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18. Les paradoxes du métissage

Par Laurier Turgeon

CELAT, Université Laval, Québec, Canada




L’introduction récente du mot « métissage » dans le lexique des sciences humaines exprime une volonté de situer le métissage au coeur de tout processus culturel, tant du monde occidental lui-même que sur ses franges coloniales. Très présent dans le discours scientifique, il y a aujourd’hui une volonté de valoriser le métissage, voire de métisser la culture. Ce goût nouveau pour l’hétérogène s’exprime dans la cuisine, mais aussi dans l’art, la musique et la littérature. Les artistes et les oeuvres métissés sont vénérés par les critiques et les armateurs d’art, tant en Amérique du Nord et en Australie qu’en Europe. Plusieurs grandes expositions internationales d’art contemporain ont exploité le thème du métissage ces dernières années. La « world musique » est devenu synonyme de métissage dans le domaine de la musique. Le métissage s’exprime avec encore plus de force dans la littérature contemporaine par ce que certains appellent une « esthésie migrante », soit une nouvelle esthétique fondée sur la mouvance énonciative qui définit le mode même de la constitution du sujet. Le soi se met en lieu et place de l’autre pour se construire à partir de lui. Par une sorte d’acculturation volontaire, ces écrivains s’inscrivent non seulement dans une autre culture, mais sacrifient leur langue maternelle pour écrire dans celle de leur culture d’adoption.



Si le métissage est maintenant valorisé, esthétisé, idéalisé même dans nos sociétés contemporaines, il n'en a pas toujours été ainsi. Le mot métis possède son histoire qui est marquée négativement jusqu'à la deuxième moitié du XXe siècle. Il apparaît dans le contexte colonial pour désigner les enfants de sang-mêlé, au statut incertain, pris dans une tension entre colonisateur et colonisé. Il renferme alors une connotation très péjorative parce que l'expression d'une transgression fondamentale entre l'Occident et son Autre. Pendant très longtemps donc, il renvoie aux domaines de la biologie, du corps, et de la sexualité honteuse entre espèces différentes. Depuis une vingtaine d’années, le mot métissage a été repris essentiellement pour lutter contre les purismes et les fondamentalismes de toutes sortes. Il se veut un moyen de caractériser et favoriser la multiplication des contacts, des échanges et des mélanges dans le monde contemporain. On entend rarement le mot métis, en tant que sujet, mais beaucoup celui de métissage qui renvoie à un processus culturel. Le métissage est devenu une métaphore pour dire le monde postmoderne. L’expression « métissage culturel » définit par défaut un phénomène omniprésent, de nature multiple et fragmentaire, qui se présente comme un universel dans le monde contemporain, celui de la mondialisation. Le mélange est partout, représenterait-il un nouveau patrimoine entrain de devenir hégémonique?



Autrefois employé pour condamner les mélanges ethniques dans les colonies, le métissage se manifeste maintenant à grande échelle dans les déplacements de populations des pays anciennement colonisés vers des métropoles devenues multiethniques et multiculturelles. Mais ces groupes déterritorialisés ne demeurent-ils pas des isolats, comme l'évoque le mot « diaspora » qui leur est souvent accolé? Faut-il rappeler que les déplacements transnationaux de populations ne touchent qu’une partie infime de la population mondiale. Les masses sédentaires, qui représentent la vaste majorité de la population de la planète, n’ont bien souvent même pas accès à l’internet. S’agit-il réellement d’un mélange harmonieux, ou bien d’une nouvelle forme de colonisation, intériorisée? Il se manifeste à l’échelle des nations, à l’intérieur desquelles des cultures métissées, issues de ces populations déplacées, ont pu voir le jour, telles que les Chicanos aux États-Unis, les Beurs en France, ou les Jamaïciens au Canada. Mais ces cultures métissées n’ont-elles pas pour corollaire de nouvelles formes de ségrégation, de fractionnement ? Le métissage se manifeste à l’échelle individuelle, dans le cas des mariages mixtes ou de l’adoption, mais à quel moment le « mélange des couleurs » devient-il un mélange culturel? Le métissage est aussi apparemment partout dans les nouvelles formes de communication, dans le « réseau », le « filet », le « tissu » des échanges d’information. Mais ces fils enchevêtrés, cet « emmêlement », conduisent-ils réellement au mélange, ou servent-ils à une consolidation, une réification du même?

Le multiculturel, implicitement discriminatoire, se pare de l’esthétique de l’hétérogène, mode de vie élitiste qui aime les emprunts, le mélange des genres, mais à condition que cette diversité bariolée n’altère pas en profondeur des valeurs curieusement rémanentes, persistantes. Par exemple, l’Équateur, comme beaucoup d’autres pays de l’Amérique latine, a construit son idéologie nationale sur le métissage qui a été un moyen efficace pour les élites locales d’écarter le pouvoir métropolitain espagnol puis, du même coup, de marginaliser tous ceux qui n’étaient pas métissés, c’est-à-dire les indigènes et les noirs. La version plus contemporaine du nationalisme métis de l’Équateur enferme les indigènes et les noirs -près de la moitié de la population- dans un multiculturalisme néo-libéral qui prône la tolérance et l’intégration mais qui, en même temps, entretient leur exclusion en les identifiant comme « autre ». Même lorsqu’on accorde à ces communautés culturelles des droits -l’usage de leur langue par exemple-, il s’agit de la reconnaissance d’une particularité ethnique qui tend à accentuer leur différence et à renfoncer les hiérarchies sociales en place. La reconnaissance de la différence par son incorporation à l’intérieur de l’état postcolonial contribue à faire des particularismes culturels une forme universelle de la domination culturelle postmoderne.



Bref, il faut rester critique envers la notion de métissage présentée trop souvent et facilement comme une idéologie salvatrice. Elle est maintenant en passe de devenir une esthétique universelle, acceptée et partagée par tous, voire imposée aux autres. L’hybridité est célébrée par les critiques d’art et elle devient un bien de consommation de masse. La diversité culturelle se vend, elle est désormais au service du capitalisme mondial et de la mondialisation. Je veux ici mettre en garde et souligner que le métissage ne produit pas toujours du beau et il n’est pas forcément libérateur. Le métissage devient souvent un discours intégrateur, mais qui n’a que peu d’existence dans la vie sociale et économique. Par exemple, le Canada qui s’annonce comme bilingue et multiculturel est, en réalité, un pays dominé par une langue, l’anglais, et une culture, anglo-américaine; les minorités linguistiques et culturelles n’ont qu’une existence folklorique. Les sociétés pharmaceutiques fabriquent de plus en plus de médicaments tirés de pratiques médicinales amérindiennes, mais sans compenser ni même reconnaître les porteurs autochtones de ces traditions. Le Musée du quai Branly se présente comme un lieu où dialoguent les cultures. Mais quand voit-on des amérindiens dialoguer avec des français? Les musées ne sontils pas des lieux de « vernissage » plutôt que de métissage? Force nous est de constater que le métissage résulte bien souvent d’une stratégie d’appropriation plutôt que d’un échange réciproque. Tout compte fait, ne faut-il pas reconnaître que le métissage est un phénomène politique que l’on ne peut pas réduire à une théorie culturelle?



Laurier TURGEON



Du même auteur :

Patrimoine métissés, contextes coloniaux et postcoloniaux, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2003



[Plus d'informations sur Laurier TURGEON->http://www.er.uqam.ca/nobel/soietaut/turgeon.htm]


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