Gong est un spectacle dont
les pièces instrumentales
présentées explorent les
possibilités du gamelan.
Cet ensemble de
percussions indonésiennes
est surtout connu pour sa
musique lancinante et
hypnotique.
L’ensemble permanent
Nusa Cordon de
l’association Kotekan s’en
empare de manière
originale à travers les
compositions de Jean-
Pierre Goudard.
CMTRA : Pouvez-vous nous présenter
le gamelan et décrire la
musique que produit ce grand
orchestre de métal ?
Un gamelan c’est avant tout un
ensemble de percussions frappées. Cet
ensemble est essentiellement constitué
de gongs, d’instruments à lames montés
sur résonateurs, auxquels on
adjoint des tambours et des jeux de
cymbales. Si on s’arrête à la seule île
de Bali, il y a plus de vingt sortes de
gamelans différents. Ce qui fait leur
différence c’est le matériau de
construction ; il y a des gamelans en
bambous, en fer, le nôtre à Kotékan,
est en bronze. D’autre part, il y a aussi
des variations de taille, le nombre de
musiciens peut aller de 4 à 30. Il y a
deux grandes familles de gamelans, le
gamelan de Java, dont le style et l’instrumentarium
sont influencés par la
culture musulmane, et le gamelan balinais,
où l’île est restée de tradition hindouiste.
À Bali, l’instrument reste
extrêmement populaire, même si au
départ cet instrument était l’apanage
des princes.
Comment et quand le gamelan estil
joué en Indonésie ?
Le gamelan est associé à beaucoup de
grandes cérémonies, notamment religieuses,
mais il est aussi joué lors
d’occasions plus courantes de la vie ;
la naissance d’une enfant, un mariage,
un décès … A ces circonstances sont
associées des répertoires spécifiques.
ABali, il y a plus de 20 000 temples ;
tous ces temples ont un anniversaire
où l’on va jouer. À l’intérieur de
familles élargies, il peut y avoir un
gamelan, dans un quartier, il peut y
avoir un gamelan, on en possède aussi
par corps de métier, la confrérie des
charpentiers ou des riziculteurs ont un
gamelan. C’est un instrument éminemment
populaire qui rythme les
événements de la vie , les musiciens
sont essentiellement des amateurs
hommes adultes.
Pouvez-vous essayer de décrire
cette musique si déroutante pour
nos oreilles occidentales ?
Il faut d’abord préciser qu’on n’est pas
sur des échelles sonores qui sont les
mêmes que les nôtres, donc pour les
habitués à l’échelle absolue occidentale,
l’instrument peut paraître déroutant.
Les différents instruments du
gamelan sont associés en paires et sont
volontairement accordés différemment
pour produire un battement qui
représente l’équilibre des choses.
C’est une notion très importante pour
les balinais.
Un instrument seul est
faux sans son complément, il est
incomplet. C’est la complémentarité
des deux qui donne le son voulu. À
cela s’ajoute, en ce qui concerne les
gamelans en métal, une résonance
incroyable, de très longue durée et
d’une très grande stabilité. Dans le jeu
instrumental, il va falloir maîtriser
cette résonance ce qui nécessite une
très grande motricité au niveau des
mains car on va parfois à de grandes
vitesses, il faut pincer les lames, les
maîtriser, tout en frappant avec l’autre
main. Il faut être en osmose avec le
voisin immédiat avec qui l’on complète
la partie jouée, mais simultanément
avec l’ensemble des personnes
qui compose le gamelan. Le rythme
est très présent, des jeux de polyrythmie
très complexes sont élaborés. Il y
a aussi une dimension mélodique qui
se déploie sur des échelles de 5 ou 6
sons (mode pelog ou slendro).
Quels sont les éléments les plus
surprenants de cette musique pour
notre culture musicale?
La répétition, le côté cyclique. Il m’a
fallu du temps pour amener mes petits
camarades à cette sensation-là où il
faut être dedans pour comprendre. Il
faut se poser dedans, et ce n’est pas
toujours facile pour nous, c’est une
tout autre relation au temps.
Comment transposez-vous cette
pratique de l’instrument en
France?
