Entretien avec Christophe Sacchettini
CMTRA : Parle-nous de l’histoire
des Frères Sacchettini…
A l’origine Jean-Loup et moi jouions
de manière informelle ; il fallait des
musiciens de la dernière chance pour
faire danser à la fin des Nuits du Folk
de l’Adaep dont je m’occupais, et en
général c’était nous ! Le duo est vraiment
né en 1998, à l’occasion d’un
fest-noz monté avec Geneviève
Chuzel pour une soirée d’un stage
d’été Mydriase. Un pied dans la danse
bretonne, un autre dans les compositions
de Jean-Loup, qui ne cessent de
s’affiner, et un troisième dans le bal
standard, nous avons trouvé notre
rythme de croisière (une vingtaine de
dates par an) et enregistré en 2001 le
1er CD, « Bag Brothers ».
Quelle(s) musique(s) bretonne(s)
jouez-vous ?
Des musiques à danser pour la plupart
extraites du premier recueil de Polig
Monjarret « Musique populaire de
Basse-Bretagne » (Dastum / Bodadeg
Ar Sonerion, Rennes 1984). La principale
influence de Jean-Loup en
musique bretonne à l’accordéon est
Bernard Lasbleiz, quant à moi le son
de bombarde qui inspire mon jeu de
flûte à bec sopranino dans ces thèmes
doit beaucoup à Yann Goas et à Jean
Baron…toute une génération ! Cela
dit, n’étant pas bretons ni ne vivant en
Bretagne (où nous ne jouons d’ailleurs
jamais non plus…), nous ne nous
encombrons pas avec la celtitude et
toutes ces notions un peu fumeuses qui
semblent parfois peser lourd sur le
développement de la musique là-bas.
Nous nous considérons comme musiciens
et danseurs sympathisants de la
musique bretonne dans laquelle je suis
tombé à l’adolescence et sans laquelle
je ne serais probablement pas le même
aujourd’hui.
Vous avez intégré des musiques
d’origine suédoise pour partie dans
votre répertoire. D’où viennentelles
?
Nous avons croisé Jean-Pierre Yvert à
notre premier passage au stage de
Kinnersley (UK) en 2003 et Jean-
Loup en a profité pour attraper le virus.
Depuis il a participé à « Troll de
musiques » la compil du CMTN
(2005), a travaillé avec Jean-Pierre qui
lui a transmis plusieurs thèmes. Il dispose
maintenant d’un chapelet de
polskas qu’il dévide le plus souvent en
acoustique à la fin du bal, pendant que
la sono se démonte et que je bois
quelques bières durement gagnées ! La
partie la plus traditionnelle du répertoire
du duo nous est souvent transmise
par Geneviève que nous accompagnons
régulièrement sur des stages
de danse « à la carte » : une fois ce sera
le Berry, l’autre fois les Balkans, ou la
Bretagne, ou les sauts basques, ou la
Renaissance…Geneviève nous amène
alors ses légendaires K7 tirées de sa
préhistorique et passionnante « vinylographie
». Ce qui est très agréable
avec elle, nonobstant son angoisse perfectionniste,
c’est que tout en conservant
la rigueur dans son enseignement
qui lui vient en droite ligne de l’ADP,
elle a les oreilles très ouvertes à un
éventuel travail d’adaptation. En stage,
faute de temps, celui-ci est quasiment
nul. Si le stage se reproduit et que l’air
est trop cucul (ça arrive), nous en cherchons
d’autres ou nous nous tournons
vers les compositions contemporaines
dans le même répertoire ; s’il a le
temps, Jean-Loup cherche une belle
harmonie et si l’ensemble tourne bien
à deux, un arrangement se construit et
l’air (ou la suite d’airs) se retrouve en
bal…après avoir passé le contrôle
technique à chaque étape !
Dans le texte de Jean-Loup sur la
pochette du CD, j’avais le sentiment
qu’il se libérait de la très
infertile opposition groupe de
concert / groupe de bal, musique à
danser / à écouter.
Jean-Loup a construit toute sa
démarche musicale sur la musique à
danser. C’est moi qui ai usé de mon
droit d’aînesse pour qu’on fasse aussi
du concert ! Faire du bal est passionnant
et je ne pense pas cesser jamais
d’en faire, mais il faut voir dans quel
état est l’économie du bal folk en
France…C’est souvent dur pour l’organisateur
qui fait venir un groupe
professionnel qui coûte plus cher en
déplacement que les amateurs du coin,
d’investir également dans une sono
correcte et / ou un ingénieur du son.
