Boutique Mon compte
page facebook du CMTRA page twitter du CMTRA page youtube du CMTRA
accueil > nos actions > lettres d'information > lettre d'information n°64 > lettres d'information > 3. le grand orchestre arménien Adhérer
menu
page facebook du CMTRA page twitter du CMTRA page youtube du CMTRA

3. Le grand orchestre arménien



CMTRA : Ce projet de grand orchestre arménien est né de l'his- toire particulière de la diaspora arménienne en France ?

Oui. À la fin des années 70 et au début des années 80, toute une frange de la jeune population française d'origine arménienne a été sensibilisé à la musique arménienne. À l'époque, l'Arménie soviétique favorisait au maximum ce qui était du domaine de la culture et des musiques traditionnelles pour en faire une vitrine. De grandes formations musicales, des ensembles folkloriques, des troupes de danseurs se sont alors développées et ont fait des tournées dans toute l'Europe. Nous, les jeunes de 18 ou 20 ans, nous étions un peu en recherche de nos racines et on a reçu ça comme un coup derrière la tête... La diaspora arménienne en France était essentiellement issue des communautés de l'Est de la Turquie parties après le génocide et pas de l'Arménie actuelle. Du coup beaucoup de sonorités se bousculaient dans nos têtes, à la fois des musiques orientales, de la musique iranienne et Turque et c'est vrai qu'on était un peu à la recherche de sons « authentiques », d'une identité propre et elle nous a été donnée par ces ensembles qui sont venus d'Arménie à cette époque-là. Cela a donné lieu à un élan musical qui est unique au monde et spécifique à la France, que l'on ne retrouve pas dans les autres diasporas, ni aux Etats-unis, ni dans le reste de l'Europe. Même en Russie où il y a une très grosse communauté arménienne, on ne retrouve pas cet engouement de jeunes pour ce type de mouvements et qui ont adopté la musique traditionnelle avec des instruments traditionnels.

Comment expliquer cela, cette spécificité française ?

Je crois que par rapport à d'autres communautés, il nous manquait une chose en particulier, c'est la pratique assidue de la langue. Il n'y avait pas à l'époque d'école au quotidien, et les Arméniens de France avaient du mal à organiser et à transmettre les apports culturels et linguistiques... Peut-être que pour nous, la musique a été le moyen de nous raccrocher à la culture arménienne. Si on prend par exemple le Liban ou d'autres pays du Moyen- Orient, il y a des écoles primaires, des collèges et des lycées, tout un environnement dans lequel s'immerger et l'Etat favorise cela. En France on est relativement bien intégré, on forme une communauté ouverte sur l'ensemble de la société mais c'est vrai que du coup on a perdu quelque chose. La communauté en France n'est pas une communauté au sens ou on l'entend au Moyen-Orient par exemple, où des quartiers entiers sont investis par les gens d'une même origine et où la langue, la culture se transmettent de manière intense. C'est vrai que nos anciens se regroupaient autour de l'Eglise et éventuellement du foyer communautaire, qu'il y avait une école arménienne où nous allions une fois par semaine mais ça n'a pas empêché que les jeunes soient en recherche identitaire et je pense qu'il y avait un besoin de compensation qu'on a trouvé dans la musique. Vous étiez des jeunes de la troisième génération de l'exil... On observe souvent un retour à la culture d'origine à la troisième génération...

Oui, disons que la première génération débarque, la deuxième essaye de s'installer un peu et la troisième reproche à la deuxième de pas avoir transmis... Il y a souvent un lien très fort avec les grands-parents et la transmission culturelle se fait souvent à travers eux, alors que les parents sont souvent plus occupés à se battre pour vivre dans des conditions décentes... Nous, tous ces jeunes d'origine arménienne, on se connaissait, on a été éle- vés ensemble, on se retrouvait dans des colonies et on a partagé cet espèce d'engouement musical qui a culminé en 1979. Cette année-là, il y a eu foisons de troupes qui sont venues d'Ar- ménie et qui ont suscité un réel intérêt de notre part. Ensuite, de petites structures se sont formées, des liens se sont créés avec les musiciens. Ensuite beaucoup d'entre-nous sont allé passer du temps en Arménie et ont suivi des initiations instrumentales avec des maîtres de musique. Nous avons eu la chance de côtoyer le nec plus ultra de la musique arménienne traditionnelle, qu'on ne rencontre pas forcément quand on habite en Arménie, de travailler avec des compositeurs et des musiciens arméniens, d'établir des contacts avec le Conservatoire d'Erevan... Petit à petit des formations se sont montées, avec des troupes de danse. Elles se sont étoffées et sont devenus autonomes, pour ne travailler que la musique. Aujourd'hui il existe encore des troupes de danse de notoriété internationale comme l'ensemble Navassart, Yeraz de Paris et Sassoun de Marseille), mais les formations musicales se sont davantage développées. Plusieurs écoles de musique ont également vu le jour.

Comment est né ce projet de grand orchestre ?

