« Planète métissage », « La belle métisse », « Métissons », « Nuits métisses … », les déclinaisons sur le thème du métissage sont nombreuses
dans le monde culturel contemporain qui s’ingénie à faire sonner la notion sous toutes ses formes et sous toutes ses couleurs.
Phénomène de mode, mais aussi concept anthropologique fertile, le métissage a indéniablement le beau rôle et on va même
jusqu’à le revendiquer comme une utopie moderne, un nouvel humanisme. Des musiciens jusqu’aux spécialistes des sciences
humaines, comment cette notion se décline t-elle dans nos esthétiques musicales ?
Ce dossier s’ouvre sur une sociologie du phénomène « world music » par Denis Constant-Martin qui explore les contours de cette étiquette
commode, vaste corbeille accueillant toutes sortes de sonorités et de courants musicaux issus de mélanges divers. Le musicien
lyonnais Richard Monségu témoigne de l’intérieur de l’assimilation des musiques d’ailleurs et nous livre sa vision d’une
« world-music vue d’ici ». Enfin, Laurier Turgeon vient, sous les reflets flatteurs du mot, révéler les paradoxes et les logiques sousjacentes
des discours du métissage.
Entretien avec Denis-
Constant Martin.
Chercheur au Centre d’études
et de recherches internationales,
Fondation nationale des
sciences politiques, il enseigne
la sociologie des musiques
populaires à l’Université Paris
8 - Saint Denis.
L’apparition d’une appellation
“mal contrôlée”.
Quand on essaye de comprendre le
phénomène « musiques du monde »
ou world music, il faut repartir de
l’idée qu’il n’y a pas de cultures
humaines qui n’aient été mélangées
et que, par conséquent, toutes les
musiques ont toujours été des
musiques issues de mélanges. Comme
toutes les pratiques culturelles dans
toutes les sociétés humaines, les
musiques sont inventées et développées
à partir de dynamiques internes
(qui sont nourries par l’organisation
sociale mais aussi par les préoccupations
esthétiques qui fleurissent dans
cette organisation) tout en intégrant
des éléments stimulants venus de ou
empruntés à l’extérieur. De ce point de
vue, la world music ne représente
absolument rien de nouveau, hormis
son intitulé : world music ou
« musiques du monde » qui sont des
expressions utilisées comme étiquettes
commerciales. Sur le plan musical, ce
que l’on appelle world music doit être
replacé dans des continuités historiques,
deux au moins : d’une part, les
mélanges musicaux ont toujours existé ;
de l’autre, un certain nombre de
musiques préexistantes à cette expression
se sont trouvées reclassées sous
l’étiquette world music.
Des musiques “récupérées”
Certains genres musicaux ont ainsi été
“recyclés” sous cette appellation dans
le but de leur trouver des débouchés
nouveaux : des enregistrements de
musiques rurales de zones occidentales
ou non-occidentales collectées
par des ethnomusicologues, des
musiques savantes ou rituelles nonoccidentales,
ainsi que des musiques
issues de métissages spontanés (qui
se sont produits souvent dans un cadre
esclavagiste et/ou colonial) ou de créations
locales (fréquemment en situation
de développement urbain). On
peut citer, par exemple, parmi les
genres musicaux engendrés par la
conquête des Amériques : cajun et
zydeco d’Amérique du Nord ; tango,
chamame, samba, foro, cumbia,
mariachi, d’Amérique latine ; calypso,
compas, merengue, bomba, zouk, reggae,
son, charanga, etc. des Antilles.
Vont se trouver également reclassées
en “musiques du monde” des
musiques apparues dans les villes
européennes aux 19ème et 20ème
siècles (flamenco, fado, rébétiko, fanfares
des Balkans, mais pas ce que l’on
considère comme “chanson de
variété”), des musiques de danse
urbaines d’Afrique, nées du mélange
entre formes “traditionnelles” diverses
auxquelles s’ajoutent souvent des
innovations créoles américaines,
continentales ou insulaires (mbalax,
morna, highlife, rumba, soukous,
chanson ethiopienne, taarab, sega,
mbaqanga, rap et reggae africains) ;
des musiques qualifiées d’ “arabes”
provenant du Maghreb, du Machrek et
du Moyen-Orient (styles oranais,
chaâbi, constantinois, maalouf, chanson
kabyle, chansons égyptienne et
libanaise) ; des musiques d’Asie, des
musiques crées au sein de populations
d’émigrés (klezmer, raï, bhangra,
salsa) ; enfin des musiques de films
non occidentaux (notamment
indiens).
