Lettre d'information n°39. Automne 2000 Rencontres de musiques du mon

Entretien avec Guy Bertrand CMTRA : Guy, te voici programmateur pour l'Auditorium de Lyon pour quatre soirées de " musique du Monde " : quels ont été tes choix pour ce premier trimestre et pour le long terme?

Guy Bertrand : Tout d'abord, cette programmation des nuits à l'Auditorium est déjà inaugurée depuis plusieurs années, je m'inscris donc dans une démarche qui existe déjà, tout en essayant d'apporter quelque chose de différent. Par exemple on va essayer de mettre en évidence des gens confirmés, mais aussi des musiciens de valeur qui habitent à Lyon ou dans la région, et de les faire participer à l'ensemble des programmations.

Comme l'a souhaité David Robertson, le nouveau directeur artistique, le principe des programmations sera de créer des rencontres autour de la thématique développée pour chaque soirée. L'événement débutera à 18h, sous forme de rencontre-débat, où l'on fera le point sur une tradition, on rencontrera les artistes, on aura un débat sur une démarche, ou sur un thème beaucoup plus large : nous proposerons une intervention musicale avec des gens de Lyon ou de la région. Par exemple pour la première nuit, consacrée au flamenco, on va travailler avec les percussions de la Salle des Rancy, qui est une MJC du quartier. J'ai trouvé intéressant de faire rencontrer ces deux structures, l'Auditorium et la Mjc du quartier, qui ne sont situés qu'à quelques rues l'une de l'autre mais dont on pense a priori qu'elles ne concernent pas le même public.

Et d'ailleurs systématiquement les percussionnistes qui travaillent avec Richard Monségu aux Rancy vont devoir inventer et s'adapter à la thématique du concert. CMTRA : Avez-vous tenté d'inviter des groupes semi-professionnels de la région, dont on connaît la qualité, notamment en flamenco ?

G.B. : L'esprit reste d'avoir un très haut niveau qualitatif : ainsi Miguel Poveda, un chanteur flamenco formidable que vous avez présenté dans votre Lettre d'Information en septembre 99, en soulignant son avenir potentiel : c'était bien vu puisqu'il vient d'être nominé aux Grammy Awards américains. On va découvrir son nouveau concert avec Chicuelo, un merveilleux guitariste de Barcelone qui a appris comme tous les gitans de cet univers avec sa famille, avec son frère qui est un grand guitariste, avec ses oncles et son père, et qui a tout de suite été remarqué par Carmen Amaya et Montoya.

Tous ces gens sont des références. C'est pourquoi j'ai demandé à Aguadulce, un groupe flamenco de Saint-Priest, de se produire sur scène, dans le sillage de ces grands maîtres, et à Eric Perez et Miguel Alcala d'intervenir pour la conférence. CMTRA : As-tu choisi d'associer la danse à cette soirée ?

G.B. : La soirée se déroule en trois étapes : d'abord la guitare, avec en soliste Juan Carmona, qui est un gitan de Marseille. Lorsqu'on pense à la musique flamenco, on pense forcément à l'Espagne, mais il faut souligner qu'il y a aussi en France de grands artistes, des gens qui méritent qu'on écoute leur travail et qu'on le mette en valeur aussi. C'est pourquoi j'ai choisi Juan Carmona pour débuter la soirée dans la grande salle. Ensuite le chant avec Miguel Poveda et Chicuelo.

Enfin un très grand moment de danse avec un spectacle, "Trilogia", qui met en scène trois jeunes danseurs sevillans, la pureté de Torombo, la force de Campallo et l'avant-gardisme de Marín entourés de musiciens prestigieux et créatifs, ils montrent la puissance du flamenco de cette brillante ville andalouse. CMTRA : Peux-tu évoquer l'ensemble de la programmation 2000-2001 ?

G.B. : Donc cette nuit flamenco ouvrira la saison, le vendredi 1er décembre. En janvier, le vendredi 12 nous allons proposer une "Nuit Latine". Il s'agit d'une rencontre, une "descarga" comme l'on dit à Cuba, qui va mettre en présence des chanteuses, chanteurs et musiciens, interprètes fameux, amoureux des musiques latines.

Il y a quelques années, à Camaguey (Cuba), Cyrius, le chanteur découvre deux merveilleuses chanteuses de "trova", les surs Faez. Elles figurent en bonne place sur les disques "Casa de la Trova" et seront là en avant-première d'une tournée qui va les conduire dans la plupart des villes d'Europe avec notamment une halte à Bron.

