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Dovid's Klezmer Orkester

Entretien avec David Lefebvre, “kapel-mayster” de Glik, groupe de musique klezmer.







CMTRA : David, tu es le kapel-mayster de Glik ?

David Lefebvre : Oui. Le kapel-mayster, littéralement, c'est le maître de chapelle. La chapelle étant l'orchestre, je suis le chef d'orchestre. Dans la tradition klezmer, celle des musiques de mariage juif d'Europe de l'Est, l'orchestre était souvent composé de membres d'une même famille. Le kapel-mayster était le père de famille et en général le violoniste... C'est lui qui choisissait les morceaux, le personnel, les tarifs, qui gérait tout le business. Il pouvait aussi écrire les musiques. Durant tout le 19ème et le début du 20ème siècle, le violon était l'instrument roi, l'instrument majeur de la musique klezmer. Pour ma part j'ai pris le titre de kapel-mayster comme une blague parce qu'au début j'avais un costume queue-de-pie donc j'ai “adopté” ce personnage. Mais mon rôle réel, c'est directeur artistique. J'essaye de veiller au grain, à l'authenticité de ce que l'on fait, au contenu. De qui est composée ta “famille” musicale ?

On est cinq musiciens. Un violoniste, un clarinettiste, un tromboniste, un contrebassiste et moi-même au bouzouki et au “tsimbl” : le cymbalum juif. On chante aussi, essentiellement en yiddish. Comment cinq “goyim*” comme vous, sont-ils tombés dans la musique juive d'Europe de l'Est ?

Ça c'est la question majeure! Je nous revois encore en train de jouer à Toulouse, devant des spectateurs juifs et il y a un petit vieux qui vient me tirer la veste en hurlant pendant que nous jouons : « Est-ce que vous êtes juifs ? ». Il voulait à tout prix comprendre... « Mais le clarinettiste là, il est juif ? ». Il était à la fois amusé et interloqué. Du coup je lui réponds quelques mots en yiddish et ça l'étonne d'autant plus. Il y a une histoire de Glik. J'avais une formation de musicologie à la fac et je travaillais dans le théâtre comme comédien et musicien. À un moment donné, j'ai rencontré une compagnie à Aurillac qui travaillait sur I. B. Singer et Bruno Schulz. En tant que musicien, j'étais amené à m'occuper de la partie musicale, avec Sylvestre, notre contrebassiste. On est venu avec nos instruments et on s'est intégré dans cet univers-là, celui du shtetl*. Je me suis donc plongé dans cette musique et c'est comme ça que ça a démarré pour moi. Il y a eu des atomes crochus. Je ne sais pas pourquoi, je me suis senti concerné. Et pourtant, je n'avais pas vraiment de connaissances de cette musique, je connaissais juste le disque fameux “Tendresse et rage” de Leiser/Flammer/Barrault, mais c'est tout. Et même, en tant qu'ancien étudiant en musicologie, ça me paraissait sympa mais sans plus. Et puis le fait de me plonger dedans par le biais du théâtre, de la littérature, de la culture, de l'histoire, m'a permis de mieux comprendre cette musique, ce qu'étaient les musiciens de 1920. Mais pourquoi de 1920 ? C'est une musique beaucoup plus ancienne que ça, non ?

Oui mais le contact que j'ai eu vient des enregistrements. Ce sont des arrangements faits en 1910, 1920. C'est la source principale. Quand je donne des petits stages, je passe beaucoup de temps à expliquer ce qu'est le klezmer, pour quoi et par qui il était interprété. Souvent on y voit d'autres choses, c'est plaisant d'ailleurs, l'imaginaire fait beaucoup. Comment c'est né, qu'est-ce qu'il se passe quand ça émigre aux Etats-Unis, qu'est-ce qu'il se passe quand ça reste en Europe de l'Est, quelle incidence à la guerre, la naissance de l'Etat d'Israël. Tout un tas de choses que tu dois aborder si tu veux jouer cette musique-là. Moi ça m'intéresse toujours de fouiller, de comprendre, de mettre mon nez là-dedans. C'est un engrenage où tu ouvres une porte et tu t'aperçois qu'il y en a trois autres derrière à ouvrir. Donc c'est passionnant. En plus ça provoque des rencontres géniales. Est-ce que cet intérêt pour les musiques juives ashkénazes* s'inscrit dans tout cet engouement actuel pour les musiques d'Europe de l'Est ?

Oui, sans doute, mais de manière marginale parce que ce n'est pas une musique vivante aujourd'hui en Europe. Elle a commencé à disparaître en Europe de l'Est dans les années 1920 puis les dictatures ont fait le reste. La musique klezmer telle qu'on la connaît c'est une musique américaine. Elle vient des Etats-Unis, transmise par des musiciens américains qui ont apporté un côté un peu jazzy. Ensuite elle est donc revenue en Europe par l'ouest. Il y a un phénomène récent de retour vers les sources et quelques groupes de klezmer s'inspirent des musiques Est-Européennes. D'autres se forment en Europe de l'Est, à Minsk, à Vilnius... Mais la plupart n'ont pas forcément de bagage culturel lié au klezmer. Eux-mêmes le tiennent du revival américain. Comment s'est fait le recueil, la transmission de ces répertoires ?

