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Yaki Kandru
Concert et rencontres pour la semaine de la science

Entretien avec Jorge Lopez-Palacio CMTRA : Alors dites-moi dans quel contexte est né le groupe Yaki Kandru ?

Jorge López Palacio : Le Yaki Kandru est né à l'université nationale de Colombie de quatre personnes, moi le fondateur, Beatriz Wilches, étudiante en psychologie, Carlos Chavez, étudiant en ingénierie et German Pinilla étudiant en linguistique.

Ensuite d'autres psychologues, des architectes, un anthropologue et un étudiant en philosophie nous ont rejoint car les gens du conservatoire ne croyaient pas à la musique amérindienne tellement le racisme est fort en Amérique Latine et en Colombie. Ils disaient : "Mais Jorge qu'est-ce que tu vas faire toi avec ta belle voix de ténor à chanter ces chants de sauvages ?". J'avais une formation essentiellement lyrique, classique Beethoven, Schubert, Bach, Puccini et j'étudiais l'anthropologie.

Le père de l'ingénieur, le Docteur Milciades Chavez, était anthropologue, un des premiers de la Colombie, formé par Paul Rivet, l'anthropologue français qui avait trouvé refuge en Colombie pendant la deuxième guerre mondiale. Un peu le même parcours que Levi-Strauss mis à part que Paul Rivet était résistant. Il a organisé le réseau du Musée de l'Homme à Paris et a créé le premier département d'anthropologie en Colombie dans le cadre du Musée National. Le Docteur Chavez avait une belle bibliothèque d'anthropologie alors nous avons commencé à fouiller dans les livres, à découvrir les instruments des Indiens Séri du Mexique, leurs arcs de chasse posés sur des calebasses pour accompagner le chant des hommes pendant les accouchements.

Au conservatoire, il y avait un professeur, Mr Guillermo Abadia Morales, un des seuls défenseurs des cultures traditionnelles colombiennes. Il me voyait avec mes partitions de Mozart et il me disait "Oh eh, viens, écoute ça "Alors il fallait écouter ses enregistrements réalisés avec amour auprès des communautés de la forêt.

A un moment j'ai eu une petite étincelle de lucidité en écoutant les flûtes des Indiens Cuna de Panama et de Colombie. J'ai fait un grand effort au risque d'une hernie dans la conscience pour écouter la musique amérindienne avec un minimum d'humilité ! Je me suis intéressé à Bela Bartok, quelqu'un de la "classe moyenne" comme moi a besoin de beaucoup de ressources théoriques pour se guérir de la bêtise ! CMTRA : Oui, on appelle ça des alibis aussi Et vous vous êtes approprié cette culture alors que profondément vous êtes plutôt de culture européenne ?

J.L.P. : J'ai commencé à voyager dans la jungle. Et tout de suite ça a été la rencontre non seulement avec les amérindiens en tant que groupe culturel, mais aussi avec la tragédie, l'horreur, la misère, la tuberculose qui touchent 80 % des Indiens.

Alors qu'est-ce qu'on fait ? L'esthétique anthropologique ethnique c'est bien pour faire les thèses, mais là on est au milieu des bactéries Il a fallu un an de fouilles et de répétitions pour arriver à faire le premier concert dans le cadre du théâtre "Los Fundadores" de Bogota.

Avec ma gueule d'espagnol alors j'ai commis un crime, au milieu des romances espagnoles du Moyen-Age, j'ai chanté trois chants chamaniques, sans savoir les faire. J'étais le Pavarotti de la Colombie, beaucoup de monde allait baver devant ma voix ultra catholique dans cet érotisme chrétien. J'étais un haute-contre marxiste qui chantait avec une voix angélique un chant chamanique J'étais un imbécile total. Simplement j'avais cette volonté, cette rage, ce côté vietnamien Il fallait, même si je me trompais. Le public était sidéré. Ah vous n'aimez pas ça ? Et bien vous en aurez plus encore. C'était de la musique amérindienne mal jouée, c'était vraiment grotesque mais c'était un défi. CMTRA : Le Yaki Kandru c'est le nom du groupe que vous avez reformé en France avec Sylvie Blasco, c'est très intéressant, mais ça se rapproche parfois plus de la musique contemporaine que de la musique que nous appellons traditionnelle D'une certaine manière vous êtes en position, encore une fois, de compositeur occidental, qui prend des outils et qui en fait une musique à lui ?

