Les noëls de Taulignan
Entretien avec Jean-Claude Rixte
CMTRA : L'Institut d'Etudes Occitanes de la Drôme prépare pour cette fin d'année l'édition d'anciens noëls de Taulignan. Pourquoi cette initiative ?
Jean-Claude Rixte : C'est une histoire qui remonte à 1997 lorsqu'en vue d'un colloque sur l'auteur drômois Louis Moutiers préparé à Montélimar, je suis tombé sur la première édition de ces noëls par cet auteur en 1885. Certains de ces noëls avaient été publiés dans Le Dauphiné en 1873 par André Lacroix, archiviste drômois bien connu, avec des différences au niveau graphique. Ni l'un ni l'autre ne donnaient d'airs ni de traduction. Marie-Christine Rixte a alors réalisé une version des noëls de Taulignan pour la compréhension du texte chanté, et quelques recherches supplémentaires ont permis de retrouver deux des dix mélodies.
J'ai trouvé qu'il y avait là matière à publication, aussi bien pour remettre ses textes en circulation au niveau local que pour d'éventuels chercheurs ou passionnés de la langue d'Oc. L'ouvrage sera accompagné d'un CD enregistré à Grignan dans le studio mis à notre disposition par la direction du château.
CMTRA : Est-ce que ces noëls sont présents dans les archives écrites ou dans la mémoire orale du village, as-tu explorer cette voie ?
J-C.R. : Une note de Moutiers dit que le recueil lui a été confié par Lacroix lequel l'avait acheté chez un bouquiniste au début des années 1870, et évidemment, j'ai cherché le-dit recueil un peu partout sans succès. C'est grâce à l'aide d'une collègue occitaniste et musicologue, Eliane Bencosit, qui a travaillé sur les chansons populaires du domaine d'oc que nous avons retrouvé une mélodie. Pour la seconde, Moutiers donne l'indication : "sur l'air de Sainte Jalle". Nous avons retrouvé la mélodie auprès de personnes de Sainte Jalle (Drôme, Baronnies), elle était le support de nombreux cantiques de procession dans la région au milieu du XIXe siècle.
Curieusement, j'ai une cousine à Taulignan qui est un lieu de mémoire à elle seule, mais qui n'a aucune connaissance de ces noëls-là. Il faut savoir quand même qu'ils remontent à la fin du XVIIe siècle. La datation est un peu délicate mais, grâce à la thèse que vient de publier Henri Moucadel sur les noëls de Saboly j'ai constaté que l'un des noëls pouvait être contemporain de l'un de ceux de Saboly édité en 1673. Le lexique également est daté et l'esprit de ces noëls correspond bien à celui des noëls de Saboly.
CMTRA : Peut-on imaginer une pratique traditionnelle à partir de ces seules traces écrites ?
J-C.R. : C'est une thématique populaire, mais sur ce point, on reste dans les fantasmes La langue est simple, le lexique n'est pas très compliqué. La thématique est traditionnelle : l'apparition aux bergers, l'étoile, la visite à la crèche. Ils dressent de façon assez originale un portrait de la vie des petites gens et des confréries religieuses par une attaque peu virulente mais réelle des pénitents défendant la meilleure place devant la crèche. Sinon d'origine populaire, au moins ils expriment une vision religieuse un peu naïve qui me semble correspondre assez bien à la tradition provençale classique des noëls populaires habituels.
On pourrait engager une étude de caractère sociologique sur le peuple qui est en scène dans ces noëls, à travers une étude d'un lexique qui nous est méconnu. Dans la mesure où la langue de Saboly est elle-même caractérisée par des traits de nord-occitan, la question se pose de savoir si ces noëls ne pourraient pas être attribués à Saboly. Faute d'autre piste possible, j'ai écrit une introduction linguistique sur ces noëls, grâce aux cartes linguistiques élaborées par mon directeur de recherches Jean Claude Bouvier, qui me permet de conclure que ces noëls sont bien caractéristiques du parlé d'ici, et que peut être, il serait éronné de les attribuer à Saboly.
Les traits linguistiques communs avec Saboly sont peut-être imputables au fait que la mère de Saboly était originaire de Montbrison-sur-Lez (Drôme, Tricastin). Mais Saboly est né à Monteux (Vaucluse), il a été très tôt maître de chapelle à Avignon et on peut aussi penser que les traits sud-occitans sont remontés jusqu'à nous.
CMTRA : A t-on des indications sur les contextes d'expression de ces noëls et que peut-on dire de la pratique actuelle des noëls et des pastorales ?
J-C.R. : Je n'ai pas trouvé de traces de pastorales dans mes recherches bibliographiques sur la Drôme, mais il y a par contre de nombreuses traces de noëls, jusqu'à Grenoble, publiés dans Le Dauphiné à l'époque de la renaissance de l'intérêt pour la langue d'Oc, vers 1870. J'ai retrouvé quelques traces de mystères et de comédies médiévales et religieuses à Romans et à Montélimar notamment.
La pastorale est une tradition qui actuellement est bien vivace en Provence, de nombreuses églises les mettent en scène et je l'ai toujours vécue. Presque chaque année à Noël, à Visan (Enclave des Papes, Vaucluse) il y a une quarantaine d'année, nous avions des pastorales dans la salle des fêtes du village. Plus récemment, à la fin des années 80, Roger Pasturel a créé dans les Baronnies une pastorale dans laquelle je me suis investi tout de suite.
Nous avons pu nous rendre compte à quel point ceci faisait partie de l'imaginaire collectif, je n'aurais jamais imaginé qu'une telle joie puisse être provoquée par ce genre de remise en circulation.
D'autant que, dans cette création, les gens retrouvaient dans une langue plus moderne des préoccupations d'aujourd'hui. Le mouvement occitan aura peut-être permis la réappropriation de cette richesse populaire qui était en sommeil. On a l'impression en effet qu'on remue là quelque chose qui ne demande qu'à émerger à nouveau. Évidemment, il faut trouver les circonstances pour que cela puisse s'exprimer.
Propos recueillis par V.P.
"Les noëls de Taulignan"
Co-édition IEO, Mairie de Taulignan,
Association des 11 tours de Taulignan. Publications de l'IEO
répertoire bibliographique de la Drôme
pastorale, et à paraître Recueil des Chansons de Dieulefit.
Renseignements
Contact Jean-Claude Rixte
Tél : 04 75 53 63 03