Essentiellement à partir des anciens enregistrements faits aux États-Unis et en Europe de l'Est au début du siècle. Ensuite il y a eu quelques partitions issues de relevés... Ce sont des mélodies qui viennent d'Europe mais qui ont été principalement enregistrées aux Etats-Unis. Il y avait une grande émulation. En Europe, il y a eu un travail très intéressant fait par Beregovski. C'est un des rares musicologues juifs qui s'est intéressé à la musique juive au début du siècle. Il a relevé la musique klezmer et aussi les chansons traditionnelles yiddish, les nigunim hassidiques*, avec des enregistrements sur rouleaux... Il a relevé plus de 200 mélodies auprès des musiciens klezmer des shtetlekh* d'Ukraine. La redécouverte de tout ça est relativement récente. Enfin, la troisième source de transmission, ce sont les fameux musiciens américains qui se sont emparés de ces musiques, le revival des années 80. Après la chute du rideau de fer, il y a eu une arrivée de personnes âgées d'Europe de l'Est qui étaient porteuses de ces répertoires, qui ont été interviewées et auprès desquelles on a recueilli des morceaux. C'est à partir de là que se fait le retour vers l'Europe de l'Est, le retour aux instruments traditionnels, le tsimbl et le violon. On change de couleur musicale. C'est donc une musique en redécouverte, avec une démarche très différente des musiques traditionnelles existantes aujourd'hui. C'est une tradition qu'il faut reconstituer parce qu'elle a été coupée. Glik est un groupe qui a une démarche particulière, qui s'est non seulement approprié un ensemble de répertoires mais aussi la langue, les danses, les personnalités qui accompagnaient ces musiques dans les villages juifs d'Europe de l'Est. Peux-tu nous raconter cette histoire ?

On a commencé en 2000 lorsque, dans le cadre de la compagnie de théâtre dont je faisais partie, il y a eu l'occasion de monter un spectacle de rue. J'ai proposé un orchestre instrumental. Ça a été l'occasion de rencontrer des musiciens. On a préparé un petit répertoire, on a monté le spectacle. L'année suivante se constituait le Dovid's Klezmer Orkester, devenu plus connu sous le nom de Glik. La langue yiddish, c'est moi qui ai voulu l'apprendre. J'ai suivi les leçons d'une méthode de yiddish, les une après les autres. Ça m'a pris deux ans, et aujourd'hui je commence à comprendre ce que je lis, ce que je chante, à échanger avec des gens dans cette langue... Ça fait partie des clés dont tu as besoin pour ouvrir certaines portes. Sinon elles restent irrémédiablement fermées. La langue permet de comprendre le contenu des chansons, l'argot des musiciens, d'accéder à une certaine spontanéité à l'intérieur du concert. Pour nous, à partir du moment où l'on est Glik, on est des musiciens klezmer, le yiddish fait forcément parti de notre apprentissage, parce que c'est la langue que parlaient les gens qui faisaient cette musique. Donc j'essaie d'apostropher, d'annoncer les chansons en yiddish... Comme d'un autre côté, on vient du théâtre, on a eu tendance à basculer vers des personnages, savoir oublier qui l'on est et se transformer en musicien d'un orchestre de musiques de mariages juifs. Du coup on est costumé, ou plutôt habillés pour l'occasion. Si on va jusqu'au bout, on est hors contexte... car il n'existe plus. Donc on est un orchestre un peu fou qui essaye d'amener le public à une espèce d'univers qui a beaucoup d'humour. Ensuite on est allé faire des stages de danse klezmer en Allemagne. Du coup, il y a une partie du répertoire qui devient parlant. Avant on savait qu'on faisait un freylekhs* mais bon, c'était une mélodie pas une danse. Maintenant, on essaye d'imaginer les gens le dansant et la musique s'en ressent. Par contre, il ne s'agit que d'une partie du répertoire. L'autre partie, c'est de la musique à écouter. Celle des rituels de mariage, qui n'a rien à voir, c'est une musique de procession, de banquets, de préparation de la mariée... C'est une musique laïque, la partie religieuse en hébreu, c'est un autre répertoire. Découvrir tout ça c'est fou, c'est complètement incroyable... Dans quel contexte jouez-vous ?

On est amphibie et on s'arrange pour transformer le contexte qui nous est proposé en notre contexte, on essaie de ne le pas subir et d'être à l'aise. Il me semble que ça marche autant sur des scènes, des théâtres, en animation de villages, dans des bars, dans la rue. On a encore jamais animé de mariage juif. Peut-être parce qu'on ne fait que du klezmer ancien et que ce n'est plus ce qu'on attend. On est un peu anachronique, mais ça nous plaît... Il ne s'agit pas d'être des musicologues poussiéreux. On a envie que ça soit un moment convivial, avec beaucoup d'humour, et à la fois être authentique, respectueux des gens qui ont fait cette musique. Propos recueillis par Y.E. Retrouvez Glik dans la [lettre n°57->article93] Contact

[courrier@glik.fr->courrier@glik.fr] / [dovidsko@voila.fr->dovidsko@voila.fr]

www.glik.fr

CD disponible chez le label Sergent Major Company Lexique:

Goyim : pluriel de «goy», non-juif

Ashkénazes : juifs d'Europe de l'Est

Freylekhs : air et danse juive

Shtetlekh : villages juifs d'Europe de l'Est


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