Rhôdania
5e Rencontres des Musiques et Saveurs de Terroirs
"Musiques et danses du monde rhôdanien, de la source à la mer"
Entretien avec Philippe Fanise
CMTRA : Philippe Fanise , tu assures la programmation artistique des Rencontres Rhodania à Mondragon : pourquoi cet engouement pour le Rhône ?
Philippe Fanise : Rhodania, c'est la rencontre de deux projets qui ont fusionné : "Les Rencontres de Musiques et Saveurs des Terroirs", une première manifestation mise en place par le comité des fêtes de Mondragon depuis cinq ans, et le projet "Rhodania" que je portais en concertation avec vous, le CMT Rhône-Alpes. La direction artistique des Rencontres est chaque année confiée à une personne différente.
Le Comité des Fêtes de Mondragon m'a demandé d'assurer la programmation artistique des Rencontres 2000, sous une forme de carte blanche. Cette année, suite à des rencontres entre les trois DRAC (Rhône-Alpes, Languedoc-Roussillon et Provence-Alpes-Côte d'Azur), je travaillais sur un projet concernant le thème du Rhône, commun aux trois régions. Il m'a donc semblé judicieux de proposer à la ville de Mondragon, située au bord du Rhône, d'accueillir ces rencontres rhodaniennes. J'ai bien sûr travaillé avec le Centre Languedoc-Roussillon et le CMTRA.
"De la source à la mer", tel est le titre de cette manifestation 2000, qui réunit trois régions, auxquels j'ai ajouté naturellement des musiciens de Suisse romande.
CMTRA : Si l'on s'en tient à la musique associée directement au Rhône, au fleuve, on ne trouve pas grande chose du côté des traditions franco-occitanes, à part les musiques de joutes. Pourtant tu es parvenu à réunir une programmation éclectique, en élargissant la notion de culture du fleuve ?
P.F. : L'objectif n'était pas de travailler de manière ethnologique sur le monde rhodanien, mais sur l'espace géoculturel rhodanien, à travers la notion de terroirs. Le thème de Mondragon ce sont les musiques autochtones ou plutôt "indigènes" (j'aime ce mot-là pour les musiques de France). En même temps, c'est aussi valoriser les nombreuses migrations et les nombreuses cultures qui sont venues s'installer les unes après les autres sur les rives du Rhône, aussi bien dans le monde rural que dans le monde urbain.
Ces traditions musicales lointaines ont rencontré des traditions déjà présentes, aussi bien en Suisse Romande, que dans la région lyonnaise, dans la vallée du Rhône ou dans le monde provençal et languedocien. Le choix artistique a été fait sur l'aller-retour entre les cultures locales, régionales, et les cultures issues des migrations. Je suis parti de cette observation que les cultures locales ont tendance à voyager, alors que les cultures de migration ont tendance à s'installer quelque part.
Chaque culture a un besoin d'intégration, d'enracinement, et en même temps un besoin de mouvement.
On constate que sur les rives du Rhône, il y a ce double mouvement, à la fois d'enracinement et de mouvement, de migration, particulièrement fort dans le monde rhodanien. Ainsi on observe des cultures musicales fortes : lémanique, savoyarde, provençale, languedocienne, camarguaise, avec des identités régionales très marquées, et en même temps une grande présence active de musiques issues du monde arménien, juif, arabe, ibérique, italien aussi bien à Genève, Lyon, et Marseille, dans les grandes villes mais aussi dans les espaces qui relient ces grandes villes : les espaces des rives et vallées du parcours rhodanien.
CMTRA : Ce sont effectivement des phénomènes que l'on connaît bien à Lyon, à Marseille ou Genève, et dont nous avons souvent rendu compte dans ces colonnes. Mais on constate surtout des juxtapositions de cultures musicales, et rarement des rencontres, des créations pour aller vers d'autres formes. Est-ce que ce lieu, ce Festival est pour toi une occasion d'essayer des choses de ce point de vue ?
