17. La World vue d'ici
Antiquarks
Entretien avec Richard
Monségu, musicien et compositeur
du duo AntiQuarks
CMTRA : Richard, tu t’inscris dans
une démarche particulière puisque
tu allies à la création musicale, une
recherche qui puise dans des outils
apportés par la sociologie. Comment
conçois-tu ton implication de
musicien dans la connaissance des
musiques de l’autre ?
R.M. : Quand on est musicien et qu’on
a affaire à la création, on se construit
une culture musicale personnelle étroitement
liée aux rencontres et aux choix
que l’on va faire pour mettre à profit
ces rencontres. Dans mon cas, j’ai la
chance d’avoir fréquenté des musiciens
en situation d’exil qui ne pratiquent
pas la musique dans un réseau
socioculturel mais plutôt culturel, dans
le sens anthropologique : ils jouent la
musique de fête comme nos musiciens
de bal d’autrefois, c’est-à-dire qu’ils fréquentent la semaine les personnes pour qui ils vont jouer le week-end et ont un métier « comme les autres ». Ce sont en quelque sorte des personnages publics qui vivent avec leur public. Ils jouent pour faire plaisir, pour soulager une « double absence » pour reprendre le terme d’Abdelmalek Sayad. Ces musiciens là
m’ont beaucoup inspiré dans toute ma
démarche personnelle. J’ai vécu et
joué avec des musiciens gitans,
afghans, maghrébins, caribéens et africains.
Qu’est-ce que je peux faire de
cette expérience ? Comment l’exploiter
?
J’ai une pratique basée sur un terrain
musical d’exil et j’utilise une
connaissance supplémentaire, plutôt
issue des pères fondateurs de la sociologie
critique. Cela m’autorise à poser
la question de la valeur de ces
musiques dans les musiques actuelles.
Je suis un autodidacte qui croise une
démarche savante avec une réalisation
populaire. La forme de ma composition
révèle ces préoccupations.
Est-ce que tu revendiques le métissage
musical comme un processus
artistique et personnel ?
Que fais-tu de son côté pratique et
consensuel ?
Le métissage, qu’on parle de syncrétisme
ou de mélange, concerne au
départ des groupes sociaux qui subissent
des contraintes sociales spécifiques :
les colonisations, les esclavages, les
conflits meurtriers. En gros, des situations
extrêmes d’aliénation. Il s’agit
d’un moment de l’Histoire où le
groupe social tente un ultime recourt
pour sauver un système symbolique de
valeurs indispensables à toute culture.
C’est en tous cas dans des contextes de
crise que peuvent se créer des révolutions
dans l’art, la science, la religion,
la langue, etc. Et les choses peuvent
aussi être sauvées lorsqu’un guide ou
un chef fait surgir un espoir du chaos.
Le métissage est partout et pour tous.
Chacun le redéfinit selon ses intérêts.
On dit qu’un enfant est métis lorsque
deux sangs sont mêlés et on trouve ça
beau. Il représente l’espoir d’une universalité
pacifiée. Métissage et « world
music » sont deux termes fourre-tout.
On y met tout ce qui est autre. Le
métissage a un problème avec l’hérédité
et la construction historique légitime.
L’exigence qu’on lui porte le
condamne à se justifier toute sa vie.
Dans la démarche artistique que nous
menons actuellement dans Anti-
Quarks, le métissage est un acte de
création. La « world music » que nous
proposons s’intéresse à tout ce qui est
anonyme, atypique et anomique.
Rendre hommage aux accidents de
l’Histoire. Notre « world music », c’est
le soldat inconnu sans monument !
Les compositions d’AntiQuarks fonctionnent
comme un échange de dons.
