Échos du Viet-Nam
Thanh Nga Tran & Thinh N'Guen Duyen au Théâtre de Vénissieux (69)
CMTRA : Dans quelles circonstances avez-vous développé une pratique musicale au Vietnam ?
Thanh-Nga Tran : J'ai commencé la cithare à l'âge de 10 ans, avant la chute de Saigon en 1975. A la cithare, j'ai appris la musique des trois régions au conservatoire de Saïgon. Je suis arrivée en France en 1984, mon père était parti avec mon frère en Boat people, il était passager du bateau qu'avait parainné V. Giscard d'Estaing de la Malaisie à la France.
Je suis restée au Vietnam avec le reste de ma famille et mon père nous a fait venir 6 ans après, quand il a trouvé un hébergement pour nous. Au Vietnam mon père était officier, il avait une très bonne situation, par exemple je suis allée au cinéma, à la piscine, je suivais des études générales et des cours au conservatoire. Et nous avons tout perdu après la chute de Saïgon.
J'ai emporté deux cithares dans l'avion jusqu'à Lyon.Nguyen Duyen Tinh : J'ai également appris la musique dès l'âge de dix ans, j'ai étudié la flûte traditionnelle pendant cinq ans. Quand je suis sorti de l'école d'Art d'Hanoï, je suis entré dans une troupe de chants, danses et musiques de Hanoï, la capitale du Vietnam. J'ai participé aux tournées vietnamiennes et internationales de cette troupe, "Than Long", pendant quatorze ans tout en apprenant la flûte traversière.
En 1987 je suis retourné au conservatoire de Hanoï pour suivre la formation de composition pendant trois ans puis je suis venu en France dans le cadre d'un rapatriement familial en 1990. Puisqu'on peut dire que je suis un produit d'amour entre la France et le Vietnam
A l'époque de la colonisation française en Indochine, j'avais la nationalité française de mon père. J'étais professionnel, j'avais un salaire mensuel de musicien et je participais aux tournées et la direction culturelle de la ville de Hanoï me donnait une maison en fonction d'une grille d'échelon, comme pour les fonctionnaires. Je faisais de la musique pour la capitale, sous la direction de la Ville qui était elle-même sous la direction du Ministère de la culture.
CMTRA : Pouvez-vous nous présenter les instruments dont vous jouez ?
T.N.T. : La cithare est l'instrument le plus connu et le plus étudié au Vietnam. Elle est composée de 16 ou 21 cordes en métal passant sur des chevalets mobiles, en pierre, en ébène ou en ivoire. Les chevalets divisent la corde en deux parties, on gratte la partie de droite avec les onglets à deux ou à trois doigts, à trois doigts c'est la technique du Centre et du Nord et à deux doigts c'est la technique du Sud. Certains musiciens comme M. Tran Van Khé utilisent la technique à deux doigts. On peut modifier la hauteur des notes émises en pressant plus ou moins fort sur la partie gauche de la corde.
Avant, la cithare était un instrument que l'on jouait avec d'autres instruments traditionnels, comme le luth, la vièle ou la flûte, elle était très présente dans les fêtes populaires et on l'utilise beaucoup encore dans le Cai Luong ou Hat-boï (opéra-théâtre populaire) avec la vièle. Aujourd'hui, on lui associe la basse, le synthétiseur Si je ne me trompe pas elle existe déjà du XIe au XIVe siècle mais à l'époque elle n'avait pas la même forme, il y avait 14 cordes. Depuis le XIXe siècle, elle est composée comme celle que l'on joue aujourd'hui. Certaines personnes préféraient la musique européenne, le piano, le violon, mais c'est dans le but de préserver le patrimoine de nos ancètres que ma mère m'a encouragée à étudier la musique traditionnelle vietnamienne. Et pourtant ma mère jouait de l'accordéon et mon père jouait de la guitare hawaïenne pour accompagner des chansons européennes !
A l'époque de mes parents il y avait beaucoup de Français chez nous et, après 1960, c'était l'époque des Américains. On était plus ou moins influencé par la musique européenne. J'ai étudié le piano à la maison pour mon passe-temps.
CMTRA : De votre côté M. N'Guyen, vous avez cherché à connaître les instruments des différentes minorités ethniques ?
