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Communautés et musiques à la Guillotière

Par son histoire, son urbanisme, son économie et sa centralité géographique, la Guillotière est d'abord un quartier commerçant, et de ce fait, un espace privilégié de retrouvailles pour les membres de nombreuses communautés qui y vivent, qui y ont vécu, qui s'y retrouvent et qui l'animent. Dans ce contexte, la musique recouvre une diversité de fonctions sociales, universelles pour certaines, particulières pour d'autres. Regroupés en sous-quartiers, éparpillés au fil des rues, les commerces d'alimentation exotique, de mariage algérien, de vêtements indiens ou de décoration asiatique matérialisent dans l'imaginaire lyonnais les quartiers « arabe », « chinois », « africain ».

La Guillotière est un exemple de « village- mondial », notamment par son rôle de « centralité commerçante », d'espace d'approvisionnement en denrées périssables et autres objets traditionnels des différents pays. Pourtant, malgré les idées reçues, la plupart des commerçants et consommateurs viennent de tous les quartiers de Lyon et des communes environnantes. Les personnes que l'on croise à la Guillotière habitent le quartier sans forcément y vivre...

Chaque communauté, chaque famille, chaque individu venu d'ailleurs a son histoire particulière : exode économique ou politique, déplacement de populations, regroupement familial sont autant de raisons de leur implantation ici. Et chacun vit à sa manière le déracinement et le sentiment d'étrangeté qui l'accompagne.

Au début, souvent, la langue est une barrière, les habitudes du quotidien diffèrent : c'est une question de survie mais aussi de réconfort que de se retrouver entre cousins, voisins, compatriotes. Alors naturellement se forme la communauté, ce « tout humain » qui trouve son principe d'existence dans l'histoire commune de ces hommes, d'une origine partagée, d'habitudes culturelles relativement homogènes, parfois aussi autour de revendications identitaires et politiques.

Chacune de ces communautés développe un mode particulier de relations au territoire et à ses habitants, tout en répondant à une nécessité collective d'entretenir et de reproduire des aspects de la culture d'origine, les coutumes, les rituels, la langue.

Mais les communautés ne représentent pas une réalité figée et éternelle. Elles sont un passage entre différentes modalités d'être, de vivre, pour continuer à exister dans un monde nouveau tout en gardant leur propre bagage culturel, surtout lorsque les nouvelles générations assimilent et proposent d'autres modes de vie et de relation à autrui.

Certaines communautés évoluent donc au fil des années, parfois s'étiolent. D'autres se maintiennent de longues périodes, notamment en trouvant un lieu où se réunir, que ce soit un lieu de culte, un local associatif ou l'arrièreboutique d'un commerce.

A la Guillotière, les communautés algérienne, kurde, arménienne et chinoise ont chacune suivi un chemin qui leur est propre et qui se transforme sans cesse. Les moments de réaffirmation et de transmission des valeurs culturelles communes, lorsqu'ils perdurent, se font fréquemment en musique, que ce soit au moment des fêtes rituelles (nouvel an, baptêmes, mariages...) ou de retrouvailles plus intimes. Cafés musicaux

Sur la Place du pont , les « hommes debouts » discutent, attendent, profitent du soleil qui passe - la place à la saveur du Maghreb.

C'est là qu'en arrivant à Lyon en 1964 depuis son village de Kabylie, Ali Mebtouche pose son sac. Il retrouve dans le quartier des membres de sa famille qui l'aident à s'installer et à se faire embaucher.

C'est dans ce quartier que les ouvriers maghrébins se retrouvaient à la fin de la journée : « à l'époque, 99% des immigrés d'Algérie étaient des hommes célibataires. Ils avaient tous laissé leur famille au pays, et le seul moyen de se distraire s'était d'aller dans un bar. S'ils trouvaient un orchestre c'était encore mieux. Ça les aidait beaucoup. » Sans radio ni télévision, le bar était le moyen d'avoir les dernières nouvelles du pays, mais aussi de se détendre à la fin des journées de travail : discuter, jouer aux cartes, écouter les groupes des musiciens du soir (ouvriers la journée), chanter et danser au son de la musique chaâbi, sétifienne ou oranaise.

C'est récemment que beaucoup de ces cafés ont fermé, mais lorsque des musiciens se retrouvent dans une arrière-salle pour entonner quelques morceaux à la voix et à la derbouka, ils restent seuls peu de temps : la musique bat le rappel, les amateurs accourent, les voix se mélangent. L'Espace Culturel Mésopotamie

[L'Espace Culturel Mésopotamie->article291] est l'association de la communauté kurde de Lyon et ses environs. Si d'aventure, un dimanche après-midi, on passe près du local, on peut entendre s'échapper des fenêtres une musique intrigante : un instrument à cordes aux sonorités orientales accompagné d'une boîte à rythme et d'un synthétiseur.

À l'intérieur, les Kurdes venus de Turquie, d'Irak et de Syrie sont réunis selon un nouveau rituel dominical qui met à l'honneur l'une des régions du Kurdistan. Les murs sont ornés de photographies des leaders du mouvement indépendantiste, les tables proposent une multitude de spécialités locales.

Au milieu des conversations, les jeunes dansent en cercle, bras dessus, bras dessous, ondulant au même rythme, formant un seul corps. Parfois un danseur se détache du groupe et déploie quelques pas plus libres et plus amples en faisant virevolter un petit foulard coloré. Ces danses et ces musiques, qui rythment les mariages des villages d'Anatolie et des quartiers de Diryabakir ou de Dogubayazit, sont ainsi investies d'une nouvelle fonction, pour les Kurdes de l'exil, dans un local en plein centre de Lyon.

