Entretien avec Emmanuelle Perrone, présidente et fondatrice de l'Association Culturelle Senzala de Lyon, située dans le troisième arrondissement
CMTRA : Peux-tu présenter l'as-sociation Senzala, son histoire, son lieu et son projet associatif ?
Emmanuelle Perrone : L'association Senzala a été créée en juillet 2001 à l'initiative du groupe de capoeira issu de l'association Cores Vivas. La première étape a été de trouver une salle de danse, mais on s'est vite rendu compte qu'il était très difficile de disposer de salles municipales. On a trouvé un grand local de 450 m2, près de la Place Guichard dans le troisième arrondissement de Lyon, avec des bureaux et beaucoup d'espace pour danser.
Alors petit à petit, on s'est lancé dans un projet plus global, en mettant les salles à disposition d'autres associations. C'est là qu'est né le collectif, qui fonctionne grâce à un système de troc : des salles à un tarif bas en échange de prestations dans l'année.
Il y a donc du théâtre, du flamenco, des ateliers de danse brésilienne, africaine, orientale, de la salsa. Nous avons aménagé des espaces pour organiser des expositions, des rencontres, des cafés culturels, etc. Nous organisons avec les professeurs, des stages de danse et de musique, des spectacles. Nous sommes à l'initiative d'un festival autour de la culture brésilienne et de la capoeira dont la troisième édition a eu lieu en juin, nous participons à la fête de la musique et à d'autres événements.
Pour ces différentes occasions, il y a un travail commun des ateliers pour monter des projets et des spectacles. Petit à petit, on se lance dans des projets de création et d'échange. Ça part un peu dans tous les sens pour donner à chacun l'occasion de s'ouvrir culturellement, et, bien que l'objectif de l'association soit de promouvoir les cultures populaires et urbaines d'Amérique du Sud et d'Afrique, nous nous ouvrons à d'autres aires géographiques.
Est-ce que certains des projets culturels de Senzala sont particulièrement tournés vers les habitants du quartier ? Travaillez-vous avec d'autres associations ?
Les personnes qui fréquentent les cours et les stages viennent un peu de toute l'agglomération mais nous travaillons souvent avec les associations du quartier, autour du festival de la Guill'entière par exemple qui est spécifiquement tourné vers le quartier, avec le Gazomètre, avec la Boulangerie du Prado. C'est vrai que c'est un quartier très attachant, la Place Guichard est parfaite pour faire un travail de diffusion, d'animation sur le quartier.
Il y a une grande diversité culturelle et une extrême richesse du monde associatif. On se retrouve naturellement pour des projets communs. Quelque chose de très intéressant est en train de se mettre en place et même si on cherche un local plus grand, où nous puissions mener nos activités sans déranger le voisinage, on n'a pas très envie de partir.
La pratique et l'enseignement de la capoeira a connu une explosion en France ces dernières années. Qu'est-ce qui, d'après toi, explique cet engouement ?
La particularité de la capoeira est que ce n'est pas vraiment une danse, mais plutôt une lutte, qui a été créée par des esclaves afro-brésiliens pour se défendre et se libérer.
Effectivement, aujourd'hui les coups ne sont pas souvent portés et c'est toujours joué sur de la musique, elle est donc associée à une pratique chorégraphique et est d'ailleurs reconnue comme telle dans les critères institutionnels, mais on parle de "jouer" la capoeira, pas de la "danser". La musique avait au départ plutôt pour fonction de cacher, de déguiser la lutte parce que la capoeira était interdite.
Aujourd'hui, la tradition musicale est restée et on doit jouer sur le rythme, ça impose un certain jeu. Ça peut être chorégraphié pour un spectacle, mais quand on la joue en cours ou dans la rue, ça ne l'est pas du tout. Même s'il existe des séquences, ça reste aléatoire, un jeu qui se recrée à chaque fois.
Ce qui attire les gens c'est qu'il y a à la fois la musique, l'aspect ludique, la lutte, le fait que l'on joue à deux en étant entouré par un cercle de personnes qui chantent et tapent en rythme. Il y a une énergie commune qui se met en place et qui met les gens un peu en transe. Le fait qu'on puisse selon ses envies jouer, faire de la musique, chanter ou simplement taper dans les mains, ça laisse une grande liberté et beaucoup de possibilités d'apprentissage. C'est physique et artistique à la fois. Et puis l'aspect culturel et historique est très intéressant, chargé de choses symboliquement fortes...
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Il y a plusieurs familles de capoeira. Comment se situe Senzala ?
À l'époque où la capoeira était pratiquée dans la rue et interdite par la loi, un capoeiriste du nom de Mestre Bimba a décidé de mettre en place une nouvelle pédagogie, très stricte, avec un système d'enseignement et une hiérarchie, afin de se conformer au cadre légal et faire accepter cette pratique. Ce courant a changé un peu les règles de la capoeira. Pour la différencier, on lui a donné le nom de capoeira régionale et la capoeira "classique" est devenue capoeira Angola, représentée par Mestre Pastinha.
