos
à Montpellier puis, en 1987 avec
le concours de Nemesio Jimenez (El
Condor) j’ai été à l'origine du groupe
Novedad Vallenatas à Paris. Par la
suite, j’ai participé en Europe à la plupart
des manifestations internationales
concernant l'accordéon diatonique.
Vous êtes considéré comme l'ambassadeur
de la cumbia et du
vallenato. Pouvez-vous nous
décrire ces traditions musicales ?
En fait, avec mon groupe, nous réunissons
ces deux folklores en un. L’histoire
du vallenato est étroitement liée
à l’apparition de l’accordéon diatonique
sur la côte nord colombienne,
vers 1890. Traditionnellement, l'accordéon
avait un peu le rôle du tambour
du garde champêtre en Europe.
Pour faire passer un message, le joueur
d'accordéon jouait pour rassembler le
monde et chantait la nouvelle dont il
avait fait une chanson en chemin. Il en
est toujours ainsi de sorte que les chansons
parlent d'histoires vraies, souvent
vécues par le musicien. Le style d'accordéon
est d'une grande difficulté par
le jeu de basse qui caractérise le joueur
et par l'extrême virtuosité des positions
de la main droite. La cumbia, c’est une
danse à deux, très représentative de la
Colombie, notamment à l’étranger,
mais qui a tendance à décliner. La
cumbia synthétise les trois cultures
fondamentales de la Colombie, l’africaine,
l’indienne et l’européenne. Elle
se joue surtout avec les percussions et
les flûtes, ces dernières ayant été peu à
peu remplacées par l’accordéon. La
clarinette, elle, a fait une entrée progressive
dans la cumbia. Cela
explique, dans mon groupe, la présence
d’un clarinettiste qui est également
saxophoniste et flûtiste.
Cela a t-il été difficile d'intégrer
des instruments comme le saxophone
à l'orchestre traditionnel?
C’est vrai que, traditionnellement, le
saxophone ne fait partie ni de la
cumbia ni du vallenato. Mais, aujourd’hui,
les horizons musicaux s’élargissent.
Cela dit, mon orchestre
demeure assez traditionnel en regard
de l’évolution actuelle de la musique
en Colombie, où l’on trouve des
groupes de vallenato à gros effectifs,
de douze à quinze musiciens, tendance
qui suit l’évolution de la salsa. Dans
les orchestres colombiens actuels de
vallenato, on trouve fréquemment des
timbales, des basses électriques.
Avant, c’était l’accordéoniste qui
chantait. Aujourd’hui, non seulement
on a un chanteur soliste mais aussi
toute une section de voix qui font des
chœurs. Tout cela s’est étoffé, en
conservant malgré tout la base du
vallenato.
Vous jouez avec les mêmes musiciens
depuis plus de vingt ans. La
formation continue-t-elle tout de
même à évoluer ?
Bien entendu ! Et ceci en qualité et en
quantité ! Pendant plusieurs années, on
a joué en quintet, puis le talentueux
guitariste Kent Biswell nous a rejoints.
Quelques années après, la percussion
se renforce avec l’arrivée de garçons
très chevronnés comme Boris
Caicedo, Jim Lopez et Jorge Posada, et
pour finir ce fût le tour des danseurs,
danseuses lors de nos premières tournées
en Grèce. Une autre preuve de
l’évolution du groupe, c’est le projet
d’un nouvel enregistrement cette
année, je l’espère.
Comment s’opèrent les échanges
musicaux lorsque vous jouez avec
des musiciens européens?
Lorsque j’ai joué avec des musiciens
sud-américains, comme Raoul
Barbosa, je n’ai pas eu de problèmes
particuliers car nos musiques sont
assez proches et que la sienne ressemble
au merengue colombien. Par
contre, j’ai remarqué, notamment dans
les stages, qu’avec nombre de musiciens
français et européens, les problèmes
étaient essentiellement rythmiques.
Ici, les difficultés avec la main
gauche sont réelles car les musiciens
ne sont pas habitués aux contretemps.
Cela dit, ces rythmes syncopés sont de
plus en plus facilement assimilés
aujourd’hui. Par ailleurs, c’est vrai
qu’il n’est pas facile de transposer des
airs colombiens sur des rythmiques de
danses européennes, notamment en
raison des syncopes. Par contre, l’inverse
est faisable. Je m’étais amusé à
transposer des fandangos basques sur
des rythmes colombiens et ça marche
très bien. À tel point que je vais peutêtre
en enregistrer un dans mon prochain
disque. Cela dit, je constate
aujourd’hui que les répertoires et les
styles circulent bien d’un continent à
l’autre. J’ai entendu en Espagne et en
France plusieurs musiciens et groupes
qui jouent des musiques colombiennes,
dans la rue mais aussi sur
scène, comme Robert Santiago.
Propos recueillis par C.C.