Ce répertoire est très lié à un culte et
une culture. Je me voyais mal rentrer
dans l’instrument par cette dimensionlà.
Ce qui m’a intéressé dans le gamelan
c’est l’environnement sonore et la
manière de le mettre en oeuvre, c’està-
dire l’organisation collective de cette
pratique musicale.
Je viens par mon itinéraire musical
personnel des grands ensembles de
jazz et des musiques improvisées. Ce
qui m’attire, ce sont ces grands
ensembles où l’on est un certain
nombre à mettre en oeuvre nos énergies
et nos compétences pour faire
advenir un événement musical. J’ai
gardé des principes d’orchestration
balinais quand aux rôles des instruments,
mais j’amène une démarche
plus contemporaine dans la manière de
s’emparer d’un objet sonore sous
toutes les coutures, ce qui va nous
amener à jouer avec les doigts, à ajouter
des instruments … Par contre les
principes d’orchestration dans la tradition
de l’instrument sont tellement
riches que je les utilise beaucoup. Ce
que j’ai rajouté aussi, c’est le silence
car dans leur musique, il n’y a pas de
silence, c’est la tourne permanente.
J’ai introduit cette possibilité-là pour
aérer, pour agrandir l’espace musical.
Un grand orchestre sans chef d’orchestre,
comment ça s’organise ?
Il y a un partage de responsabilités.
D’abord dans le gamelan tout le
monde sait tout faire, tout le monde est
capable d’occuper tous les postes, un
même musicien peut se retrouver aux
gongs ou aux tambours…. C’est un
des aspects qui m’a beaucoup intéressé
dans le gamelan, ça stimule la vie
de l’orchestre et c’est aussi très intéressant
pour la dimension pédagogique.
Tout le monde connaît tout,
donc quand on occupe une place, on la
joue d’autant mieux de l’intérieur que
l’on conçoit son rôle dans son agencement
avec les autres. cela donne une
précision et une compréhension très
grande de ce qui est joué.
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Comment élaborez vous vos compositions
?
Pour le spectacle “Les Diseurs” (2004)
j’ai travaillé sur l’identité des gens. Je
suis parti de l’identité de chaque instrumentiste
de manière très arbitraire
en inventant des codes pour relier le
sonore potentiel et la personne ellemême.
À partir du nom de chacun des
musiciens de l’orchestre, je développe
une rythmique spécifique qui devient
celle de chacun individuellement. Je
décréte très arbitrairement les temps
forts à partir desquels s’organisent les
temps faibles. Ensuite je calcule une
mélodie, j’affecte une valeur aux
lettres en fonction de leur place dans
l’alphabet. Je décide des hauteurs en
fonction des instruments. Puis j’introduis
le silence. Il me reste ensuite à étirer
le temps. Il y a de la logique et de
l’aléatoire dans mes compositions.
Cela constitue une base qui me permet
de développer des potentiels. 24 instrumentistes
ont alors donné 24 univers
sonores différents qui ont constitué
la base d’un plus vaste travail. Tout
peut partir d’un nom, d’un lieu, mais
aussi d’une image, d’un texte qui
induisent une architecture sonore.
Aujourd’hui, le spectacle Gong amène
la confrontation avec des instruments
occidentaux et par là-même un travail
de composition plus rythmique qui
s’appuie sur des traditions musicales
puisées de par le monde et que je revisite
avec mon propre imaginaire.
Pensez-vous que ces mélodies recèlent
une certaine vérité sur les personnes
?
Oui …. ou à l’inverse les gens se les
approprient. C’est une démarche assez
symbolique. En ce moment, je travaille
avec des enfants sur Givors.
L’intérêt de cette démarche, c’est de
commencer un travail musical à partir
d’eux, par ce qu’ils ont de plus personnel,
leur prénom et leur nom.
Entendre la rythmique de leur prénom,
c’est arbitraire au départ, mais ça
devient leur histoire tout de suite. Je
peux travailler sur l’individu mais
aussi sur les lieux et donc sur la dimension
collective. C’est cela qui me passionne,
lorsqu’on a à la fois du singulier,
de la différence, et qu’on la lie à la
dimension collective, au vivre
ensemble. Le gamelan permet cela.