Pierre Bourdieu parle d’une économie
des biens symboliques où ce qui est
donné se doit d’être rendu sous une
autre forme et plus tard. On ne rend
pas ce que l’on nous offre dans le
même temps, sinon c’est du troc. Cette
manière de rendre hommage autrement
que par l’imitation se retrouve
dans notre travail de composition. La
recherche a un côté autodidacte dans le
sens où elle passe son temps à croiser
des informations inattendues pour
faire des trouvailles. J’essaie d’accoucher
d’une forme qui se situe dans
l’histoire en utilisant la fiction pour
matérialiser un présent dans le passé,
pour créer un point de vue dans l’histoire.
Par exemple, je suis né en 1969,
peu de temps après les premières indépendances
africaines des années 60. Je
fais donc partie de la première génération
française après la décolonisation.
Qu’est-ce que j’en fais en tant que
mémoire ? C’est aussi en ces termes
que je réfléchis.
Qu’est ce que tu appelles “digérer
les musiques immigrées” ?
C’est simple. Tout d’abord, écouter le
disque d’AntiQuarks ! Plus sérieusement,
comment parler d’une musique
africaine sans faire de la musique africaine
? Là, ce n’est plus un mélange. Il
s’agit d’identifier les façons de voir
plutôt que les façons de faire. Dans le
même temps, pour pouvoir travailler
sur les façons de voir, il faut se
confronter au contexte social du faire :
être capable de jouer dans le style (« en
faisant style » comme on dit), c’est
mettre en chair les choses de l’esprit,
sans mystification, tout en concevant
l’improvisation. Comprendre sans
figer.
La « world music » en France, c’est
faire venir des groupes étrangers dans
un marché d’offre et de demande
contrôlé par le culturel cultivé. Les
musiciens exilés qui vivent ici n’intéressent
que les politiques socioculturelles.
On sait que nul n’est prophète
en son pays. Mais quel est celui de
l’immigré ?!
La musique du monde vue par les
Français est traditionnelle et pittoresque,
savante ou populaire mais
rarement moderne et électrique. En
effet, la « modernité » d’une autre
culture (musicale ou autre) inquiète.
Aujourd’hui, quel est le profil type du
« vrai » artiste de musique du monde à
la mode consensuelle ? Pour grossir
l’image : on le fait venir d’ailleurs, il
est vieux, c’est un maître. Pour moi, ce
qui compte, c’est de rendre visible la
« world music » française. Et là, ce
n’est plus une question de papiers.
Ces différents apports que tu
intègres dans ta musique, les
travailles-tu en termes de réconciliation
ou préfères-tu entendre les
contrastes? Tu sembles vouloir
soulever les contradictions...
Il s’agit de trouver les individus qui
réconcilient mais qui ne peuvent
réconcilier qu’en se mettant en opposition
par rapport à une légitimité autoritaire.
La légitimité, c’est quoi ? Un
pouvoir qui évolue selon l’histoire. Par
exemple aujourd’hui, la télévision et
les majors détiennent le pouvoir de
diffusion de la musique. Ce sont des
découvreurs autorisés et mandatés. Ils
font la pluie et le beau temps. L’histoire
a toujours créé ces légitimités.
J’arrive à un moment de l’histoire, et
c’est aussi celle de ma génération où,
si j’analyse et si je regarde ce que je
suis, je ne peux faire que ce que je fais.
Je prends position contre et dans une
réconciliation. Il est temps de solidariser
les énergies créatrices et critiques.
Dans votre production sonore,
comment cela se manifeste-t-il ?
Dans le fait d’entremêler fiction, réalité
et anachronisme avec une vielle,
une batterie et des voix. Par exemple,
je fais chanter un commandant de
vaisseau du 16ème siècle en créole
alors que c’est une langue qui n’existait
pas encore à cette époque. J’invente
des langues qui sonnent vraies
parce qu’elles se basent sur l’intention
et l’intonation.
Tu combats aussi la vision d’un
métissage heureux et pacifié qui ne
serait pas le reflet des réalités historiques.
Manifestement, ta
musique cherche à faire entendre
les luttes ?
Oui… les luttes et les situations d’honneur.
Toutes les histoires racontées
dans le livret de l’album parlent de ça.