Une reviviscence commune, pendant quelques heures, de ce qui a été, une transmission de ce qui est. La chorale Gomidas

Entre les années 1920 et les années 1970, la Guillotière a été un quartier arménien. Les rues Louis Blanc, Dunoir, Paul Bert, accueillaient des familles entières ayant fui l'Arménie après le génocide de 1915. Petit à petit des commerces se sont ouverts - certains ont même encore pignon sur rue.

Aujourd'hui, les Arméniens de la Guille se sont dispersés dans toute l'agglomération lyonnaise, suivant des chemins plus individuels, lorsque la survie personnelle n'a plus été subordonnée à la présence du groupe.

La Guillotière est pourtant restée l'espace de rassemblement des personnes d'origine arménienne, qui se retrouvent régulièrement au sein de l'Eglise Saint-Jacques et dans son arrière-salle, rue d'Arménie. Près d'un siècle après l'arrivée de leurs ancêtres, les Arméniens de Lyon continuent à chanter leur culture en arménien, avec deux répertoires interprétés par [la chorale Gomidas->article271] : les chants liturgiques orthodoxes lors des messes dominicales, et des chants profanes, lors de concert, chants collectés autrefois par le Père Gomidas dans les campagnes d'Arménie.

Dans une volonté commune de conserver des éléments de leur culture, ils continuent à faire vivre, en eux et entre eux, cette part de leur histoire. Karaoké chinois

Entre le Rhône et la rue de Marseille, l'association des Chinois d'Outre-Mer existe depuis plusieurs années. Cours de calligraphie, de taï chi ou de karaoké y sont proposés.

Selon Madame Zong, membre de l'association, le chant joue un rôle fondamental comme moyen d'échange et d'expression : « Pour les Chinois, il faut avoir les modalités pour être en public. On ne peut pas faire n'importe quoi et on doit éviter la confusion sociale. Le chant sert à apprendre à exprimer les sentiments. C'est comme de lire un livre, les chants nous apprennent la vie quotidienne, le courage. Apprendre une chanson c'est une bonne leçon. Alors en Chine, tout le monde chante ».

D'autant que l'invention du karaoké, dans les années 80, a fait évoluer la pratique du chant. Lors de la Fête de la Lune, le local de la rue Basse-Combalot s'emplit de familles de la diaspora chinoise. On mange des gâteaux en forme de lune, on échange devinettes et calambours et on chante. À tour de rôle, ceux qui le souhaitent prennent le micro pour entonner des chansons autour d'un écran de karaoké : de Taïwan ou de Mongolie, en mandarin ou en cantonnais, traditionnelles ou de variété, les chansons emplissent la salle. Dans toutes ces situations, la musique joue un rôle fédérateur, de maintien et de transmission d'une filiation culturelle.

Elle est un élément fondateur de toutes les ritualités, des moments de partage et de convivialité. Pour la vie du groupe et de chacun de ses membres, elle recouvre une multitude de fonctions, qui vont bien au-delà du plaisir et de l'animation. Dans le pays d'accueil, ces fonctions se renouvellent, se réadaptent de manière parfois inconsciente tout en continuant à porter en elles la mémoire des fonctions passées.

Au sein du groupe, les nouvelles générations, héritières de l'indicible, s'approprient, pendant quelques heures, les éléments d'une culture en évolution.

Puis à leur tour, ils l'interprèteront, l'embelliront, la définiront, la métisseront...

La musique est très liée aux états affectifs. Elle peut faire advenir des territoires perdus, les rappeler au souvenir et les faire résonner dans le corps, à l'image des « ritournelles », ces petits airs mélodiques et rythmés que l'enfant fredonne dans le noir pour se rassurer, quand le monde et ses codes ont laissé la place au chaos. Elle devient un centre autour duquel les choses peuvent commencer à reprendre leur place, la relation à autrui se redéfinir.

L'expérience sensible des musiques de l'Autre et des récits qui les accompagnent devient alors passerelle et possibilité de relation entre les mondes. F.L. & Y.E. « Mémoires musicales de la Guillotière » est le dix-neuvième chantier de recherches mené par le CMTRA. Il s'inscrit dans le cadre des projets culturels du Contrat de ville de Lyon et à pour objectif de valoriser la diversité des expressions musicales migrantes en milieu urbain.

Ce projet compte différents volets : des recherches de terrain et de collectes musicales, des recherches historiques et documentaires, l'organisation de concerts et d'événements de découverte musicale et la publication d'un DVD et d'un CD rendant compte du travail Retrouvez les chroniques 1 [(lettre n°61)->article178] et 3 [(lettre n°63)->article515] 1 - Alain Battegay

2 - R.Redfield, The little community, The University of Chicago Press, Chicago, 1965.

3 - Aujourd'hui officiellement renommée Place Gabriel Péri, cette place reste pour beaucoup la Place du Pont.

4 - Ali Mebtouche, propos recueillis en novembre 2004.

5 - Mme Zong, propos recueillis en avril 2006

6 - La ritournelle est un concept développé par Gilles Deleuze et Félix Guattari dans Capitalisme et schizophrénie, tome 2 : Mille Plateau, éditions de Minuit, 1980.


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