Pour ce concert exceptionnel, a l'Auditorium, on les entendra avec bon nombre des musiciens invités sur le dernier CD comme le pianiste Omar Sosa, l'ensemble Diapason de la Havane, Juan Jose Mosalini et son grand orchestre de tango, mais aussi avec Cyrius, Vincent Courtois et Marcel Azzola. Le vendredi 2 mars, pour annoncer la Journée de la Femme du 8 mars, nous donnerons la parole à des grandes chanteuses, des "Divas". Ces divas ont toutes des admiratrices, un cercle d'élèves et de disciples.

Nous allons insister sur l'idée de "transmission" de la diva. On va donc inviter systématiquement une grande chanteuse et une élève, issue de sa tradition ou qui s'en inspire. La dernière nuit , le 20 avril, sera consacrée à la Méditerranée, mais nous en reparlerons à cette occasion je l'espère.

Nous travaillons aussi pour l'après concert la possibilité d'organiser la projection d'un grand film ou d'un document musical exceptionnel.

Pour les "divas", je pense par exemple à ce magnifique film grec de Kostas Ferris sur le parcours d'une grande chanteuse de rebetiko, de sa naissance à Smyrne en 1917 jusqu'à sa mort à Athènes en 1955. Systématiquement, on essaie de créer un "événement" autour des musiques et d'une thématique, toujours situés bien sûr dans les musiques traditionnelles : ainsi j'ai fait appel à Maurice Durozier venu du Théâtre du Soleil d'Ariane Mouchkine afin qu'il puisse chaque fois inventer une mise en espace originale et bien d'autres idées que je ne vais pas développer ici... Gardons l'effet de surprise ! CMTRA : Ressens-tu une responsabilité à assumer, avec une programmation qui manipule l'exotisme et l'identitaire? S'adresser au grand public, on l'a vu à Lyon par la Biennale d'art contemporain et par la Biennale de la danse, peut suggérer des réponses bien différentes, parfois démagogiques ou au contraire très audacieuses ?

G.B. : Le grand public fonctionne beaucoup sur des clichés, et la réalité est souvent différente. On croit que les traditions sont fixées, immuables, et cette idée est très répandue aussi bien pour les cultures lointaines, que pour nos propres traditions. C'est cela qui crée de l'exotique : l'idée d'un monde arrêté, lointain et préservé, qui ne changerait pas. J'aime bien cette audace toute relative qui donne une place aux diverses pratiques musicales traditionnelles, qui sont souvent en pleine transformation aujourd'hui, en pleine évolution, et qui à ce titre sont parfaitement modernes et bien de ce monde. C'est pour cela qu'au-delà des artistes très confirmés et venus parfois de l'autre bout de la planète, il est important d'avoir de vraies découvertes, avec cette occasion pour de jeunes artistes locaux, peu connus, de s'exprimer dans un lieu fantastique, aux côtés d'artistes confirmés et de grand talent.

Si il y a une responsabilité du programmateur, elle est modestement là : dans un sens que l'on donne à des grandes pratiques professionnelles et venues du bout du monde, et dans la proximité de pratiques musicales amateurs ou semi-amateurs : que ces gens se rencontrent, jouent ensemble, et que le public participe d'une certaine façon à cette rencontre. Propos recueillis par E.M. NUIT DU FLAMENCO

Auditorium de Lyon Vendredi 1er décembre :

De 18h00 à 19h30, Rencontre musicale et débat. Introduction musicale Aguadulce avec la participation des percussionnistes de la Salle des Rancy - Direction : Richard Monségu. Intervenants : Eric Perez (association DUENDE) : conférencier - Miguel Alcala - photographe - Daniela Lazaro danseuse : la trilogia - Avec la participation des artistes invité À 20h30, Grande salle : Présentation Maurice Durozier avec Juan Carmona - guitare et Miguel Poveda chant & Chicuelo guitare À 22h00, Grande Salle : Trilogia avec les danseurs Andres Marin ; Rafaël Campallo et Francisco Jose Suarez Barreras " Torombo " - Chant : David Lagos - Pepe de Pura - Maria Vizarraga - Guitares : Canito et Bolita - Percussion : Ramon Porrina - Viole : Rafaël Fernandez - Création éclairages : Antonio Alonso - Ingénieur du son : Olivier Scribe - Direction artistique : Daniela Lazary. À 23h30/1h30, Bas Astrium

Els Rumberos Catalans de Sant et Aguadulce À 23h30, Grande Salle : Projection du film " Flamenco " de Carlos Saura (sous réserve) Prochaines Nuits : Nuit Latine - Nuit des Divas Renseignements

Auditorium de Lyon / Tél : 04 78 95 95 00