Ceux qui essaient de faire les choses
bien se trompent parfois en embauchant
une boîte-à-son locale qui
débarque avec une console 48 pistes
numérique facturée au prix fort et
manœuvrée par un olibrius qui n’a
jamais entendu une vielle à roue de sa
vie ! J’ai assisté récemment à un
concert du Jardin des Mystères d’Eric
Montbel organisé par le Folk des
Terres Froides, littéralement salopé par
un incompétent qui a sûrement coûté
plus cher qu’un Pascal Cacouault qui,
en plus de connaître son métier, aurait
eu des tarifs avantageux pour la location
du matériel.
Quant à la polémique musique / danse,
même si la mayonnaise est un peu
retombée depuis 2003, elle a fait à la
fois beaucoup de mal parce qu’elle a
énervé tout le monde dans d’inutiles
agressivités mais elle a aussi permis de
discuter à la buvette et de dépasser les
positions, notamment en proposant
pour les groupes de trad-progressifgénéraliste-
à-tendance-mustradémienne
l’étiquette de « néo-bal » qui
n’est à tout prendre pas pire qu’une
autre… La démarche qui consiste à
écrire, construire et arranger des
thèmes sophistiqués entre gens qui
n’ont pas tous le même intérêt à la
dansabilité fait que celle-ci devient un
élément parmi d’autres et que cela
peut certainement favoriser le flou
esthétique. La musique, en 30 ans, a
évolué (ça n’est pas un cri d’allégresse,
c’est un constat) et la danse,
très peu malgré quelques modifications
que j’ai pu constater depuis les
années 80. En fait, il me semble que
souvent le danseur amateur, contrairement
au danseur traditionnel…se dit
« je fais de la danse TRADITIONNELLE
» ! C’est-à-dire que la danse
n’est plus une pratique qui se transforme
avec le praticien, mais la tentative
de coller à un idéal de type platonicien,
transmis en droite ligne depuis
la nuit des temps par l’intermédiaire
du formateur, et au service duquel la
musique est sommée de participer également…
et du coup il ne voit pas
pourquoi il ferait l’effort de comprendre
ce qu’il entend. Ce qui ne veut
pas dire que tout est dans tout et que
faire de la danse traditionnelle doit être
n’importe quoi (j’ai en tant que danseur,
comme tout le monde, des préférences
sur la question). Mais il se
trouve que les danseurs contemporains
avec qui je travaille en ce moment ne
voient pas du tout les choses comme
ça. Acet égard, je pense que l’apprentissage
du danseur trad ne devrait pas
être différent de celui du musicien :
s’ouvrir les oreilles au maximum pour
que le corps puisse comprendre
(= prendre avec) ce qui arrive aux tympans,
et une phase d’improvisation
pour traduire et rendre quelque chose.
Je connais peu de danseurs comme
Daniel Detammaecker qui soient
capables à la fois de critiquer la pertinence
de ce qu’ils entendent tout en
laissant agir leur corps par-delà ces
différences.
« Tout n’a qu’un temps » a été enregistré
en live et en concert.Pourquoi
ce choix ?
Sans revenir au détail de ce que je
disais plus haut, il y a 1001 raisons
d’ordre sonore qui rendent la pratique
du bal parfois ardue et ce que tu
acceptes au sein d’un ensemble, dans
un duo à découvert pendant 3h d’affilée,
ça ne passe plus. Je ne voyais pas
un album entier « live » en duo avec
pour fond sonore une charge de danseurs
! Nous avons vu là l’occasion
de renouer avec les petites salles chaleureuses
et intimistes que j’ai connues
à l’époque d’Obsession Quintet, les
caves, les musées, les églises, les auditoriums,
sans aucun obstacle entre le
son de l’instrument et les tympans de
l’auditeur. Et qu’est-ce que c’est bon !