Des musiques de synthèse
L’autre facteur qui a modifié les
possibilités d’effectuer des mélanges
musicaux, par rapport à l’époque des
métissages spontanés (où le contact
entre “faiseurs de musique” était
direct, en face à face), fut l’invention
des techniques de reproduction du son,
puis de l’image accompagnée de son.
Jusqu’à un certain moment dans
l’histoire des sociétés humaines, pour
qu’il y ait mélange, il fallait qu’il y ait
contact, relation directe entre des individus
de chair et de sang. Aujourd’hui
cette co-présence n’est plus indispensable
: il est possible de travailler en
studio à partir d’enregistrements préexistants
et de “fusionner”, de fondre
techniquement des musiques venant
d’horizons très éloignés sans que les
êtres humains porteurs de ces
musiques se soient jamais rencontrés.
Ces synthèses répondent à une idéologie
prégnante dans les discours sur le
monde contemporain et les “musiques
du monde” : l’idéologie de la
rencontre, la magnification du
mélange supposément issu de ces
rencontres. Mais les “musiques du
monde” de synthèse illustrent aussi le
paradoxe ou la contradiction de cette
idéologie de la rencontre : la rencontre
est souhaitable, elle est bonne (dans un
sens humaniste) parce qu’elle permet
de connaître l’Autre, de nouer relation
avec lui ; mais cette “rencontre” n’a
pas nécessairement besoin de lui,
l’Autre ; la technique permet de se
passer de lui, et de son consentement…
Ce paradoxe, flagrant en ce
qui concerne les musiques fabriquées
en studio, grâce aux échantillonneurs
et aux ordinateurs, est également sensible
même dans des situations où des
musiciens sont mis ensemble. Car,
dans le cadre des “musiques du
monde”, pour les besoins du disque ou
des festivals, on peut aussi “produire”
de la rencontre : convoquer des gens
qui ne se connaissent pas nécessairement
et qui n’ont pas une grande familiarité
avec la musique de l’autre, pour
un concert, pour un enregistrement ou
pour un film. L’exemple le plus caractéristique
de cette démarche qui
consiste, pour des raisons commerciales,
à “mélanger” des gens dans des
circonstances où ils n’ont musicalement
rien à faire ensemble est le film
de Wim Wenders, Buena Vista Social
Club, construit autour de Ry Cooder.
D’après ce qu’on peut voir et entendre
dans ce film, Ry Cooder ne connaît pas
grand’ chose à la musique cubaine et
ne parle pas l’espagnol. Il n’a fait
aucun effort pour aller vers les musiciens
cubains et se contente de plaquer
sa guitare sur leur musique et, pire
encore, de leur imposer son fils, un très
médiocre percussionniste qui aurait dû
avoir honte de tenter de jouer avec des
rythmiciens cubains. D’une autre
manière, le groupe Deep Forest a
construit des disques abominables sur
le plan moral et sur le plan esthétique,
en utilisant des enregistrements ethnomusicologiques
de musiques pygmées
ou polynésiennes et en les remixant
avec des sons et des rythmes électroniques,
le tout accompagné d’un discours
qui prétend que cette “musique”
permet de retrouver une pureté originelle
de l’humanité, dont seraient porteurs
des “primitifs” restés en contact
avec la nature.
“L’éloge dans la méconnaissance”
On retrouve là un discours de l’exotisme
qui est récurrent en France (et
ailleurs aussi) : une certaine manière
de concevoir l’Autre, littéralement de
croire le com-prendre (le prendre avec
soi, pour soi) et non le con-naître
(naître avec lui). Les sociétés européennes
ont connu de nombreuses
vagues d’exotisme. Au début du
20ème siècle, par exemple, pour
demeurer dans l’époque contemporaine,
avec l’arrivée du jazz en France
et la Revue nègre dont on a surtout
retenu les danses “lascives” et “effrénées”
d’une Joséphine Baker peu
vêtue ; une étude attentive des discours
commentant cet événement (travail
qu’a effectué Olivier Roueff) met en
évidence un certain nombre de points
communs avec les discours qui
accompagnent la world music. Ils
témoignent d’une appropriation de
l’Autre que l’on remanie de manière à
ce qu’il apparaisse porteur d’une différence
suffisante pour qu’il soit attirant,
mais pas trop forte pour qu’il ne
soit pas déconcertant ou repoussant.