Parallèlement à vos créations avec
une troupe permanente, vos interventions
pédagogiques constituent
un aspect important de votre travail
sur l’instrument. Comment
arrivez-vous à faire sonner un instrument
si complexe comme le
gamelan avec des néophytes?
Les projets de création comme Gong
sont proches de mes activités pédagogiques
menées lors d’ateliers dans des
écoles primaires, des collèges et lycées
ou dans des conservatoires de
musique. Le gamelan en ce sens propose
un outil pédagogique passionnant
et complet. Je fais jouer des petites
pièces balinaises pas trop compliquées
qui permettent aux gens de rentrer
dans cette petite bulle sonore et de
comprendre des choses de l’instrument.
Mais j’ai aussi une autre
approche qui allie la danse à l’improvisation.
Je travaille dans les écoles
avec l’Education Nationale, sinon, en
ce moment beaucoup avec les conservatoires
ou les écoles de musiques, où
je fais parfois des résidences temporaires
sur plusieurs jours.
Je fais des ateliers sur plusieurs jours,
j’essaie d’organiser une conférence sur
l’instrument avec Catherine Basset (la
grande spécialiste française de cette
culture), et de provoquer une présentation
publique de ce qui a été travaillé
ensemble, le tout pouvant se terminer
in fine avec l’accueil du spectacle
Gong.
De nombreux musiciens contemporains
doivent beaucoup au
gamelan, je pense notamment à la
musique répétitive ... Quels sont les
apports du gamelan aux musiques
contemporaines ?
Je réécoute beaucoup ces musiciens,
notamment Philipp Glass et Steve
Reich, « Enstein on the beach ». Je le
revisite de l’intérieur, je perçois mieux
comment ils se sont emparés de cette
musique pour en faire autre chose. Il
y a la répétition, imaginer des compositions
plus complexes.
En France, l’instrument est souvent
abordé dans une vision très ethnomusicologique.
Il y a une quinzaine de
gamelans en France, de tailles différentes,
pour certains exposés dans des
musées, mais ils ne sont pas tous
accessibles. Il y a un à la Cité de la
musique, au Musée de l’Homme, à la
galerie Sonore d’Angers, il y en a un
en ce moment à Marseille.
Tout cela est très intéressant, mais j’ai
choisi une autre voie, moins traditionnelle.
Je crois que nous sommes en
France la seule troupe permanente à
utiliser et créer sur un gamelan. Je
pense qu’il faut décloisonner l’utilisation
et la vision qu’on a de cet instrument
pour lui redonner sa dimension
populaire et le voir plutôt comme une
fantastique base sonore et humaine de
départ, à partir de laquelle on peut imaginer,
rêver, inventer …. Je reste très
attaché à cette définition de l’ARFI :
« à la recherche d’un folklore imaginaire
» Si elle n’y est pas, je l’invente,
je l’emprunte, sans état d’âme ni
tabou. Je crois que le public ne s’y
trompe pas et reçoit, ressent, l’ensemble
de ce collectif : l’alliance du
singulier et du pluriel.
La grande difficulté, c’est de pérenniser
un tel ensemble (20 musiciens).
Les possibilités de jouer en public restent
trop peu fréquentes. Il est souhaitable
pour que vive cette démarche
spécifique autour du gamelan Nusa
Cordon de trouver des moyens et de
faire entendre au plus large public la
richesse de cette musique. Chaque
concert nous le prouve au vue de l’enthousiasme
du public. Dommage que
les programmateurs restent aussi frileux
face aux grands ensembles !
Propos recueillis par Péroline Barbet
Contacts:
Association KOTEKAN
- Jean-Pierre GOUDARD
Île Cordon La Pierre 01300 BRÉGNIER-CORDON
04 79 87 25 64 ou 06 84 05 66 08
Mél : [goudardpauget@wanadoo.fr->goudardpauget@wanadoo.fr]
http://www.kotekan.fr.st
Date :
Le 24 janvier à
Bourgoin-Jailleu
Théâtre Jean Vilard
20h30
Réservations : sur place
Société des concerts
Tel : 04 74 43 52 61