P.F. : Oui, il y aura plusieurs modalités de rencontres ; des manifestations vont se juxtaposer dans l'expression de la diversité, par exemple le "concert Fleuve" du dimanche après-midi. On entendra tour à tour des musiciens suisses, savoyards, ardéchois, provençaux, arméniens, judéo-arabes et méditerranéens. Il y aura des moments de rencontre plus fusionnels, plus interactifs, avec par exemple "Les voix du Fleuve" pour la soirée d'ouverture du vendredi soir autour de poèmes empruntés aux poètes de fleuves : Mistral et Ramuz pour le Rhône, Tagore pour le Gange, et Hikmet pour le Daube. On va broder une sorte de rencontre poétique et musicale autour du thème du fleuve, lieu de rencontre. On dit souvent que les fleuves séparent les gens :
en fait ce sont plutôt des lieux de rencontre aussi bien pour les animaux que pour les hommes. Dans un même spectacle des danseurs indiens, bulgares, des musiciens savoyards, provençaux, irakiens vont se partager la scène, dans une rencontre assez insolite autour du thème commun de l'eau et du fleuve.
CMTRA : Pourrais-tu parler des "joutes musicales "qui reprennent l'idée des joutes rhodaniennes ?
P.F. : Ce sont de fausses joutes, car il n'y aura ni gagnant, ni perdant. Le terme de joute fait référence à une autre manifestation qui a lieu en Provence, organisée par Montanaro, "Les Joutes de Correns". Ces joutes sont en fait des scènes ouvertes où les gens, les artistes amateurs ou professionnels, conteurs, musiciens, danseurs, pourront librement venir s'exprimer, se répondre, car l'idée de joute est une idée de dialogue plutôt qu'une idée d'affrontement entre les cultures.
La rencontre entre cultures n'est pas uniquement une histoire de fusion, mais une affirmation de soi face aux autres cultures dominantes. Cela peut parfois même avoir un côté conflictuel, entre des cultures issues de nations et ou de traditions différentes, comme c'est le cas dans le sud de la France entre les cultures dites "régionales" et une vision plus nationale de la culture.
CMTRA : Une création autour de Jean Giono : quel est le rapport avec le fleuve ?
P.F. : Nous avons voulu relier les Rencontres de Rhodania à un autre élément, celui du 11 novembre et donc l'idée d'armistice. On a essayé de valoriser l'idée que le fleuve réunit les cultures, associe des traditions musicales de cultures différentes. Et de relier cette ouverture à l'évocation du 11 novembre, afin de participer à une sorte d'hommage aux victimes de toutes les guerres : c'est l'objectif du 11 novembre, en tout cas à Mondragon, puisque le Monument aux Morts de Mondragon est dédié "aux victimes de toutes les guerres ". Puisqu'il y avait ici des représentants musicaux de toutes les cultures, on a essayé de relier les deux manifestations.
Au même moment, et peut-être par hasard m'est parvenue une proposition du groupe "Une Anche passe "de Montpellier, qui avait réalisé un spectacle en Belgique lors du Festival de Passendale, inspiré de textes de Giono essentiellement tirés du "Grand troupeau "et de "Jean le bleu ". il s'agit d'une création musicale inspirée de thèmes languedociens, provençaux et flamands, insolite rencontre qui est une réelle apologie de l'engagement de Giono contre la guerre. Giono est à la fois un grand auteur pacifiste du sud de la France et un grand poète de la Haute Provence : mais il y a aussi une thématique du fleuve, de l'eau qui est très forte chez Giono.
Nous avons pris la notion de Rhodania au sens très large. On ne se cantonne pas à la vallée du Rhône et à ses rives mais aux "pays du Rhône ", à la civilisation du Rhône qui comprend tout une partie du monde alpin.
CMTRA : Tu proposes même une ballade de découverte le long du Rhône ?
P.F. : On essaye de créer des moments de rencontres un peu insolites. Il y aura donc le dimanche matin, une rencontre dans une ferme au bord du Rhône, une ancienne maison construite lors de la construction du TGV Méditerranée : c'est aujourd'hui une "maison du Rhône et de la nature ", une bâtisse restaurée et équipée par la municipalité. Nous y proposerons deux moments distincts le dimanche matin : tout d'abord une rencontre autour de traditions musicales issues de différentes religions.
