Nuzha
Promenade de Lyon à Londres, et d'Israël à la Palestine...
... ou comment une chanteuse lyonnaise d'origine algérienne s'installe à Londres, rencontre un fameux joueur de oud palestinien et publie un CD avec des musiciens israëliens
Entretien avec Adel Salameh et Naziha Azzouz
CMTRA : Naziha, on s'est rencontrés dans un concert à Paris, j'ai appris que vous viviez à Londres, et puis on s'est rendu compte que vous étiez d'origine lyonnaise. Comment votre parcours vous a-t-il conduit du chant oriental à la fusion présentée dans votre CD " Nuzha " ?
Nazihia Azouz : Je suis née en Algérie et je suis arrivée à Lyon en 1972. Je me suis établie à Londres par hasard puisque je suis allée là-bas pour apprendre l'anglais en 1997. A mon arrivée à Londres, j'ai commencé à chercher un musicien jouant du 'oud, avec qui je pourrais continuer la pratique de cet instrument et aussi travailler le chant oriental : ce fut difficile et j'ai mis un an avant d'aboutir !
CMTRA : Votre style de chant, votre répertoire sont ceux que vous avez connus en Algérie ?
N.A. : En Algérie j'ai commencé à chanter à l'âge de 5-6 ans : je chantais le raï, mais le raï d'origine, celui des groupes de femmes qui chantent dans les mariages, et qu'on appelle les "medahates". C'est le raï ancien, le raï noble : j'aimais cela parce que j'ai grandi avec cela. Puis petit à petit j'ai découvert Oum Kalsoum, la grande chanteuse égyptienne, et j'ai commencé à la chanter : mon répertoire a complètement changé.
CMTRA : On a pu vous entendre sur scène à Lyon lorsque vous viviez ici ?
N.A.: Oui notamment en 1996 avec Marc Loopuyt, pour le spectacle "les deux Andalousies" présenté à l'Auditorium Maurice Ravel de Lyon. Ce n'était pas mon premier concert mais sans doute l'un des plus importants.
CMTRA : Y-a-t-il à Londres une place pour les musiques orientales ?
N.A. : Non, pas vraiment, mais Londres est une ville importante pour les musiques du monde en général, l'Angleterre m'apparaît comme le "pays" le plus ouvert, peut-être parce qu'il y a beaucoup d'étrangers. J'ai l'impression que Londres est une ville sensible à l'expression du chant sous toute ses formes, mais ceci est vrai pour la France aussi je croisA Londres, la communauté indienne est très importante, et donc la musique indienne est vraiment bien représentée. Il y a des connexions possibles entre nous, ainsi je sais que Adel a travaillé avec des musiciens indiens.
CMTRA : Adel Salameh, votre disque "Nuzha" - Promenade vient de sortir chez Arion. Avez-vous choisi un répertoire égyptien inspiré de Oum Kalsoum, ou bien s'agit-il d'une approche de votre spectacle live avec Naziha ?
Adel Salameh : La plupart des morceaux sont des compositions, sauf la première pièce du disque, qui est un Mawal algérien ancien," Mawal Andalusi ".
CMTRA : Votre instrument, le 'oud, est emblématique de toute la culture arabe, et sans doute au-delà ?
A.S. : J'aime le 'oud parcequ'il fait partie de notre culture, et qu'il apparaît sous différentes formes dans le monde entier. Il exprime notre sentiment profond, et lorsque j'étais jeune, j'étais fou de cet instrument, alors je suis parti en Irak parce qu'on disait que les grands maîtres étaient là-bas. Et bien sûr l'une des grandes figures que j'ai pu rencontrer et qui m'a tellement influencé fut Munir Bachir. Il m'a beaucoup enseigné et surtout il m'a encouragé à poursuivre.
Vous savez, je suis palestinien, et je suis allé en Irak et puis à Londres, toujours sur les traces de la musique.
CMTRA : Quel fut l'accueil de Londres à votre arrivée en 1986 ?
A.S. : Oh, j'ai débuté très discrètement, mais l'un des grands avantages de Londres est que l'on peut voyager dans le monde entier depuis cette ville. Alors j'ai commencé à jouer de la musique arabe de différents pays, même de la musique iranienne, et puis je suis arrivé à mes propres compositions, ma musique personnelle. Et c'est celle que je joue aujourd'hui.
CMTRA : Votre façon très spectaculaire de vous engager dans l'improvisation, est-ce une façon de sortir de la tradition ou au contraire de vous inscrire dans la tradition ?
A.S. : C'est toujours dans la tradition, cette façon d'aller dans la musique de celui avec qui vous jouez, d'échanger, de discuter avec lui en musique, et aussi avec le public. Tous les grands musiciens arabes improvisent de cette manière : Munir Bachir était un grand improvisateur.
CMTRA : Peut-on considérer votre façon de dialoguer avec le percusioniste ou le clarinettiste de votre ensemble, comme une influence jazz ?
A.S. : Pas vraiment, parce que c'est une discussion. Si j'improvisais tout seul, puis le percussionniste à son tour, etc., comme dans le système des "chorus", oui ce serait peut-être proche du jazz Mais pour nous ce n'est pas intéressant : nous le faisons ensemble, c'est ça la beauté de la chose C'est pourquoi j'ai nommé ce disque "promenade", c'est une balade ensemble. Maintenant, je dois préciser que pour moi c'est un disque très politique.
CMTRA : Politique parce que vous êtes Palestinien ?
A.S. : Oui, parce que je suis Palestinien et que je joue avec deux israéliens et une Algérienne de France. Moi je suis de Palestine et je vis sous occupation israëlienne. Et je pense qu'Israël souffre aussi, alors je crois qu'il faut trouver une solution pour vivre en paix ensemble, tranquilles, pacifiques et en harmonie. Moi ma façon de l'exprimer est à travers la musique.
Ecoutez le disque que nous venons de faire : Eyal Sela le clarinettiste et Asaf Sirkis le joueur de bendir sont juifs d'Israël, et notre musique, faite de 'oud, de clarinette et de percussion est belle. Cela m'a surpris au début de voir combien de choses nous avons en commun, musiciens palestiniens et israëliens.
CMTRA : Naziha, avez-vous un point de vue particulier sur ces rencontres musicales au sein du groupe ?
N.A. : Quant à moi je suis en position d'écoute et d'apprentissage : je dois dire que j'apprends réellement à chanter la chanson arabe avec Adel Salameh. Autrefois j'ai appris des mélodies, des airs sur des disques ou avec la famille, un petit peu comme une enfant qui entend une chanson et qui répète sans comprendre, alors que maintenant j'apprends réellement à chanter, à faire des ornementations, j'apprends les "maqamets", les modes arabes, et pour moi c'est important de le dire, c'est grâce à Adel.
Auparavant on me disait "oui Naziha tu as une belle voix", je trouvais cela gentil, mais avoir une belle voix n'est pas suffisant pour chanter bien et juste, il faut travailler. J'ai beaucoup appris et je continue à apprendre car cette musique et les voies de l'improvisation sont larges et difficiles.
Propos recueillis et traduits de l'anglais par E.M.
Renseignements
NUZHA est publié par Arion
Contact : Valentin Langlois / Tél : 01 45 63 76 70