Banlieues d’Europe vient de s’installer
à Lyon… Quelle est l’activité
de cette structure ?
Banlieues d’Europe est un réseau culturel
européen qui existe depuis une
quinzaine d’années. Il a été créé par
Jean Hurstel en Lorraine au début des
années 90. À l’époque, il dirigeait la
Maison des Cultures Frontières Ã
Freyming-Merlebach. Le réseau a
facilité la mise en réseau de projets de
développement culturel en France, au
Luxembourg, en Belgique et en Allemagne.
Toutes ces structures avaient
pour point commun d’être porteuses
de projets d’actions artistiques et culturelles
menées avec des habitants
dans des quartiers « défavorisés ». Par
exemple, en Lorraine, Jean Hurstel
menait un projet de création théâtrale
avec des ouvriers des mines en cours
de fermeture.
Le réseau s’est ensuite structuré à partir
de rencontres, d’échanges et de
réflexion. Les toutes premières rencontres,
sur le thème de « l’art dans la
lutte contre l’exclusion », ont rencontré
un grand succès auprès des professionnels
au niveau transfrontalier, et
ont joué un rôle déterminant au niveau
de la mise en réseau dans d’autres
pays. L’idée est de mettre en lien des
acteurs de terrain qui travaillent de
manière isolée dans leur quartier ou en
périphérie urbaine et qui ont des difficultés
à faire reconnaître leur travail au
niveau politique et à valoriser la qualité
artistique de leurs projets. Cela a
vraiment fonctionné en termes de solidarité
professionnelle. Par ailleurs,
l’idée était de réfléchir sur les pratiques
professionnelles, et d’apporter
une dimension de formation des
acteurs en mettant toujours en relation
la pratique de terrain, la recherche
et la dimension politique, pour les
aider à évoluer. Tous les projets du
réseau ont une dimension artistique et
participative. Il y a des projets musicaux,
mais aussi de la création en arts
plastiques, vidéo, des parades ou ateliers
d’écriture… Tous les artistes
impliqués dans ces projets sont des
acteurs de terrain et de proximité.
Concrètement, le réseau rassemble
aujourd’hui à peu près 300 membres
dans toute l’Europe. Depuis quelques
années, une autre association,
Banlieues d’Europ’Est, installée Ã
Bucarest en Roumanie, mène le même
travail que nous à l’est de l’Europe.
La rencontre thématique la plus
récente que nous avons organisée a eu
lieu à Belfast en novembre dernier sur
le thème « Cultures et conflits ». Elle
nous avait été proposée par une structure
locale travaillant sur le sujet, le
carnaval de Belfast, un projet de
longue durée mobilisant des enfants
des communautés catholiques et protestantes.
Pour ces rencontres, nous
avons invité des intervenants de Tchétchénie,
de Palestine… Nous dépassons
largement les frontières de
l’Union Européenne ! Les prochaines
rencontres du réseau vont se dérouler
à Sofia, en Bulgarie, avec pour thème
« l’artiste dans la ville ». Un certain
nombre de projets vont être présentés
et mis en relation, en débat. Ensuite
cette rencontre se poursuivra à Munich
en novembre sur le thème « Quartiers
d’Europe, lieux de culture ». L’idée est
de mettre en avant une fois encore
l’idée que les quartiers sont sources de
créativité, de projets artistiques et culturels
positifs, d’innovation, et qu’il
est important de les promouvoir.
J’imagine que ces rencontres ont
pour objectif de permettre la
rencontre et de désenclaver des
projets très « territorialisés » ?
Oui, ce sont des projets qui sont dans
une forme d’isolement et qui n’ont que
très peu de reconnaissance politique et
du milieu artistique. On essaye de toucher
ces milieux-là , de participer Ã
l’ouverture des institutions culturelles
à de nouveaux publics. Ces rencontres
sont avant tout une plate-forme
d’échange. Elles ont pour objectif de
favoriser la rencontre physique des
professionnels de ce secteur en
Europe, pour que de nouveaux projets
et de nouvelles collaborations se mettent
en place, pour faire avancer la
réflexion sur les pratiques professionnelles,
montrer ce qui se passe ailleurs.
