Facha peta lou peis ... faites péter les pieds*
Entretien avec Laurence Dupré à l’occasion de la sortie du nouvel album de Dzouga ! duo de violons des Monts d’Auvergne.
CMTRA : Pour commencer, parle nous
un peu de Dzouga ! que nous
connaissons peu en Rhône-Alpes.
A toi de jouer !
Dzouga ! c’est la concrétisation d’une
longue maturation autour d’un répertoire
de violoneux du Massif Central
par deux musiciens Olivier Wely, et
moi-même Laurence Dupré. Notre
première rencontre date de 1998 lors
d’un stage mené par Jean-François Vrod.
De mon côté, je suis issue de l’esthétique
dite classique, passée par le jazz
et l’improvisation avant que ne se
produise une forme de déclic à
l’écoute des musiques traditionnelles
des Monts d’Auvergne et notamment
des violoneux. Olivier a lui aussi reçu
une formation classique au départ puis
s’est nourrit des musiques du Massif
Central ; il est également passionné par
l’Art brut et les musiques scandinaves.
A propos du nom du duo, Dzouga !
signifie «Allez-y, jouez !». Nous avons
volontairement choisi une écriture
simplifiée qui retranscrit phonétiquement
le mot « jugatz » (graphie
standard dans un bassin de langue du
Nord Cantal) pour une simplicité de
prononciation tout d’abord, et puis
parce que notre disque n’est pas là
pour accréditer le parlé occitan de telle
ou telle région.
Notre répertoire, et celui qui compose
ce CD, provient essentiellement de
l’Artense, la Haute Corrèze et les
Combrailles. Ces régions ont connu un
passé musical important riche de violoneux
qui ont été abondamment collectés.
De nos écoutes et de nos
échanges est né ce projet totalement
imprégné de cette matière sonore.
Justement, « fatcha peta lou peis »
est un CD de réinterprétation de
collectages...
Oui, en effet, nous sommes de la génération
issue des collecteurs euxmêmes
et de fait n’avons jamais collecté
dans ces territoires. Nous avons
ainsi écouté et utilisé les sources qui
étaient à notre disposition. Nous avons
eu à faire des choix esthétiques qui
privilégiaient la source plutôt que la
transmission et c’était d’ailleurs une
difficulté de ne pas s’inspirer de ce que
nous ont légué ces musiciens collecteurs,
« passeur » de ce répertoire. Je
pense au Trio violon (nous reprenons
d’ailleurs en hommage, sur la plage 2,
une de leurs interprétations), Jean-
Marc Delaunay, Eric Cousteix ou
Michel Esbelin pour n’en citer que
quelques uns.
Notre façon de procéder a consisté à
faire tourner cette matière musicale.
Soit les choses se sont imposées
d’elles-mêmes, soit nous avons donné
un éclairage particulier induit par
l’ambiance qui se dégageait de l’air
comme par exemple sur la polka de
Péchadre où nous avons voulu souligner
le côté Orphéon de cette musique
par l’effet de la percussion sur violon
préparé.
Notre démarche artistique peut être
considérée comme un travail de
réappropriation d’un répertoire.
L’unité de cet album tient d’abord aux
airs de violoneux dont il est constitué
et à son rapport à la danse avec tout ce
que cela comporte d’énergie et de
dynamisme, sans oublier la diversité
des couleurs, les traitements et les jeux
sur le tempérament.
Dans les arrangements réalisés, ce CD
s’est construit à deux, excepté pour la
scottish Si z’avia’ na mia qui était déjà
arrangée par Olivier Wely.
Sur la polka Toca la Velha, et les bourrées
des Monédières et de Chaumeil,
il y a aussi le choix de l’accord des violons
avec un accord plus bas que le La
440. Rien de très nouveau bien
entendu ! Mais cela dégage quelque
chose de très fort... Il y a aussi la Valse
du Wolertup, composition de Jean-
François Vrod et une bourrée chantée
Amusons-nous fillettes interprétée en
duo voix violon.
On ressent dans votre musique une
forme de filiation avec les violoneux,
une forme de respect d’un
héritage transmis …
En effet, il y a beaucoup de respect et
d’admiration pour ces violoneux, des
personnes que nous n’avons finalement
pas connues. Ils forment et représentent
un monde social et musical
bien particulier, une identité culturelle.
Dans les musiques transmises, on
trouve des airs extrêmement riches par
la rythmique, le son, le mode de jeu et
le tempérament, il y une sorte d’aspect
de musique brute… On ne s’est donc
pas posé la question de dénaturer cette
musique, on se la réapproprie tout en
en gardant les formes et l’esprit.
C’est aussi dans cette idée que nous
avons eu à coeur de détailler nos
sources, les provenances des airs que
l’on joue et les particularités de certaines
versions, de certains traits
d’exécution.
La bourrée tient une place de choix
dans cet album…
Oui ! Dans le répertoire exploré, il y
a d’emblée une densité de bourrées !
La bourrée à trois temps a bel et bien
une place de choix dans le CD comme
dans tout bal auvergnat. Il y a une
force, une énergie, une vitalité, en tout
cas pour moi, qui s’expriment dans la
dynamique de jeu et la danse.
On a aussi fait cohabiter à ces
musiques de traditions plus anciennes
des danses par couples nées à la fin
du XIXe siècle.
Et vos projets ?
L’idée est de faire vivre cette musique
sur scène et sur les parquets. Le disque
étant sorti cet été, à l’occasion du Festival
de Saint Chartier, on a pu tester
notre répertoire dans la foulée, à Gennetines
et constater que ça fonctionnait
très bien en bal ! Nous avons pu tirer
l’énergie de cette musique et de ce que
les danseurs nous ont donné aussi dans
un réel aller-retour. Evidemment, on
souhaite donner d’autres prolongements
à ce répertoire notamment sous
la forme de concert spectacle.
Propos recueillis par JS.E
* titre de la montagnarde
de Sermintison près de
Thiers :
« l’album auvergnat »
JB Bouillet ,p42