J.L.P. : Mais oui, et je le revendique. Je réclame mon appartenance à la foi de l'Occident, à la culture amérindienne et à la culture africaine. Je viens du pays de Garcia Marquez, si vous allez en Colombie, vous êtes dans une marmite de cultures. Je considère que l'ethnicisme est une perversion de l'anthropologie, je pense que l'on peut se passer de ce concept CMTRA : Je vous rejoins complètement, mais pour arriver à ça il faut aussi utiliser les outils des rituels...

J.L.P. : Que faire avec cette musique de la jungle pour la sauver de la folklorisation ? C'est dangereux de passer d'une musique rituelle au folklore, de passer du rituel à la marchandise. Je suis un laïc total, mais je voudrais respecter la dimension magico-religieuse de ces peuples. Et pour cela, la seule manière c'est qu'un jour cette musique puisse côtoyer, non par arrivisme mais par droit, l'histoire universelle de la musique. Cela veut dire que la musique des amérindiens doit pouvoir exister au même niveau que Mozart, que Schönberg, que la musique classique de l'Inde

Pourquoi la musique des amérindiens serait-elle condamnée à être toujours ethnique, ethnomusicologique, une connaissance pour les anthropologues ? Pourquoi devrait-elle être toujours une source d'identité "folklorique" et non un miroir de l'humanité sur elle-même ? Cela fait 30 ans que j'essaie de faire ça. Je pense que nous y sommes arrivés, Sylvie Blasco et moi, dans ce concert en duo avec notre sculpture sonore. La logique fondamentale de toute la culture amérindienne est basée sur cette pensée binaire. Quelle logique est fondatrice de cette manière de créer, de structurer, de composer la musique ?

De l'Alaska jusqu'à la Patagonie, en passant par la Cordillère des Andes et la grande forêt amazonienne, on trouve une loi, le dialogue - style "corbeaux" - dans les chants, les flûtes ou les percussions. Pourquoi cette obsession philosophique avec le dialogue ? C'est la loi essentielle pour moi sur laquelle il faudrait insister pour revendiquer la philosophie amérindienne et la libérer de cette mode réductrice du "tout chamanisme". Parce que c'est délicat, l'Indien aujourd'hui a tendance à l'angélisme, avant il était le "mauvais sauvage", maintenant il est de nouveau le "bon sauvage".

On trouve souvent ces tas de "bouddhistes à plumes" et une quantité de babas-cool européens qui vont baver en face d'un chef ou d'un guérisseur amérindien, alors qu'ils sont face à des hommes et des femmes qui devraient tout simplement pouvoir jouir de leurs droits. CMTRA : Vous voulez porter ces musiques dans l'universalité. Mais pourquoi ne pas amener ces musiciens sur les scènes occidentales, qu'est-ce que vous en pensez ?

J.L.P. : D'abord il faut se placer dans les conditions sociales, économiques et politiques de la Colombie. Aujourd'hui et depuis toujours l'économie et le manque total d'intérêt de l'Etat colombien, un Etat génocidaire et criminel, ne peuvent faire valoir cette richesse culturelle. Pour découvrir le racisme, il faut rester là-bas.

En Colombie, le concept de racisme n'existe pas, il s'exprime au niveau des pratiques. L'armée colombienne, avec les grands propriétaires fonciers et les paramilitaires, s'amusent à faire encore des safaris d'Indiens. Déjà, voyager dans la forêt pour contacter les Indiens, c'était un grand effort. Alors comment prendre un groupe amérindien de la jungle, le mettre dans un avion vers l'Europe ? Pourquoi ?

