Rêve Nour
Musique sans barrière, musique sans visa
Entretien avec Chafik Khelifati
CMTRA : Chafik Khelifati, tu viens de produire ton premier CD, quel est ton parcours musical ?
Chafik Khelifati : Mon parcours commence au Conservatoire d'Alger. Ensuite, il y a eu le flash pour l'instrument, grâce à un ami de mon père, Mohamed Moukhtari, grand violoniste algérien en musique traditionnelle. Après le bac, j'ai intégré l'École Normale afin d'enseigner la musique. Après deux ans d'études, j'ai obtenu un poste à Alger.
Du fait de la situation en Algérie, j'ai décidé d'apprendre la musique ailleurs, de traverser la Méditerranée. Je suis arrivé à Genève, mais ça n'a pas marché.
En 1996, l'École Nationale de Musique de Villeurbanne m'a accepté. En trois ans et demi, j'ai validé mon diplôme d'Alger et me suis spécialisé en musique traditionnelle.
J'ai rencontré "Trans Maghreb Orient", avec Marc Loupuyt. Un déclic s'est produit à l'École de musique de Villeurbanne pendant le festival "Le Temps des Créateurs", où j'ai pu interpréter ma propre composition. J'ai aussi rencontré des groupes de ma communauté, Algériens, Marocains, Tunisiens. Une autre rencontre importante : celle avec Adel Salameh, maître virtuose du oud, qui a éclairé ma vision du musicien-compositeur et de la pensée musicale. Il m'a encouragé dans la composition, m'a donné confiance. Il m'a aussi donné l'envie d'enregistrer. Et c'est ce que j'ai fait aujourd'hui.
Quelles sont tes influences musicales ?
J'ai appris la musique occidentale (de la musique baroque au classicisme) au Conservatoire d'Alger. Mais du fait que je sois algérien, j'ai baigné dans la musique classique algérienne : la musique arabo-andalouse. Ensuite, j'ai dérivé vers le châabi algérois. Puis est venue l'influence du jazz pendant ma période à l'École de musique de Villeurbanne. C'est là que j'ai découvert le violoniste Didier Lockwood. Il y a aussi un peu d'afro-cubain et surtout de la musique arabe de la période Renaissance et début XIXe.
Quelles sont tes expériences musicales et de spectacles ?
A Villeurbanne, j'ai rencontré "Asmara", un ensemble de musique orientale de la période XIXe. J'ai participé à des festivals, notamment à la représentation de l'opéra de Mozart "Zaïde" avec l'orchestre "le concert de l'Hostel Dieu", où nous avons joué des turqueries. Nous avons participé au concert de la Nuit des Musiques Turques à l'Auditorium de Lyon et aux "Nuits musicales de Saint-Antoine l'Abbaye".
Dans ton CD, tu présentes un répertoire entièrement de ta composition, et tu joues de presque tous les instruments. Comment as-tu élaboré ce répertoire pour la composition et la réalisation ?
Ce travail a été très difficile pour moi, parce que la semaine de mon entrée en studio, la terre a tremblé à Alger et j'étais dans l'impossibilité de joindre ma famille.
J'ai élaboré mes différents thèmes au oud parce que c'est un instrument mélodique et rythmique. Cela m'a aidé pour placer les thèmes et en garder l'esprit. Cela m'a également facilité la tâche pour mon instrument principal, le violon : ça m'a permis de m'exprimer librement avec lui.
La partie rythmique (derbouka, deff et rêq) a été facilement introduite dans les thèmes parce que l'assise rythmique a été faite par le oud. Ici, le oud et les percussions sont au service du violon.
De ce fait, la réalisation des thèmes a été facile. C'était comme si j'avais des musiciens avec moi.
En studio, David Castel m'a beaucoup aidé. Grâce à lui, la qualité sonore du oud est excellente, la reproduction du son est très fidèle. Je le salue au passage.
Dans les répertoires que tu pratiques et que tu composes, les systèmes musicaux sont assez différents du système occidental, au point de vue des modes, des intervalles, des ornements et des systèmes rythmiques. Quelle est ta stratégie pour en rendre les subtilités compréhensibles aux oreilles européennes ?
Je ne pense pas avoir de "stratégie" quand j'écris mes thèmes. L'expérience, le temps et le travail font qu'on se dirige vers la musique qu'on aime et qu'on veut partager avec le public. Les thèmes viennent avec des événements. Quand je compose, je ne me demande pas si ce que j'écris va plaire au public, qu'il soit maghrébin, occidental ou autre.
Quel est ton avis sur les processus de métissage musical qui se pratiquent de plus en plus souvent ?
Il y a des choses intéressantes. Mais je ne suis pas dans le monde du "métissage-collage", bien que je respecte les gens qui écoutent ça. Ce qui m'intéresse, c'est la rencontre de différents états d'esprit musicaux. On se rejoint et on arrive à communiquer, sans barrière, sans visa, et sans document officiel.
Quels sont tes prochains projets ?
Quand on décide de faire carrière dans la musique, je me demande s'il y a une dimension de projet. En fait, mon seul projet, c'est de vivre dans la musique. Les idées viennent par rapport au parcours, à l'expérience et aux rencontres. S'il y a ces éléments-là, un projet naîtra, certainement. Et en ce moment, je suis dans mon "Rêve Nour".
Propos recueillis par J.B.
Contact
Chafik Khelifati
Tél. 06 17 46 61 13 / [chafikmusik@wanadoo.fr->chafikmusik@wanadoo.fr]
CD en VPC au CMTRA (rubrique La Boutique)