Centre Mémoires et Société de Villeurbanne
Le cycle « Au temps pour nous »,
mis en oeuvre par le futur Centre
Mémoires et Société de
Villeurbanne, nous a donné
l'occasion de rencontrer l'équipe
qui travaille à la préfiguration de
ce futur équipement culturel :
Olivier Absalon, chef de projet de
la mission de préfiguration et
Delphine Guedra, chargée des
actions culturelles.
CMTRA : Votre mission consiste à
« préfigurer » un futur Centre de la
mémoire pour la ville de Villeurbanne.
Avez-vous déjà une idée de
la forme que prendra cet équipement
?
O.A. : La mission existe depuis plus de
deux ans au sein de la Direction des
affaires culturelles de la ville de
Villeurbanne. L'ensemble des actions
que l'on a développé jusqu'à présent a
en effet pour but de préfigurer, tester et
mettre en place le futur équipement
qui ouvrira fin 2007, dans le bâtiment
des anciennes archives du Crédit
lyonnais.
L'idée est de construire un équipement
municipal complètement ouvert sur
son environnement. On y trouvera un
espace d'action culturelle avec des
expositions, des conférences, des
débats autour des thématiques liées à
la mémoire, au patrimoine, à l'actualité
des sociétés, à la création. Des ateliers
destinés à tous les publics permettront
à partir de cette base historique et
mémorielle, d'imaginer la ville de
demain.
Il y aura également une médiathèque,
annexe de la MLIS (Maison du livre
de l'image et du son) spécialisée dans
les thèmes de la mémoire et des sociétés,
le service des Archives Municipales
et un Centre d'études et de
recherches qui accueillera en résidence
des chercheurs qui s'intéressent
à la ville et à son évolution, des historiens,
des journalistes, des anthropologues,
des sociologues...
Comment abordez-vous le thème
de la mémoire d'une ville ? Quelles
approches, quels points de départs
et quels objectifs vous êtes-vous
donné ?
O.A. : La démarche est de faire un travail
de mémoire pour comprendre le
présent et offrir des pistes pour l'avenir.
Pour nous, ce qui est très clair,
c'est que le base du travail est le territoire.
Cela permet de se poser la question
de la ville comme étant un terrain
d'accueil de toutes les mémoires possibles,
celles des gens, des différentes
évolutions, de l'architecture et celle
des cultures en général.
Comme il
s'agit du territoire villeurbannais, l'intérêt
est de faire un voyage, dans une
ville jeune, qui s'est essentiellement
développée au cours du 20ème siècle
et qui porte les traces de ce siècle. On
voudrait essayer de la donner à lire
autrement, comme si on ouvrait une
encyclopédie du 20ème siècle et que
l'on en retirait des traces, celles du
Front populaire, celles de la Seconde
Guerre Mondiale, des mouvements
migratoires, tout ça pour essayer de
comprendre la ville d'aujourd'hui
puisque c'est comme cela que l'on
peut construire celle de demain.
D.G. : Parfois nous partons d'un
groupe de population spécifique. L'an
dernier par exemple, à l'occasion du
90ème anniversaire du génocide arménien,
nous avons fait un programme
culturel sur l'Arménie d'aujourd'hui,
avec une exposition de photographies
sur Apovian, ville jumelée avec Villeurbanne
et puis des conférences, des
moments de réflexion autour de ce
qu'a été ce génocide, le premier du
20ème siècle.
On était dans une
mémoire particulière, avec un sens
politique très fort et en même temps
notre démarche était de nous adresser
à tous les publics, de trouver des passerelles
qui permettent le partage de
cette mémoire, de faire le lien avec
d'autres communautés qui ont vécu le
même drame, avec des gens qui sont
arrivés dans des conditions similaires...
On avait par exemple organisé une
conférence sur le thème de la transmission
du drame dans une famille,
avec une psychanalyste qui nous a
parlé de ça, de la transmission du
drame, de génération en génération.
Son discours, bien que basé sur l'expérience
arménienne, était universel...
On travaille dans cette direction-là,
en essayant de créer des passerelles
pour aller intéresser des gens sur des
choses de leur vie.
Pouvez-vous nous parler de la
genèse de ce projet ? Il n'est pas
commun qu'une ville développe un
projet aussi important autour des
thèmes de la mémoire, du patrimoine
?
O.A. : C'est clairement un projet du
maire de Villeurbanne, inscrit dans son
projet de mandat. Dès son arrivée, il a
eu pour ambition de concevoir un
équipement culturel qui s'attache à la
mémoire et au patrimoine de sa ville,
de l'interroger à travers ce qu'elle a
traversé durant ce siècle.
