Répertoire
Évelyne Girardon vient de réaliser un double CD réunissant une partie du répertoire arrangé et chanté par ses soins depuis quelques d'années. Polyphonies, monodies et “poly-monodies” en composent les 90 minutes enregistrées.
CMTRA : Trente cinq titres qui comprennent cinquante cinq thèmes sont enregistrés sur ce double CD “Répertoire”. Ce n'est qu'une petite partie de ce qu'il t'était possible de livrer, comment as-tu fait le choix des chansons ?
Evelyne Girardon : J'ai, en priorité, choisi les chansons qui ont fait partie des spectacles que j'ai montés ces dernières années : “Le pommier doux, si doux” sur le répertoire collecté par Achille Millien, “Laissez-faire et laissez dire” sur le répertoire des chansons de bergère, collecté par Julien Tiersot et Claudius Servetaz.
Beaucoup de chanteurs et chanteuses ont prêté très amicalement leur voix à cet enregistrement, et ils ont participé à ces spectacles : Sylvie Berger, Olivier Ganzerli, Pierre Mervant, Dominique Forges, Sylvie Heintz, Néfissa Bénouniche, Sylvie Géniaux, Marie-Pierre Villermaux et Lilianne Bertolo.
Certains ont aussi collaboré en venant interpréter des thèmes à ma demande : Jean Blanchard, Vincenzo Marchelli, Catherine Faure (pour 3 chansons des ex “Roulez-Fillettes”), des cours de chant du CMTRA.
D'autres ont posé quelques virgules vocales sympathiques au hasard de leur passage : Sandro Boniface, Éva Heintz-Durif, Patrice Combey.
Il aurait été possible de faire un tout autre choix, le répertoire est immense, je navigue dedans depuis longtemps sans en avoir vu le bout.
Les arrangements présents sur “Répertoire” ont donc déjà une expérience ?
Certains ont-ils été conçus pour ce projet ?
Pour la plupart, ils ont déjà été rodés sur scène, mais il y a quelques surprises. D'autres ont été imaginés pour des élèves, des ami(es). Ils sont passés par le filtre de la voix des chanteurs et chanteuses rencontrés ces dernières années.
Après avoir choisi une mélodie traditionnelle, comment travailles-tu les arrangements vocaux ? Comment les écris-tu ?
Je ne les écris pas... La priorité, c'est de chanter les mélodies sur des bourdons, qui sont à la base de l'analyse musicale sur ce répertoire. Je ne cherche pas une grille d'accords, je vais plutôt dans la recherche d'une sensation, d'une alchimie particulière entre la mélodie, le texte et l'horizon du bourdon. Me viennent ensuite des fragments de phrasé qui, quelquefois, sont des boucles, des broderies, des variations. Je me laisse aller et quand je trouve un point d'appui narratif à ces trouvailles, je les fixe, mais le bourdon est toujours là, sa présence m'est indispensable, même quand je décide de m'éloigner de son imprégnation. C'est une question d'imaginaire et d'improvisation en relation constante avec le texte. Tout est construit oralement. J'ai commencé ma petite carrière de chanteuse par l'improvisation vocale (il y a longtemps, avec Steve Waring) et ça m'est toujours resté.
Je m'intéresse d'abord aux monodies, certaines chansons d'ailleurs en restent là, j'ai juste envie de les chanter telles quelles.
Est-ce de l'écoute intérieure ? On sait qu'il est possible de se concentrer et d'entendre les arrangements, de les imaginer dans leur globalité, avec toutes les parties harmonisées. C'est très difficile néanmoins.
Je n'en suis hélas pas là ! J'ai besoin d'entendre vraiment, d'avoir le soutient de l'oreille. Une partie du cerveau entend et l'autre divague en fonction. Je peux donc imaginer à deux voix mais pas plus.
En général, une première idée est fixée sur un magnétophone multipistes. Habituellement, c'est la ligne de basse qui arrive en premier (mais pas toujours !).
Comme dans une conversation,une idée en produit une autre, qui s'ajoute et complète l'ensemble. Le tout est d'avoir un discours cohérent.