Dans l’exotisme commercial, l’Autre
doit être consommable. On fabrique
l’Autre mais on construit une différence
relative qui ne provoque pas l’effroi. On
se rassure soi-même en idéalisant
l’Autre qu’on transforme en fonction
nos propres besoins. C’est ce que Tzvetan
Todorov a appelé “l’éloge dans la
méconnaissance”. On pourrait donner
de nombreux exemples de musiciens
africains ou indiens qui travaillent sur
des rythmiques complexes et des
conceptions du temps extrêmement
riches et dont la musique a été reconfigurée
pour la world music, dont l’art de
l’ornementation a été effacé, dont les
rythmes ont été appauvris et étouffés
dans un carcan binaire emprunté au rock.
Pourtant, derrière l’idéologie de la
world music, en dépit de l’exotisme
qui l’imprègne, on peut aussi constater,
et c’est là où les choses commencent à
devenir plus intéressantes, que la valorisation
de la rencontre a permis de
véritables collaborations musicales.
Mais on se rend compte alors que,
pour y parvenir, il faut un minimum de
connaissances de la musique de
l’Autre et un minimum de fréquentation
de l’Autre. C’est à ces conditions
que peuvent survenir le dialogue musical,
et peut-être l’invention d’un nouveau
langage. Quelques projets ont été réalisés
dans cet esprit et ont abouti à des
productions passionnantes et sur le
plan humain et sur le plan musical.
Je peux citer pour exemple le projet de
création de Jean-Louis Méchali et des
Urbs (jeunes percussionnistes issus de
quartiers du 9-3 utilisant des matériaux
de récupération), Liboma Minghi. Ils
ont travaillé pendant un an à Kinshasa
avec des jeunes Congolais (RDC) et le
rappeur Bebson de la Rue. Jean-Louis
Méchali rend compte de cette aventure
en concluant d’un sourire épanoui :
« C’est formidable, ils ont complètement
transformé notre projet, c’est
devenu LEUR projet. » C’est ce que je
voudrais souligner : à côté des
manipulateurs de musique que seul
intéresse le profit, il y a de nombreux
musiciens qui, de tous bords, utilisent
les moyens de communication actuels
(techniques, transports, etc.) pour
établir de véritables relations
humaines et permettre à leurs auditeurs
de découvrir l’Autre tel qu’il est
est, et la culture dont il est porteur.
L’individuel et le collectif
L’épanouissement de certains genres
musicaux se produit dans des situations
sociales particulières, on peut le
constater a posteriori mais on ne peut
évidemment pas prédire quel type de
situation sociale va engendrer quels
types de formes musicales. Ces inventions
musicales sont le fait de musiciens,
mais de musiciens porteurs d’un
bagage culturel qui ne leur appartient
pas exclusivement : qu’ils partagent
avec leur entourage, donc avec un
public, dans les sociétés où cette
notion fait sens.
Cet « entourage », ce
« public » des musiciens ne peut pas
être circonscrit a priori par des notions
telles que « nation » ou « peuple »
voire « classe sociale ». Il faut étudier
attentivement les conditions sociales
de production de la musique, découvrir
dans quels milieux, à quel
moment, un genre musical apparaît
pour tenter de comprendre la nature
des liens qui relient conditions
sociales, création musicale et signification
sociale de la musique : il n’y a
en ce domaine rien de donné d’avance,
d’automatique. Les mélanges musicaux
comme ceux qui ont permis
l’émergence du Rébétiko dans la
région d’Athènes en 1920 ou le
musette à Paris, sont effectués par des
personnes venues d’horizons différents,
porteurs de cultures variées, qui
ont passé suffisamment de temps
ensemble (c'est-à-dire ont partagé pendant
une période significative une
condition semblable) pour inventer
conjointement un langage musical
nouveau.
Aujourd’hui en France
Plus récemment, en France, on a
assisté à l’émergence du raï à partir
du mélange d’éléments empruntés à
un genre de l’Algérie occidentale et du
rock tel qu’il se pratiquait en France. Il
y a également une réinvention permanente
du rap par des groupes ayant le
plus souvent une expérience de
travail collectif dans des milieux
sociaux mélangés et défavorisés. Mais
commercialement, le rap, considéré
comme d’origine américaine, s’est
imposé comme étiquette autonome et
n’est pas inclus dans la world music
bien que son histoire aurait pu l’y
conduire ; c’est une illustration supplémentaire
de la nature artificielle de
cette étiquette.