Cette rencontre modifie la traditionnelle messe provençale, souvent présente dans de nombreuses manifestations en Provence, car il y a ici un lien historique très fort entre les musiques traditionnelles et la religion. On a souhaité dans l'esprit de Rhodania, ouvrir à d'autres cultures religieuses, avec des musiciens juifs, musulmans, chrétiens, de cultures provençale, gitane, arabe, etc. qui se retrouveront pendant une heure dans cette ferme pour partager des chants issus de différentes religions, autour notamment du groupe Naguila de Montpellier.
Dans le prolongement, les habitants de Mondragon nous proposeront une exposition qu'ils ont eux-mêmes réalisée sur leur village, qui s'intitule simplement "Mondragon, un village rhodanien ". Et, on gardera un peu de temps pour aller marcher au bord du Rhône, pour voir ce fleuve qui est notre thème commun.
CMTRA : Quel est le rôle de ton partenaire, Patrice Conte ?
P.F. : Patrice Conte est au cur du développement des musiques traditionnelles à Mondragon, ainsi que le groupe Flour de Rose, un groupe folklorique de qualité qui fait un travail remarquable sur le patrimoine provençal et sur l'animation de la ville de Mondragon. Patrice Conte est à la fois un formateur, un compositeur, un musicien, un tambourinaire qui sillonne les routes de Provence, et de Rhône-Alpes, puisqu'il a une activité qui déborde largement sur la Drôme. C'est aussi le principal animateur de l'association "Musiques en campagne", basée à Mondragon, qui réalise un travail de valorisation des musiques traditionnelles en milieu rural. Si ces choses se passent à Mondragon, c'est parce qu'il y a une réelle convergence dans cette petite commune, de personnes désireuses de travailler tout au long de l'année, et c'est ce qui la différencie de beaucoup d'autres communes provençales qui se limite à une action estivale.
Mondragon, tout au long de l'année, travaille sur une action de fond sur les musiques traditionnelles et la musique en général.
CMTRA : Plus largement, te paraît-il souhaitable qu'un Directeur de Centre de Musique Traditionnelle se dirige vers ce type d'intervention, orientée non pas vers la subsidiarité mais vers l'action artistique directe, puisqu'on aura même le plaisir de t'entendre au piano ?
P.F. : Je crois qu'il y a deux aspects à notre mission de responsables de Centre de Musiques traditionnelle en Région : un aspect institutionnel, celui que nous confient la région et le ministère, qui consiste à être au courant de la vie musicale régionale, à mettre en place des projets de formation, à relayer l'information dans les deux sens, à la fois du terrain à l'institution, et de l'institution au terrain. C'est aussi favoriser la transversalité des musiques traditionnelles pour qu'elles soient également reliées au développement des musiques actuelles, de la musique contemporaine et de la danse par exemple.
Maintenant, plus spécifiquement lié au terrain des musiques traditionnelles, il me paraît important qu'un Centre régional soit opérateur. S'il n'est pas opérateur unique, qu'il soit au côté des associations, des communes, des artistes qui veulent monter des projets innovants. C'est une façon d'être précurseur d'une nouvelle création, ou d'une nouvelle façon de vivre les musiques traditionnelles qui ne sont pas simplement inscrites dans la répétition, dans le renouvellement, mais aussi dans l'invention et dans la créativité. Le fait que la Mission en Provence des Mus. Trad. soit au courant de tous les potentiels créatifs, non seulement de la région, mais des régions voisines nous permet d'assurer un rôle de conseiller à la programmation artistique que peut-être personne d'autre ne pourrait jouer.
Nous sommes au croisement des réseaux, puisque nous travaillons à la fois sur des réseaux de musiques traditionnelles mais aussi de musiques du monde, de musique savante, de musique actuelle, avec la capacité de concevoir des projets à partir des nombreux éléments d'informations dont nous disposons.