C’est comme ça que nous nous
sommes retrouvés au Café des Arts de
Grenoble, à l’acoustique étudiée pour
soigner le grain des instruments. Le
pari, c’est que notre musique à danser,
en changeant trois fois rien dans
les structures, fonctionne telle quelle
pour l’audition. La musique est sur le
CD telle que nous l’avons jouée au
public, sans invité et sans rajout…
Mais il faut souligner le formidable
travail de mixage effectué par Richard
(« la bière est un principe ») Bénétrix
et le mastering de l’excellent Philippe
Tchékémian de « Nuage 7 » !
Alors, est-ce l’album de la maturité ?
Voilà ! On a décidé que ça serait le
deuxième !! Sans rire, le répertoire
retenu pour le CD correspond aux
choix de timbres vers lesquels nous
nous dirigeons depuis deux-trois ans :
l’accordéon Bertrand Gaillard aux
basses bien rondes, moins de grilles
d’accords et plus de bourdon-main
gauche, des flûtes à bec plus graves,
une cornemuse 16 pouces toute neuve
de Raphaël Jeannin…Tous les morceaux
n’ont pas été peaufinés, remis
sur le métier de la même façon mais
globalement les choix esthétiques sont
homogènes. Le prochain album sera
peut-être plus casse-gueule parce que
j’ai assez envie qu’on redéfinisse nos
repères en rencontrant d’autres musiciens.
Vous avez beaucoup tourné en
Europe et au-delà. Comment votre
musique a-t-elle été accueillie ?
Une partie de l’Europe fait tous les ans
le pèlerinage St-Chartier / Gennetines
et ce sont ceux-là qui nous font venir,
en bal ou en stage, que ce soit au
Royaume-Uni, en Belgique francophone
ou en Italie du Nord, dans ce
milieu de fans des danses franco-françaises
qu’ils mixent ensuite avec leurs
danses locales…donc pas de surprises
auprès de ce public-là ! Ce qui est intéressant,
ce sont les formules tentées
pour sortir du vase clos que constitue
le stage autogéré dans un lieu unique.
Acet égard, le « Boombal » constitue
en Belgique une tentative de rendre à
ce répertoire son côté populaire qui est
en train de devenir un phénomène
qu’on ne soupçonne pas encore ici.
Les soirées Boombal sont systématiquement
construites en deux temps :
un moment pédagogique pour la
danse, et après c’est la fête, avec des
groupes qui arrivent encore à jouer la
cochinchine et la bourrée des dindes
mais aussi composent, arrangent pour
la danse, sans complexe. Ca marche
majoritairement auprès des jeunes et la
famille Claeys est en train de
construire avec ça dans tout le pays
un réseau certainement encore fragile
financièrement.
De ton regard de musicien, est-ce
que tu observes un rapport à la
danse et à la musique différent de
ce qui existe chez nous ?
Le rapport y est fonction de ce que
sont les gens, et de ce que nous savons
leur faire passer selon le contexte…Ça
fait beaucoup ! Parfois tu connais l’enjeu
et tu t’adresses alors à un auditeur
unique qui ne le sait pas, et dont tu sais
qu’il est dans la salle, comme si tu
racontais une histoire à un ami.
Al’automne dernier nous avons donné
quatre concerts en Tunisie, à l’invitation
du festival de la Médina. A Sfax,
un soir, juste avant un concert, on m’a
conduit à un vieux journaliste qui m’a
demandé d’entrée de jeu, « quelles
libertés nous prenions avec la musique
traditionnelle de notre pays » ! La
question qui tue, mais qui t’invite à ne
pas tourner autour du pot ! Je lui
explique alors que nous ne nous considérons
pas comme des musiciens traditionnels
etc., notre démarche en
quelques mots, et il me répond très
courtoisement qu’il est contre l’évolution
de la musique traditionnelle en
Tunisie étant donné le contexte religieux
dans lequel elle baigne. Vlan !
En d’autres lieux ça m’aurait fait froid
dans le dos, en fait nous avons discuté
très gentiment pendant quelques
minutes mais sans que je puisse
apprendre ce que le ressenti de cet
homme intelligent et cultivé devait au
poids de la tradition et à son histoire
personnelle. J’ai donc décidé que ce
concert-là serait pour lui mais il est
parti tout de suite après la fin et nous
n’avons pas pu épiloguer !
Propos recueillis par JS. E
Jean-Loup
SACCHETTINI :
accordéons
diatoniques
Christophe
SACCHETTINI :
flûtes à bec,
cornemuse du Centre