Dans le groupe Senzala (nom des baraquements des esclaves) qui est plutôt régional, on incite fortement à pratiquer les deux styles. C'est un groupe qui a été formé par sept ou huit personnes et qui est maintenant de renommée mondiale. Cha-que école locale de Senzala est affiliée à ce réseau et en a gardé le nom.
Il semble y avoir un système de filiation entre enseignants "mestre" et élèves ? Comment s'organise cette généalogie de transmission ?
Il y a un système de passage de cordes qui fait qu'au bout d'un certain nombre d'années de pratique, d'enseignement, de recherche et de connaissance de l'histoire, on devient maître de capoeira. Les Mestres forment des profs qui deviennent à leur tour des maîtres...
Tous les professeurs ont été formés par un maître en particulier : Peixinho, Sorriso, Ramos... Il y a des références et des inscriptions généalogiques qui transparaissent d'ailleurs dans la manière de jouer. Certaines caractéristiques et une personnalité de jeu se transmettent par mimétisme. Mais il faut voir et pratiquer d'autres manières de jouer, alors on va dans des festivals, on suit des stages, même si on a tendance à garder le jeu de celui qui nous a enseigné.
Est-ce que tout le monde a des surnoms dans le monde de la capoeira ?
Oui ! Moi-même je connais très peu de vrais noms de profs et d'élèves. Les surnoms étaient donnés à l'époque de l'esclavage pour que les individus ne puissent pas être retrouvés, lors des interrogatoires. Les personnes ne pouvaient pas dénoncer parce qu'ils ne connaissaient pas les véritables identités des autres capoeiristes. La tradition est restée.
C'est d'ailleurs très difficile de s'y retrouver pour les inscriptions, des fois on n'arrive pas à mettre la main sur l'auteur d'un chèque... ça fait des situations assez loufoques !
Et la musique ? Quels sont les instruments et les répertoires de la capoeira ?
Il y a plusieurs familles d'instruments. Les atabaques qui sont des sortes de tambours, les berimbaus, le pandeiro et toute une série de petits instruments comme l'agôgô ou le recoreco. Le plus important est le berimbau, normalement au nombre de trois dans une roda, mais chaque école définit sa formation de bateria... C'est le mélange avec des traditions et religions populaires comme l'afoxé ou le candomblê qui ont apporté les instruments, les rythmiques...
Le berimbau est un bâton de biriba, tendu avec un fil de fer, sur lequel est accroché une calebasse ouverte qui sert de caisse de résonance. On tape sur le fil avec une baguette en bois tout en appuyant sur le fil de fer avec un dobrão, une pièce métallique, qui fait vibrer la corde.
Il y a plein de rythmes de capoeira qui ont tous une signification différente, São Bento grande de Angola, São Bento Pequeno... Chacun va impliquer un style de jeu, rapide ou lent. Le rythme Iuna est réservé aux maîtres, le Jogo di dentro implique un jeu très entremêlé, la Cavalaria, qui an-nonce l'arrivée de la police, est un jeu rapide...
Est-ce que la musique accompagne la danse ou est-ce que c'est la danse qui évolue selon le rythme de la musique ?
Les danseurs sont censés suivre la musique, mais un bon musicien doit pouvoir se rendre compte de l'évolution de la lutte et changer le rythme en conséquence. Ça se voit aussi dans les chansons parce qu'elles peuvent appeler au calme ou encourager, plaisanter sur le jeu de quelqu'un ou sur quelque chose qui vient de se passer. Dans la roda, le chanteur lance un couplet et le chœur chante le refrain. Les ladainhas sont des longues complaintes. Il y a un jeu de création aussi. Les paroles sont toujours les mêmes pour le chœur alors le chanteur improvise en fonction de ce qu'il voit du jeu, des individus présents, de l'ambiance... ça peut devenir une joute d'improvisation...
Quelle est la part de métissage de la capoeira ? Est-ce qu'elle continue à se transformer ici, en Europe ?
C'est difficile à dire parce qu'il y a différentes théories. Certains disent que c'est une pratique purement africaine, et d'autres qu'un gros métissage s'est fait. Ceux qui pratiquaient la capoeira au début étaient des esclaves qui s'étaient échappés et qui se cachaient dans les bois où ils se mélangeaient parfois avec les Indiens. La capoeira a été inventée à partir des différentes méthodes de combats observées. C'était déjà une culture hybride. Maintenant la capoeira est influencée par le hip hop, les acrobaties, le karaté. Donc ça évolue en se métissant et la capoeira qui s'exporte se mélange encore plus avec d'autres danses et d'autres arts de combat.
La capoiera est arrivée en Europe dans les années 70, 80. Jusqu'à cette période, elle était complètement méconnue en Europe et complètement discréditée au Brésil, parce que c'était une pratique de marginaux, de "malandros", qui étaient vus comme des gens sans morale. Le fait que la capoeira se soit exportée en Europe a beaucoup aidé à ce qu'elle soit reconnue et valorisée au Brésil.
Propos recueillis par Y.E.
Contact
Association Senzala de Lyon
04 72 61 17 06 / [http://www.senzala.org->http://www.senzala.org]
Senzala sera présent
le 15 novembre prochain
au "Grand bal des danses du monde" Ã Dardilly