Le raï sera parfois inclus dans la world
music (il figure dans le Rough Guide
de la world music, juste avant le flamenco),
parfois non. Il en va de même
pour le ska ou le reggae. Ceci indique
qu’il faut se pencher sur les processus
musico-sociaux et les enjeux économiques
pour comprendre comment
sont crées et utilisées des étiquettes
commerciales comme world music. Il
faut se poser des questions simples :
qui donne quel nom à quelle musique
dans quelles conditions et à destination
de qui ? Pour y répondre, on peut
regarder comment sont organisés les
bacs des disquaires, étudier la manière
dont les étiquettes musicales sont
employées dans la presse, noter les
genres musicaux qui figurent dans les
ouvrages consacrés à la world music et
au programme des festivals, faire
attention à la manière dont les musiciens
qualifient eux-mêmes la
musique qu’ils jouent. Et il faut aussi
tenir compte des emboîtages et empilages
qui font que, sous world music,
on trouvera, bien que pas exclusivement,
des genres musicaux déjà dotés
d’un nom propre (calypso, soukouss,
qawwali, flamenco).
Pourquoi préférez-vous le
terme “mélange” à celui de
“métissage”?
Le mot métissage a fait l’objet chez les
historiens et les anthropologues de
débats animés dont il n’est pas possible
de rendre compte dans un tel
entretien. Pour résumer, métissage est
souvent compris comme signifiant le
mélange d’éléments purs, ce qui dans
le domaine des sociétés humaines n’a
jamais existé ; il a, au départ, été conçu
comme une dégénérescence (le
« métis » est inférieur par rapport au
« pur » ; le « pur » se dégrade quand il
est « métissé ») ; il connote souvent la
stérilité. Bref c’est un terme chargé
d’histoire qui charrie des appréciations
négatives du mélange (comme, d’une
autre manière, hybridité). C’est pourquoi
certains auteurs préfèrent en revenir
à mélange, qui est moins marqué.
Il faut toutefois noter que des historiens
ou philosophes continuent à
employer métis en précisant le sens
qu’ils donnent à ce mot pour éviter
toute confusion, c’est le cas de Serge
Gruzinski (auteur de La pensée
métisse ou de Édouard Glissant qui,
dans Poétique de la Relation et le
Traité du tout-monde, l’emploie avec
des réserves en en faisant le point de
départ des dynamiques de créolisation).
En fin de compte, l’important est
d’être conscient des sens qui peuvent
se cacher derrière ce mot et de faire
attention à la manière dont il est
employé.
Analyse musicologique des
phénomènes de mélanges. Les techniques de la combinaison.
Les musiques du monde semblent se
distinguer de la plupart des autres
genres de musiques contemporaines
commerciales par le fait qu’on ne peut
les caractériser musicalement autrement
que par leur hétérogénéité formelle.
Elles constituent un fourre-tout.
Dans ce fourre-tout, comme nous
l’avons vu, on trouve des musiques
de synthèse, les seules à vrai dire qui
peuvent prétendre représenter la nouveauté
dans la world music. Ces
musiques world de synthèse sont
issues de la combinaison d’éléments
tirés de formes musicales préexistantes.
On peut très schématiquement
repérer dans l’évolution des formes
musicales, donc dans la manière dont
s’effectuent les mélanges, trois stades
(il s’agit ici de catégories analytiques,
la réalité étant en général bien plus
complexe) :
1. le patchwork, niveau premier de la
rencontre où les éléments hétérogènes
forment un ensemble mais restent clairement
juxtaposés ;
2. la synthèse ou la fusion, qui marque
une imbrication plus grande des éléments
qui entrent dans le mélange,
mais où on peut en encore discerner
ces éléments ;
3. la création, à partir des mélanges
(mélanges de mélanges), dans des
conditions sociales particulières, sous
l’impulsion d’individus innovateurs ;
alors les éléments originels sont complètement
fondus et ne sont plus repérables,
de nouvelles formes sont
inventées, auxquelles des noms originaux
sont donnés; l’exemple par
excellence en serait le jazz.