Les contextes sont différents d’un territoire
à l’autre, d’un pays à l’autre. En
Roumanie, par exemple, il y a beaucoup
de projets qui s’appuient sur des
réflexions sur le monde politique, des
artistes qui essayent d’interpeler les
passants. Nous ne sommes pas tous sur
les mêmes démarches, et c’est aussi ça
qui rend ces rencontres intéressantes.
Il existe différents modèles, mais
aucun n’est réellement satisfaisant,
donc nous essayons de réfléchir à ces
questions-là par le biais de projets
artistiques qui mobilisent les populations,
les habitants des quartiers. Et
puis il y a tout ce que l’on ne maîtrise
pas pendant ces rendez-vous, mais qui
est tout aussi important, les rencontres
« de couloirs », plus informelles, pendant
les moments de convivialité que
l’on organise également.
Quel est le reste de vos activités ?
Outre ces rencontres, nous avons des
outils d’information comme notre site
internet qui est actuellement en
reconstruction, la lettre électronique
bilingue que l’on publie tous les
quinze jours, qui sert de diffusion
d’informations du réseau, sur des
manifestations, des productions, des
publications… Nous y publions aussi
des appels à partenaires pour des
projets européens. C’est vraiment un
outil de travail dédié à tous les acteurs,
que j’invite à nous envoyer régulièrement
leurs informations !
Nous éditons aussi des publications
liées aux rencontres, des actes de colloques.
Le dernier en date a été édité Ã
Lyon, par le Certu : Les fêtes dans
l’Espace public.
On espère bientôt pouvoir ouvrir au
public un centre de documentation.
Enfin, nous organisons des sessions de
formation continue, en tant que centre
de formation. Nous y traitons de questions
comme la diversité culturelle, la
Politique de la ville, le montage de
dossiers de financement, et prochainement
nous voudrions travailler sur les
questions de médiation interculturelle.
Nous souhaitons qu’à moyen terme
ces formations prennent une dimension
européenne sous forme itinérante.
Et vous avez donc choisi de vous
installer à Lyon… ?
Et oui ! Nous avions déjà beacoup de
contacts dans l’agglomération et dans
la région. Cela nous intéressait d’autant
plus qu’il y a cette dynamique
locale particulière. Et puis on avait
envie d’évoluer, de bouger et de s’ouvrir
à de nouveaux échanges plutôt
orientés vers la Méditerranée. À Lyon,
avec la Charte de coopération culturelle,
il y a une dynamique vraiment
intéressante, une réelle effervescence
au niveau des acteurs de terrain et des
politiques culturelles, une volonté différente
par rapport à d’autres villes.
Pour le moment, l’équipe est petite
(nous ne sommes que deux permanentes),
mais on espère pouvoir faire
évoluer la structure et apporter du soutien
aux projets locaux, de la réflexion,
une ouverture européenne et j’invite
les gens de l’agglomération et de la
région à venir participer à nos rencontres
dans d’autres villes en Europe.
Quel état des lieux faites-vous de ce
qui se passe en Europe ?
Ce que l’on peut observer c’est que par
exemple le modèle territorial de
périphéries et de banlieues est assez
spécifique à la France. Il y a beaucoup
de quartiers défavorisés en Europe qui
sont en centre-ville et cela change la
configuration, les schémas et l’imaginaire
des projets. « Banlieues » on
l’entend nous au sens propre, de
« mise au ban ». Il ne s’agit pas uniquement
des périphéries des villes
mais également des formes d’exclusion
: en milieu pénitentiaire, les
handicaps, les minorités culturelles, ...
Il y a également la question des immigrations,
des modèles communautaristes
ou plutôt républicains. Dans les
pays anglophones, les projets sont souvent
menés avec les communautés et
plus rarement entre communautés
alors qu’en France, le modèle d’intégration
va plutôt créer des projets
englobants et interculturels. Les
choses évoluent d’un côté et de l’autre.
Enfin, il y a des thématiques précises
liées à l’histoire de certains pays. Mais
il y a beaucoup de points communs : le
fait de travailler sur la durée, de
prendre en compte plusieurs niveaux,
le niveau artistique, le niveau de participation
des habitants, la dimension
politique… Dans tous les pays la
culture est nécessaire à l’évolution des
quartiers, au mieux vivre ensemble.
Pour nous, elle ne doit pas simplement
être la cerise sur le gâteau mais une
partie intégrante d’un projet de société.
Propos recueillis par Yaël Epstein
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