L'idée n'était
pas uniquement de reloger des
archives et de leur donner les moyens
d'être dynamiques, mais plutôt d'avoir
des outils de réflexion sur la mémoire,
le patrimoine... C'est pour cela que ce
lieu prendra une forme un peu hybride,
entre le Musée, le centre d'archives, le
centre culturel.
C'est à la fois un
conservateur du passé mais avec l'idée
d'essayer de comprendre la ville d'aujourd'hui
et évidemment un espace
culturel pour s'assurer d'une diffusion
et d'une valorisation.
En 2001, la ville de Villeurbanne s'est
doté d'une délégation politique
« Mémoire et patrimoine », confiée à
une adjointe au maire. C'est elle qui a
commencé à concevoir le projet du
Centre. Ensuite il y a eu l'opportunité
d'acheter ce bâtiment puis la signature
avec Philippe Videlier d'une convention
avec le CNRS pour un accompagnement
scientifique du projet. Tout ça
s'est fait relativement rapidement.
En même temps je pense que ce projet
est lié a une tradition villeurbannaise,
de solidarité ouvrière notamment
(ou du mythe de cette solidarité).
De ce fait, il y a toujours eu beaucoup
de gens qui s'intéressaient au patrimoine
et à la mémoire. C'est une ville
très connue aussi pour son engagement
associatif. Il y avait donc un terrain
propice pour travailler sur cette
question. C'est une ville qui a une histoire
culturelle très riche...
Aujourd'hui vous abordez la dernière
phase de préfiguration. Quels
sont les projets et actions qui
jalonneront cette dernière année ?
D.G. : Cette année nous nous sommes
concentrés sur le Front populaire. « Au
temps pour nous » est une manifestation
qui se décline autour d'une exposition
centrale en Mairie et diverses
activités conçues avec divers partenaires.
On ne voulait pas se contenter
de retracer le contexte de 1936 et présenter
une exposition de photos d'archives
autour de ce qu'il s'est passé à
Villeurbanne à cette époque-là. On
s'est posé la question de savoir ce que
l'on retient aujourd'hui du Front populaire.
À la suite de nos recherches, on
a décidé de travailler sur la question du
temps. 1936, c'est les premiers congés
payés, la semaine de 40 heures, une
nouvelle pratique du temps social.
Qu'en reste-t-il aujourd'hui ? Pour
répondre à cette question, nous avons
créé cette exposition qui retrace les
étapes historiques et arrive aux enjeux
contemporains.
La prochaine étape
aura lieu en octobre, avec les rencontres
« Ville, voyage, voyageur »,
autour de la mémoire des villes et du
voyage, avec un colloque, une exposition,
du théâtre... D'autres projets,
comme les Journées du Patrimoine,
nous permettent de coordonner l'ensemble
des initiatives villeurbannaises
et de proposer des compléments. Les
conseils de quartier travaillent à la
valorisation de leur territoire, notre
rôle est d'essayer de voir comment on
peut faire des liens... C'est l'occasion
de travailler avec les habitants autour
de la notion de patrimoine, d'identifier,
et connaître leur travail, de rassembler
l'ensemble des actions mémoires
produites sur le territoire, un livre
d'habitant, une expo photo d'un centre
social...
O.A. : Souvent, ce type d'action qui est
au départ bénévole, fruit du travail
d'historiens amateurs a une réelle légitimité
et est un vrai révélateur de la
manière dont les gens conçoivent le
patrimoine de leur ville. On voulait
que ces publications, tirées à dix
exemplaires, puissent être recensées,
déposées aux archives et mises en
consultation.
C'est vraiment dans la
veine de ce que le Centre mémoire et
société pourra proposer en termes de
ressources. Il y a les ressources dites
officielles, des archives, des ressources
spécifiques, uniques, constituées à partir
d'axes de recherche d'historiens,
mais il y a aussi des ressources que
les habitants produisent eux-mêmes.
D.G. : On s'est rendu compte que
lorsque l'on s'intéressait à quelque
chose, que la chose avait toujours été
creusée par quelqu'un d'autre avant.
Le but n'est pas de refaire, de remettre
une couche de mémoire qui serait
estampillée plus officielle qu'une
autre. En tout cas, c'est une autre façon
de faire le lien entre le passé et le
présent.
Propos recueillis par Y.E. et F.L