Ces stades peuvent coexister et se
recouvrir partiellement. On peut le
constater, par exemple, à la Guadeloupe
et à la Martinique. Des genres
sensiblement différents, dotés de noms
différents, y coexistent. Toutefois ils
possèdent, à côté des traits qui les
singularisent, des caractéristiques
communes et les musiciens en
pratiquent souvent plusieurs.
La leçon de la world music ?
Accepter l’unicité des phénomènes
musicaux
Étiquette commerciale au départ, la
world music a favorisé de nouvelles
manières de parler de la musique. En
un premier temps, on y a entendu
l’écho d’un culte du mélange (du
« métissage ») dans lequel les conditions
du mélange étaient négligées (en
particulier la violence, l’inégalité et le
mépris de l’Autre conduisant à sa
déshumanisation qui ont gouverné les
sociétés coloniales et esclavagistes et
pesé sur le développement des sociétés
urbaines modernes) pour ne retenir
que le mythe, ne correspondant à
aucune réalité historique, d’une harmonie
universelle dont la fraternité
musicale serait l’émanation. Ce discours
a ensuite été critiqué ; l’histoire
a été rappelée et mise en rapport avec
le présent. Dans cette perspective, les
« musiques du monde » ont été utilisées
pour faire connaître des sociétés
d’ailleurs, pour faire prendre
conscience des problèmes auxquels
elles sont confrontées et mettre en
mouvement des mécanismes de solidarité
(c’est l’esprit qui sous-tend le
festival des Nuits atypiques de Langon,
en Gironde, et le soutien qu’il a
apporté à la création du festival de
Koudougou, au Burkina Faso).
Enfin, l’absurdité d’une conception
des « musiques du monde » réduites à
certains genres seulement de musiques
commerciales ou commercialisées a
poussé des musicologues à s’en emparer
pour affirmer l’universalité de la
musique comme pratique créatrice
humaine ainsi que l’égalité de toutes
les musiques. Ceci n’abolit en aucun
cas le droit au jugement esthétique
mais ils veulent par là indiquer que
toutes les musiques sont des phénomènes
sociaux dignes d’intérêt et récusent
les oppositions ordinairement pratiquées
par le passé entre musiques
« savantes » et musiques « populaires »,
musiques « traditionnelles » et
musiques « modernes », musiques
« primitives » et musiques « civilisées ».
En d’autres mots, pour eux, toute
musique est bonne à étudier ; la musicologie
doit s’intéresser à toutes les
musiques et aux relations qu’elles
entretiennent ; donc trouver les outils
pour ce faire. Et c’est cette conception
que je m’efforce de défendre.
On peut espérer, il faut espérer, que ces
deux derniers types de discours sur les
« musiques du monde », celui qui veut
faire connaître les sociétés à travers les
musiques pour éveiller les solidarités
et celui qui veut que toutes les
musiques soient également dignes
d’intérêt, vont converger pour que, à
partir d’une meilleure information sur
les musiques dans toute leur diversité,
se diffuse une féconde con-naissance
des sociétés d’ailleurs sur la base de
laquelle s’élancent des col-laborations,
des efforts pour travailler ensemble,
afin de lutter contre les systèmes d’oppression
et d’exploitation qui s’étendent
et s’appesantissent aujourd’hui
sous le couvert de ce qu’on nomme
pudiquement la globalisation ou la
mondialisation. La dernière contradiction,
une contradiction fructueuse cette
fois, des « musiques du monde » serait
que, conçues dans la poussée sauvage
de la mondialisation, elles puissent
servir à en contrebattre les effets
nocifs.
Propos recueillis par Péroline Barbet
Denis-Constant Martin est auteur de :
L'Amérique de Mingus, musique et politique: les
"Fables of Faubus" de Charles Mingus, Paris, P.O.L.,
1991 (avec Didier Levallet)
Le gospel afro-américain, des spirituals au rap religieux,
Arles, Cité de la musique/Actes Sud, 1998
La France du jazz, musique, modernité et identité dans
la première moitié du XXe siècle, Marseille, Parenthèses,
2002 (avec Olivier Roueff)
Sur la piste des OPNI (Objets politiques non identifiés)
Paris, Karthala, 2002
[Plus d'informations sur Denis-Constant MARTIN->http://www.ceri-sciencespo.com/cerifr/cherlist/martin.htm]