Non, là ça devient folklorique, et pour les Indiens cette musique n'a pas une fonction folklorique mais rituelle. CMTRA : Mais vous sortez de la ritualité quand vous la pratiquez...

J.L.P. : Je n'ai pas eu ce passage de la religion animiste amérindienne au profane. Je pense que les Indiens ont droit à la religion mais aussi à la laïcité, à décider par eux-mêmes de croire ou de ne pas croire. Je prends la liberté de faire un travail profane avec une musique sacrée, de la même façon qu'un athée peut chanter de la musique grégorienne parce qu'il l'aime. J'étais vraiment marxiste jusqu'à la maladie quand je chantais Bach en sachant que c'était la Bible. Pour moi c'est la même chose avec la musique amérindienne, elle m'appartient et je la réinterprète en essayant de respecter l'essentiel de la créativité amérindienne sans rendre de compte aux amérindiens ni à personne de mes croyances.

Parce que la réalité aujourd'hui, c'est que beaucoup de jeunes amérindiens commencent à déserter la culture amérindienne parce qu'ils souffrent trop du fait d'être amérindien à temps complet. CMTRA : Ma question, c'est de savoir si les Indiens pratiquent encore aujourd'hui la musique que vous pratiquez et dans quel cadre ? Est-ce qu'ils font la démarche que vous vous faites, c'est-à-dire de la porter ailleurs, sur un autre espace ?

J.L.P. : Je pense que doucement ça commence. Le dénuement des Indiens au niveau politique et social est tel qu'ils ne peuvent pas le faire. Cela sera peut-être possible quand il y aura des musicologues, des anthropologues, des philosophes amérindiens pour réflechir leur culture à partir de l'humanité et de l'universalité. Pour l'heure ce ne sont pas les amérindiens qui peuvent transmettre les éléments quotidiens, magico-religieux de leur culture, vieille de 40000 ans vers une notion universelle.

Malheureusement ou heureusement, ça doit passer par l'autre, même si l'autre est l'ennemi ancestral. Ils doivent aussi accepter leur altérité, c'est ça le problème de l'anthropologie. Moi j'assume ça, je m'en fous de la couleur de ma peau. Alors, à Genève, un jeune Indien péruvien, témoin de Jéhova, m'a dit avec une certaine rage : "Mais pourquoi tu chantes notre musique ?" alors je lui ai répondu "parce que moi je l'aime et que je connais davantage la musique amérindienne que toi ". CMTRA : C'est celui qui vous a dit que vous chantiez comme un curé espagnol ?

J.L.P. : Non, ça c'était un indien Goajiro, il y a trente ans, au commencement de Yaki Kandru en Colombie. C'était fascinant et il avait raison, parce qu'à ce moment-là, j'étais encore dans ma voix angélique. C'était ma première vraie leçon de musicologie, j'étais tellement jeune et romantique que je ne pouvais pas comprendre cette dimension philosophique de la technique et du timbre vocaux

Aujourd'hui mon romantisme devient plus critique. CMTRA : Est-ce que vous avez fait école d'une certaine manière ?

J.L.P. : Non parce qu'en Colombie c'est tellement compliqué, on était toujours dans une situation de guerre, j'avais mon cours de théorie d'anthropologie générale à l'université et j'étais professeur de technique vocale à l'Ecole Nationale de Théâtre.

Alors c'était déjà très difficile d'arriver avec cette musique tellement étrange dans un pays qui idéalisait la musique classique européenne du fait de la classe moyenne des intellectuels et d'une bourgeoisie totalement colonisés dans leur tête. Mais Yaki Kandru est devenu vraiment un groupe de référence, sans être un groupe commercial. On donnait des concerts partout, sous les tentes lors des grèves d'ouvriers, dans les forêts

A la demande de chants de protestation, de chants révolutionnaires nous opposions toujours cette volonté de présenter la musique amérindienne. A partir de 1970 et durant12 ans, nous avons fait en Colombie, en Amérique Latine et en Europe, des centaines et des centaines de concerts. CMTRA : Et vous êtes arrivé en France...

