Luthiers sans frontieres
Paul Jacobs, président de
Luthiers sans Frontières
(LSF) répond à nos
questions.
CMTRA : Luthiers sans frontières
est née de quels besoins ?
Luthiers Sans Frontières se définit
comme une ONG de développement.
On essaie de ne pas faire de confusion
avec l'humanitaire. Notre vocation est
essentiellement de travailler sur le
long terme et donc sur la formation de
luthiers dans les pays en voie de développement.
Le principe est toujours le même : si
vous donnez un poisson à quelqu'un, il
mange un jour, si vous lui apprenez à
pêcher, il mange toute sa vie. Au
départ, l'association a été créée suite à
un travail individuel qui a été réalisé à
Cuba par un luthier américain - Carl
Applebaum - et par moi-même. On a
alors commencé à demander de l'aide
et on s'est rendu compte qu'il y avait
beaucoup de bonnes volontés dans le
métier et surtout beaucoup de besoins
et de demandes dans les pays en voie
de développement.
Il est assez étonnant de constater que
même dans des pays comme Cuba où
la musique est omniprésente et très
importante, on a des écoles de
musique mais aucune structure de formation
de luthiers, donc les instruments
ne sont pas entretenus.
Les instruments, à Cuba par
exemple, venaient d'autres pays ?
Cuba a eu des relations très étroites
avec les pays de l'Est, mais ça remonte
à presque 20 ans et à cette époque là ils
ont reçu beaucoup d'instruments de
Tchécoslovaquie, d'URSS, de
Pologne, etc... Ces relations se sont
arrêtées en 1989 avec la chute du bloc
de l'Est, depuis ils vivent sur le stock
d'instruments qu'ils avaient et qui
s'amenuise.
Au fur et à mesure que ces instruments
s'abîment, ils ne sont plus utilisés, mis
dans une remise et personne n'est
capable de les remettre en état. C'est
vrai dans beaucoup de pays.
Pour le moment nous avons un luthier
espagnol en Bolivie. Il y est pour 4
semaines, il va aller dans 4 villes différentes
et s'occuper des instruments
de 4 écoles de musique. Il sera suivi
par un apprenti bolivien qui va
apprendre avec lui.
ÀCuba nous avons des missions deux
à trois fois par an, d'environ 15 jours à
3 semaines. Récemment, des français
étaient là-bas pendant 6 semaines. Des
apprentis viennent et apprennent.
En Palestine, on a aussi un atelier
permanent géré par un apprenti qui est
palestinien et qui commence à avoir un
niveau correct de connaissances. Nous
y envoyons quand même deux fois par
an des personnes pour faire avancer les
choses. Pendant notre absence, c'est
l'apprenti le plus avancé qui transmet
son savoir. Deux apprentis Chiliens
vont venir en Belgique au mois
d'octobre pour être formés.
Le développement futur de l'association
va vers la création de branches
nationales, sur le modèle de Médecins
sans Frontières (entre autres organisations).
Donc il y a des organisations
nationales et une sorte de fédération
internationale. LSF existe en
Angleterre (LSF-UK), ainsi qu'en
Allemagne, où il est en cours de création.
Nous espérons avoir très bientôt un
LSF espagnol mais nous n'avons personne
en France prêt à s'investir dans
l'aspect administratif, légal, de la création
d'une association de droit français.
Mais ce serait bien ! Il faudrait que ce
soit pris en charge par un petit groupe
de luthiers français qui s'adjoigne d'un
administrateur. On a des membres
français très actifs cependant, qui ont
fait des missions pour nous.
Êtes-vous amenés à rencontrer des
instruments de musique atypiques,
assez rares ou dont la lutherie est
mystérieuse ?
Oui, ça arrive. Nous sommes luthiers
au sens le plus classique du terme, c'est
à dire luthiers du quatuor.
Donc, les compétences que l'on a à
offrir concernent surtout ces instruments
là. Il y a parfois des demandes
différentes : en Palestine, nous devions
former des accordeurs de piano, parce
que pour toute la Palestine, il ne restait
qu’un vieux monsieur capable de les
accorder. Ils avaient besoin de relève
et donc de formation.
Mais ce travail est un petit peu
marginal dans nos activités. L'essentiel
reste quand même centré sur les
instruments du quatuor. Bien sûr on
rencontre des instruments différents.
En Palestine, il y a tous les instruments
orientaux, mais là le pays se tourne
vers la Turquie qui est beaucoup plus
compétente que nous pour cela.
Au Congo on trouve aussi toute sorte
d'instruments. On ne fait pas d'ethnomusicologie,
donc quand on en voit,
on prend éventuellement des photos,
on s'intéresse à leur fabrication mais
on n’a pas à leur apprendre quoi que ce
soit et c'est souvent dans des bois
exotiques que l'on ne connaît pas.
Avez-vous quelque chose à ajouter
par rapport à un potentiel LSF
France ?
Un appel aux bonnes volontés ! Si
quelqu'un veut créer un LSF France,
c'est bienvenu.
Mon rêve serait qu'il y ait un LSF dans
chaque pays européen et puis une
fédération de ces branches nationales.
La charité publique est difficile à lever
dans des métiers comme les nôtres,
parce que le grand public considère
souvent -à tort à mon avis- que la
culture est un luxe pour les pays en
voie de développement. Il faut d'abord
qu'ils mangent, s'habillent, aient accès
à la médecine.
Je considère que dans une perspective
de développement, la culture est aussi
importante que la nourriture. En plus,
tous les pays avec lesquels on travaille
ne sont pas des pays où l'on meurt de
faim.
L'Algérie est un pays où l'on ne meurt
pas de faim, mais où l'on a un manque
terrible de culture : la croissance
démographique en Algérie est énorme
et on a construit de gigantesques cités
HLM sans aucune infrastructure
culturelle. On aurait peut être évité les
15 dernières années de guerre civile
et les 300 000 morts que ça a fait.
Donc, ce n'est pas un luxe. La culture
est une nécessité fondamentale de
l'être humain.
Propos recueillis par E.G.
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