CMTRA : As-tu toute liberté, toute latitude pour opérer tes choix artistiques, à l'intérieur d'une structure plus englobante et peut-être moins "militante ", telle que l'ARCAM ?
P.F. : Les choix artistiques sont clairs puisqu'ils vont dans le sens du cahier des charges des centres de musiques traditionnelles, qui doivent à la fois de valoriser le patrimoine régional, et toutes les cultures issues de différentes immigrations et mouvements artistiques actuels. Rhodania ou Mapa Mondi (créé à Nice en juin 2000) sont deux exemples de cette volonté très claire de relier à la fois les traditions musicales à caractère patrimonial tournées vers la conservation de la mémoire, et l'invention permanente. Je n'ai pas beaucoup de peine à aller dans ce sens-là puisque la plupart des artistes de valeur de notre région se dirigent eux aussi dans cette direction.
Je crois que c'est l'originalité de nos structures, de nos centres, que de défendre ce type d'intervention engagée.
Donc, ce n'est pas un mouvement "inventé "par la Mission ou impulsé par la Mission, mais c'est l'accompagnement d'une réalité artistique qui existe déjà, notamment dans la région de Marseille, dans le Var, dans le Vaucluse et dans les Alpes-Maritimes.
CMTRA : et en Rhône-Alpes bien sûr.
P.F. : Oui, et à Montpellier aussi, d'où je viens (Philippe Fanise était auparavant responsable du CMT Languedoc Roussillon, dont la direction est aujourd'hui confiée à Luc Charles-Dominique) mais j'ai l'impression que c'est plus fort dans le sud de la France. Il y a réellement une rencontre de plus en plus nette entre la tradition tournée vers le passé, s'inspirant du passé, et les musiques actuelles, d'une part, mais aussi la rencontre entre le patrimoine occitan et les musiques du monde. C'est une réalité plus qu'un choix. J'ai travaillé dans toutes ces régions-là, c'est peut-être pour cela que j'ai eu envie de faire Rhodania : j'ai été tour-à-tour lyonnais, savoyard, languedocien et provençal. Dans les choix artistiques que j'ai faits, cela a compté.
Propos recueillis par EM.
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MONDRAGON (84)
5e Rencontres des Musiques et Saveurs de Terroirs
"Rhodania, Musiques et danses du monde rhodanien de la source à la mer ".
Vendredi 10 : Salle des fêtes, à 19h00, apéritif concert d'ouverture. Salle des fêtes, à 20h30, les Voix du Fleuve : Le fleuve parle textes dits par Alain carré, et le concours de danseurs, chanteurs et musiciens de cultures diverses ; Le fleuve chante.. ; avec Jan-Mari Carlotti et le concours de patrice Conte.
Samedi 11 : Participation musicale à la cérémonie du 11 novembre, en mémoire des victimes de toutes les guerres. Salle des fêtes, à 12h30, Le Festin du Rhône, spécialités rhodaniennes, accueil en musique. De 15h00 à 18h00, Jetez-vous à l'eau ! Joutes musicales rhodaniennes : scène ouverte aux musiciens, chanteurs, danseurs, poètes, conteurs, amateurs ou professionnels de toutes langues et cultures. À 19h00, repas alpin (sur réservation). À 20h30, Le grand troupeau, suite de chansons et de musique instrumentale inspirée par l'uvre de Jean Giono, suivi de "On y danse, on y danse ", tous sur le pont pour un bal rhodanien.
Dimanche 12 : à 9h30, rencontre musicale de traditions judéo-arabes, provençales, gitanes, arméniennes, issues de diverses cultures et religions.
Participation du groupe Naguila.
à 10h30, Exposition "Mondragon, un village rhodanien ". Salle des fêtes, de 14h00 à 18h00, La Decize, concert Fleuve, voyage imaginaire en 7 escales des Alpes à la Méditerranée. À 18h30, apéritif et concert de clôture.
Renseignements
Comités des Fêtes de Mondragon /
Espace 2000
Tél : 04 90 40 87 68