J.L.P. : En 82, pour une tournée européene avec le Yaki Kandru et j'ai eu droit à une année sabbatique pour une formation au Roy Hart Théâtre. Ensuite je suis resté car j'ai retrouvé ma femme et mes trois enfants qui avaient trouvé refuge à Paris. Plus de la moitié de ma famille est réfugiée en Europe. CMTRA : Comment vous développez en France et en Europe une dimension artistique parce que là le fossé est énorme, les gens ne connaissent rien aux musiques d'Amérique du Sud à part Los Incas et la Salsa ?

J.L.P. : Nous jouons la musique sans faire de concessions au public. Nous jouons la musique des Indiens Piaroa du Vénézuéla, des chants d'amour Wayana de Guyane, des chants rituels achuar d'Equateur, des thèmes des Indiens Séri du Mexique, les flûtes des Indiens Cuna de Colombie et du Panama, et les flûtes géantes des Indiens Cubéo d'Amazonie colombienne C'est la musique dans le sens strictement acoustique et tactile qui nous intéresse, on chante et on se déplace parmi ces instruments. Je me demande si la musique amérindienne ne serait pas plus proche du maniérisme japonais avec cette codification tellement raffinée du schéma corporel japonais dans les arts martiaux et dans la danse. C'est une caractéristique du chamanisme.

Des anthropologues en Colombie et au Brésil, au Mexique réfléchissent à l'introduction de l'expérience du chamanisme dans l'histoire de la philosophie. Car le chaman est celui qui adopte le point de vue de l'autre Il nous faut des Kurosowa amérindens. Moi j'ai commencé avec toute la soupe conceptuelle occidentale, Bach, Beethoven, le Moyen-Age, le christianisme vécu des Espagnols. Et je ne regrette pas d'avoir vécu à travers toute cette mythologie qui est très complexe aussi. Mais comment les Indiens de l'Inde ou les Chinois ont créé leur musique classique ? Ça vient toujours du rituel, nous sommes simplement son lieu de passage. Jorge López Palacio, installé en Haute-Savoie, enseigne aux Ateliers d'ethnomusicologie de Genève et prépare des animations présentant l'anthropologie au jeune public. Il donne en Europe des concerts avec Yaki Kandru et développe des formations théoriques et pratiques sur l'anthropologie de la voix à l'intention des musiciens, des comédiens, des musicothérapeutes et des enseignants. Propos recueillis par V.P. et E.M ---------- Programmation: Dans le cadre de la semaine de la science, le CMTRA organise en collaboration avec le Kafé Myzik une rencontre autour des musiques actuelles. Samedi 21 octobre : Salle de spectacle de Montchat - 53 rue Charles Richard - Lyon 3e - de 15h00 à 18h00, Rencontre/Conférence "Sur les musiques actuelles : des expériences et des pratiques en questions" avec Jorge Lopez-Palcio, Jean-Marc Vernier, Richard Monségu, Eric Montbel, Kaobeng Sounds System. À partir de 20h00, concert en trois parties : "De l'héritage à la création contemporaine" avec Philippe Garcia, Jean Blanchard, Yaki Kandru, Raphaël Gallix, Philippe Gilbert, Cyril Darmedru, Woodoo Mix.

rens. 04 72 07 04 26/04 78 70 81 75 Les XIIIe Rencontres de l'Association Rhône-Alpes d'anthropologie (ARA) auront lieu les 19 et 20 octobre 2000 dans la même salle.Jeudi 19 octobre, de 15 h à 18 h 30 "Le temps vécu : le quotidien et l'exceptionnel". Vendredi 20 octobre, de 9h à 12h30 Le temps des objets : "Le permanent et l'éphémère".

Vendredi 20 octobre, de 14h30 à 18h "Le temps des récits". rens. Jean-Paul Filiod 04 78 28 59 43 - 04 72 07 30 30 Renseignements

Tél : 04 72 07 04 26/04 78 70 81 75

Jean-Paul Filiod: Tél : 4 78 28 59 43 - 04 72 07 30 30


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