La musique est une sublimation qui
suggère une démarche et un discours.
Par exemple, utiliser un rythme créole
dans une musique qui parle de l’inquisition,
c’est jouer avec le sens sans que
cela se voit. Parce que si j’ai envie de
parler de l’Inquisition, de la guerre et
des conquistadors, je peux très bien le
dire avec des paroles qui accusent ou
dénoncent. Concrètement, je parle
d’individus qui n’ont pas le choix
parce qu’ils sont pris dans les choses.
Il ne s’agit pas de régler des comptes
mais de dévoiler. L’exercice de la
sublimation permet à la musique, dans
son résultat, de parler au corps et de
faire sentir l’émotion.
Parmi les musiciens exilés que tu
as rencontrés, y a-t-il un discours
ou une recherche revendiquée de
métissage?
Non, il n’y a pas de discours sur le
métissage. Ce terme n’existe d’ailleurs
pas pour eux. Ils exécutent la musique
avec l’évidence « naturelle » d’être
autorisé à créer et mélanger (guitare
électrique et luth arabe par exemple).
Ce qui est selon moi une spécificité
totalement méconnue de la musique
populaire « exotique » que l’on se représente
comme figée par des règles strictes.
Le musicien exilé est aussi un voyageur
en quête de liberté d’exécution.
Lorsque j’ai commencé à enquêter en
1992 sur les musiciens immigrés
maghrébins à Lyon, j’ai demandé naïvement
à un joueur de luth ce qu’était
la musique traditionnelle, et il m’a
répondu quelque chose d’assez révélateur.
Il m’a dit que la musique traditionnelle
c’est avant tout une manière
d’interpréter, un « touché » personnel.
La musique populaire n’a de discours
que ses actes. Elle révèle un état
d’esprit qui peut déplacer la matière et
provoquer l’histoire de la musique. En
ce sens, la musique populaire est
savante.
Propos recueillis par Péroline Barbet
Site internet :
[antiquarks.free.fr->antiquarks.free.fr]
[contact@
antiquarksduo.org->contact@
antiquarksduo.org]
CD :
Le moulassa,,
AntiQuarks
En vente VPC, p.17
Dates :
02-févr-07 - « La Gare »
Association A.V.E.C. - 105 quai des Entreprises.
Coustellet. - 84 660 Maubec.
03-févr-07 - Art Scène
Salle des fêtes - Quartier sous l’église - 07 230 Paysac
08, 09, 10 févr-07 - Action Afrique Asie - Exodus
9, Rue Des Trois Mages - 13001 Marseille
Concert - Résidence…
15, 16, 17 févr-07 - Action Afrique Asie – Exodus
9, Rue Des Trois Mages - 13001 Marseille
Concert - Résidence…
22 et 23 févr-07 - Action Afrique Asie - Exodus
9, Rue Des Trois Mages - 13001 Marseille
Concert - Résidence…
24-févr-07 - Théâtre du Rocher de la Garde
Avenue Max Dormoy - 83130 La Garde
Concerts
09-mars-07 - ADAEP
163, cours Berriat - 38000 Grenoble
14-mars-07- La Guinguette Pirate
Quai François Mauriac – 95 013 Paris
16-mars-07- L'Argo'notes
Maison Populaire - 9 bis rue Dombasle - 93100 Montreuil
17-mars-07 - L'Etable
Moulin de Dionval - 28 130 St Piat
31-mars-07- Salle Genton
MJC Laënnec – Mermoz - 21, Rue Genton - 69008 Lyon
5-avril-07 - Amphithéâtre de l’Opéra de Lyon
1 place de la comédie - 69 001 Lyon
21-avril-07 – Révélation Printemps de Bourges 2007
Printemps de Bourges – Bourges
28-avril-07 - Médiathéque de Décines
14, avenue Jean Macé - B.P. 274 - 69152 Décines cedex
Rencontre Débat
25-mai-07 - Festival « En Grangeons la Musique »
Buget - 01 470 Serrières de Briord