N.D.T. : Une fois je suis parti à Lao Cio pour chercher une guimbarde et j'ai rencontré un vieux de la tribu des Thaïs sur les conseils d'un professeur de l'Institut de musiques traditionnelles d'Hanoï. Comme il n'avait pas d'électricité, j'ai échangé deux piles contre une guimbarde. Et à Lang Sen, j'ai rencontré les musiciens de la troupe de la région car chaque région a une troupe de musique ou de danse. Le système est encore comme ça aujourd'hui. Les musiciens jouent beaucoup du khen (orgue à bouche), du pilau (flûte). J'ai écrit les gammes que j'ai entendues et j'ai composé un morceau "La fête en montagne" que je vais jouer à Vénissieux.
Le Vietnam est un pays multi-ethnique. J'ai collectionné des flûtes, actuellement j'en ai une quinzaine des ethnies Khin, Teo, Meu, Pilau, Pipa, Dalmeu, mais je n'ai pas tout trouvé. J'ai connu un musicien de la région de Cao Bang à côté de la frontière chinoise. Je lui ai acheté une flûte 3000 Dongs, à peu près deux francs aujourd'hui. Je l'ai prise comme modèle et maintenant je peux les fabriquer.
CMTRA : La part d'improvisation, de composition ou d'ornementation personnalisant le fonds traditionnel semble être une caractéristique essentielle des musiques du Vietnam que vous présentez ?
N.D.T. : Pour moi la musique traditionnelle est d'abord la musique d'une personne qui finit par devenir anonyme. La plupart des musiciens prennent des mélodies, les développent, les modifient et notent leurs compositions qui sont enseignées au conservatoire.
De grands flûtistes comme Din Thin au nord du Vietnam ou Do Olak basent leurs propres compositions sur des airs ou des modes traditionnels. Les successions des notes donnent la particularité des peuples, avec la gamme pentatonique qui est la référence commune aux musiques extrèmes-orientales. Mais il y a plusieurs sortes de musiques vietnamiennes. La musique de l'ethnie majoritaire Kinh est apprise à l'école, c'est celle que nous jouons Mme Tran et moi-même. C'est la musique traditionnelle de l'ancien royaume, avec un orchestre formé de la cithare, du monocorde, de la flûte, d'un luth en forme de lune, de percussions et de gongs.
Maintenant, souvent, dans la musique traditionnelle, un orchestre va accompagner l'instrument soliste ou le chant avec les partitions de musiques composées spécialement pour ce cas de figure. Mais à côté de ça, il y a des musiques ethniques, avec des instruments ethniques et des musiciens professionnels qui se sont aussi basés sur ces techniques traditionnelles, et les ont retranscrites dans une écriture occidentale.T.N.T. : Les ornements sont le principal enseignement.
Après deux ans de conservatoire chacun développe sa technique d'ornementation tout en gardant un style. A partir de la mélodie que j'apprends à mes élèves, ils se mettent ensuite à ornementer. Ce que l'on va jouer est très varié, nous nous adaptons au public qui est devant nous. Car vous savez que la musique traditionnelle vietnamienne est plûtot triste, sauf quelques morceaux du Nord qui expriment la joie et l'allégresse. Il vaut mieux mélanger les styles si devant nous le public est majoritairement jeune, par contre si le public est plus âgé, on joue du traditionnel, pur.
Pour le prochain concert, j'ai rajouté quelques techniques modernes, comme des pincements de la main gauche, les deux mains jouant à droite des chevalets.
CMTRA : Le caractère expressif de la musique vietnamienne est très important ?
N.D.T. : Chaque région a une gamme liée à la langue quotidienne, maternelle. Et chaque région donne des couleurs, par exemple la gamme du Nord est très gaie, elle est pentatonique mais elle n'est pas mineure. Mais à partir du Centre jusqu'au Sud ce sont des gammes mineures.
T.N.T. : Il y a souvent le Si bémol dans la gamme du Sud qui donne un air triste. Et le Centre est plus triste encore je trouve.
Chaque région a sa musique. Mais à partir de 1960 on a mélangé les styles européens dans les trois régions. On a des rythmes spéciaux à la cithare, des notes très détachées et dans chaque région, on a adapté la musique locale à la cithare.