Il est né une première fois il y a vingt ans, sous l'impulsion d'un compositeur contemporain, Khatchatour Avédissian. Nous l'avions fait venir pour travailler avec lui. Les trois formations musicales de Paris, de Lyon et de Marseille étaient réunies et un jour il a pro- posé que l'on forme un grand orchestre. Au début ça nous paraissait complètement surréaliste et puis on a travaillé dans cette direction et on a monté en 1976 une première version de ce grand orchestre avec une série de trois concerts dans les trois villes. Ensuite chaque groupe est reparti et a poursuivi ses activités, même si on continuait à se voir de temps en temps. Et puis il y a un an et demi, voyant l'année de l'Arménie arriver, on s'est posé la question de reformer ce grand orchestre. On a réussi à remobiliser les troupes, les anciens étaient motivés, les plus jeunes aussi. Du coup, on est parti pour cette version 2006. On s'est remis au travail et chacune des formations, en plus de ses obligations, a commencé à définir un travail commun et chacun s'est mis au bou- lot dans son coin. Nous avons proposé à un compositeur d'Arménie d'arran- ger des pièces contemporaines et à un chef d'orchestre de venir pour diriger "cette joyeuse bande". C'est lui qui essaye de donner corps à ces trois formations-là, Kéram, Spitak et Navasart. Il a passé du temps dans chacune des régions pour voir comment ça se passait et puis on se retrouvait une fois par mois pour aboutir à une formation cohérente qui est assez nombreuse puisque nous sommes une quarantaine de personnes. Une série de dates ont été retenues, la première à Nice puis Marseille, Paris et Lyon et enfin une à Martigues au mois de juillet.

Quelle est la composition instrumentale et la direction musicale choisie par ces trois formations, Kéram,Spitak et Navassart ?

Les trois formations se ressemblent, malgré quelques spécificités. Toutes sont composées de l'instrumentarium traditionnel et de chant. On trouve tout le panel des instruments traditionnels d'Arménie, y compris des instruments qui ne sont plus utilisés là-bas. Il y a donc le oud qui joue à la fois un rôle de basse rythmique et de soliste, les doudouks, la zourna et les shevi, proches du hautbois et de la bombarde. Du côté des percussions, le dehol, qui se joue avec les mains et doigts, et qu'on retrouve dans tout le Caucase. Ensuite il y a le tar, le santour, utilisé sous forme de cymbalum, le kémantcha, une viole sur pic à manche rond, le kamani et le pampir, formes de violon- alto et de violoncelle et le kanone, la cithare à 72 cordes accordées trois par trois, joué avec des onglets. Tous les instruments sont doublés, triplés dans le grand orchestre. Les trois formations ont fait le choix de rester dans la musique traditionnelle avec des instruments tradition- nels. C'est vrai qu'on nous prend parfois pour des" puristes" de la musique trad et qu'il aurait été plus facile pour nous de prendre une clarinette, une guitare, un synthé pour faire de la musique arménienne en France, mais c'est cette orientation-là que nous avons choisi. Les répertoires sont eux aussi com- muns et ont évolué de manière similaire. Au départ on est tous parti du même courant qui était celui que développait le compositeur ... qui a marqué son époque par une réactualisation réussie des musiques traditionnelles. Ensuite on a enrichi le programme par des morceaux apportés par d'autres auteurs comme le père Gomidas, qui a collecté longtemps dans les villages d'Anatolie, des troubadours comme Sayat Nova... Aujourd'hui avec des spécificités propres à chacune des formations, nous travaillons tout aussi bien à partir d'adaptations contemporaines que de morceaux plus anciens, de gens moins connus mais qui ont marqué la musique traditionnelle arménienne. Le répertoire proposé par le Grand orchestre comporte aussi bien des rythmes de danse, des chants, des mor- ceaux rythmés et d'autres plus langoureuses, des chants ethnographiques, que du chant révolutionnaire, qui fait partie aussi de la culture arménienne, des chants d'amour ou de la vie quotidienne des paysans. On a souvent tendance à faire des choses un peu mélancoliques... C'est vrai que c'est à notre image et à celle de notre histoire mais on aime aussi faire la fête donc on a essayé de donner les diffé- rents aspects de la musique traditionnelle dans ce spectacle-là.



Et quelle est votre inscription dans le cadre de l'année de l'Arménie ?

L'idée est de profiter de l'année de l'Arménie pour faire découvrir ces musiques au grand public, de les redonner à la fois à l'ensemble de notre communauté et plus largement. C'est quand même une démarche assez particulière puisqu'il s'agit d'une redécouverte et d'une réappropriation par des français d'origine arménienne qui, tout en s'inscrivant dans la société, pratiquent encore la musique traditionnelle, la langue, la cuisine, leur religion, les différents aspects de ce que nous sommes.



Propos recueillis par Yaël Epstein

---------



A l'occasion de l'année de l'Arménie, les trois ensembles de musique traditionnelle arménienne de Lyon, Marseille et Paris ont formé un Grand Orchestre Arménien qui propose un voyage musical à travers les traditions musicales d'Arménie réinvesties par la diaspora arménienne de France. Entretien avec Agop Boyadjan, musicien de l'ensemble de Décines, Spitak. Photo: DR Concert : le 31 mars, à Lyon Bourse du Travail


logo CMTRA

46 cours du docteur Jean Damidot
69100 Villeurbanne

communication@cmtra.org
Tél : 04 78 70 81 75

mentions légales

46 cours du docteur Jean Damidot, 69100 Villeurbanne

communication@cmtra.org
Tél : 04 78 70 81 75