N.D.T. : Vous savez dans le Nord du Vietnam la terre est large et fertile, au Sud aussi, les conditions climatiques permettent de cultiver le riz. Mais le Centre est très étroit, il ne fait pas plus de 45 km de largeur et avec cette terre de sable les gens ont des problèmes d'alimentation. Avec les guerres aussi. Mille ans de domination des Chinois et un siècle de domination des Français et des Américains - les communistes disent comme ça ! - jusqu'à la réunification du pays. Donc la mentalité des gens du Centre est très triste.
Le Sud est influencé beaucoup par les Chinois. Au XIXe siècle 3000 chinois ont été expulsés du Sud de la Chine par le roi et sont descendus vers le Sud du Vietnam. Au début du XXe siècle, il y a une troupe de musiques et théâtre de Chine qui a donné une tournée à Saïgon, la musique de la Chine et la musique des pays polynésiens se sont alors mêlées dans le Sud Vietnam et ont donné lieu à l'invention du Cai Luong, un genre de comédie musicale très populaire. La musique de la cithare donne une ambiance un peu mélancolique avec beaucoup d'ornements, d'accents. Les flûtes, ça dépend
Je vais jouer des morceaux gais, romantiques, ou tristes mais avec beaucoup d'optimisme ! Nous serons quatre musiciens. J'ai invité une professeur de cithare vietnamienne qui a eu le Diplôme d'Etat, Mme Phuong Oanh, elle était déjà professeur au Conservatoire de Saïgon avant 1975. J'ai invité aussi une chanteuse qui s'appelle Lê Quyên, formée également au conservatoire supérieur d'Hanoï, elle a fait partie d'une grande troupe du nord du Vietnam et vit maintenant à Paris. Un autre musicien, N'Guyen Quôc Vuông, qui joue des percussions.
T.N.T. :
Nous, nous serons quatre, trois cithares et un chanteur. Mon mari joue de la cithare à 21 cordes, Sandrine Minh-Trang, mon élève, et moi nous jouerons de la cithare à 16 cordes, Bao Phuc est chanteur. Nous jouerons la musique du Vietnam des trois régions, traditionnelle et contemporaine.
CMTRA : Ce concert n'est finalement pas seulement pour vous l'occasion de présenter une musique ?
N.D.T. : Dans les écoles de Vénissieux je vais apprendre aux enfants des chansons vienamiennes, en français et en vietnamien, ils vont apprendre à taper des percussions en bambou, peut-être que les plus grands apprendront les danses vietnamiennes.
T.N.T. : Je présenterai la cithare, les techniques de jeu et parlerai aux enfants de la position géographique du Vietnam pour les animations dans les écoles demandées par Mme Godart, la directrice du Théâtre de Vénissieux. Grâce à l'enseignement Je fais un peu de musique tous les jours, mais je ne peux pas vivre de la musique en France, il manque des musiciens auxquels s'associer.
N.D.T. : En France il n'y a pas beaucoup de musiciens vietnamiens. A Paris je connais Phuong Oanh, M. Tran Van Khé, M. Tran Quang Hai Nous ne sommes pas nombreux, pas de concurrence J'ai beaucoup de nostalgie du Vietnam, parce que je suis professionnel, avant je vivais toujours en musique. Je suis très content que le CMTRA m'ait donné récemment la possibilité d'enregistrer et de répondre à des propositions de concert pour faire connaître cette musique au public, mais pour moi c'est aussi une occasion d'exprimer mon sentiment par la flûte. Depuis que je suis arrivé en France, même ma femme ou mes enfants des fois ne veulent pas écouter ma musique ! C'est plus difficile de faire de la musique ici, c'est normal, on est dans une autre dimension culturelle, où la musique reste en silence.
Propos recueillis par V.P.
Lundi 16 octobre, 22h00 sur France Musique : "Musiques d'Improvisation en Trio" avec la participation de M. N'Guyen Duyen Tinh.
Échos du Viet-NamSamedi 18 novembre 2000
dès 19h30, Musiques du Vietnam au Théâtre de Vénissieux,
en partenariat avec l'association ACAPI
et le Centre Culturel Boris Vian,
direction artistique : CMTRA.
Renseignements
Tél : 04 72 90 86 68 ou 04 72 90 86 60