Les idées viennent parce que je pense à un autre timbre vocal que le mien, que je “colle” les différentes lignes aux voix des chanteurs et chanteuses avec qui je travaille. C'est très dynamique. Envisager des arrangements vocaux avec seulement la tessiture possible des chanteurs comme référence est très insuffisant. Le grain de la voix si particulier à chacun est très important. D'ailleurs, certains arrangements sonnent mieux avec tous les timbres et univers différents. Souvent, si j'avais tout fait moi-même, cela aurait été moins intéressant. Mais l'inverse arrive aussi. Ces arrangements sont issus des rencontres avec d'autres, qu'ils soient chanteurs professionnels ou participants amateurs aux cours et ateliers que je conduis.
À l'écoute de cet enregistrement, j'ai vraiment la sensation d'une très grande autonomie des parties vocales, qui, c'est évident se tiennent et sont conçues horizontalement. Le bourdon est toujours là, même quand il n'est pas chanté, cela s'entend.
J'ai eu la chance d'apprendre cette démarche à l'écoute des commentaires et des travaux de musiciens tels que Dominique Vellard, René Zosso ou Giovanna Marini, pour qui partir de la modalité des répertoires est important. Donc, chaque ligne musicale doit se faire entendre et avoir sa vie propre au sein de la polyphonie. Le chanteur n'est pas celui qui se moule dans un son vertical mais sa voix doit se démarquer avec un timbre original et repérable puisqu'il raconte une partie de l'histoire. Cela correspond bien à l'interprétation du répertoire de tradition populaire. Tous les chanteurs qui m'ont accompagnée dans ce double CD ont les qualités voulues pour réaliser cela !
Il y a tout un aspect, dans les textes des chansons traditionnelles en français, qui bloque le public néophyte. Pour beaucoup, c'est un répertoire à mettre au placard, ça raconte toujours la même chose, ce n'est plus intéressant aujourd'hui, les images sont vieillottes pour ne pas dire pire... Ça n'a pas l'air de te poser de problèmes !
Ça ne me pose aucun problème pour créer de la musique, ça ne me pose aucun problème de porter les textes que je chante car je les ai choisis et je les aime. J'ai trouvé dans le répertoire en français tout ce que je souhaite exprimer. Même dans la durée, avec la progression dans le temps de la réflexion musicale, il ne m'a jamais déçue. La plupart des gens qui sont gênés par les textes en français ne les connaissent pas vraiment, en ont une idée ridicule, et jugent l'ensemble du répertoire au regard de quelques thèmes rebattus. On comprend les mots, mais on en a perdu le sens, les codes, les images et la fonction. Évidemment, « Derrière chez mon père » quand on n'a pas compris que ça veut juste dire : « Attention, je vais vous raconter une histoire », on se demande vraiment pourquoi c'est souvent présent dans les chansons... Il y a d'autres codes bien plus passionnants et quand on a le privilège de les connaître, le plaisir est là. Pour ce qui me concerne, une bergère n'est pas forcément celle qui garde les moutons (il y en a encore paraît-il !) mais c'est surtout une femme disponible qui attend le passage du berger, et toute la suite reste à imaginer... À ce sujet, mes amis conteurs m'ont beaucoup appris : les contes et les chansons ont des histoires et des codes de lecture semblables.
Mais le mieux, pour comprendre, serait de se laisser porter par la poésie, les images, pour en ré-inventer le sens... C'est comme pour la musique. Il faut entrer dans cet univers particulier et ne pas s'arrêter aux poncifs.
J'ai la prétention de penser que puisque ce répertoire m'a séduit, il peut en séduire d'autres, c'est aussi le sens de ce double CD. Il faut avoir, il me semble, une vrai démarche artistique à l'égard de ces chansons : les connaître d'abord, en comprendre le sens, se les approprier, les détourner, les superposer, les interpréter, tenir compte du rôle qu'elles ont tenu dans une autre forme de société et de celui qu'elle pourrait tenir dans la nôtre.
Dans tes arrangements, tu manipules beaucoup les textes, on sent que tu construis un discours quelquefois différent de celui de la chanson elle-même.
Je m'amuse beaucoup, cela tient à la mise en scène des spectacles, j'invente des scénarios, des histoires, je fais des suites et je mets des personnages comme si je faisais des petits films.
Que veut dire “polymonodies” ?
C'est une plaisanterie, mais il y a eu un colloque sur le sujet... Pour moi, cela signifie superpositions mé-lodiques et narratives.
Le son général de “Répertoire” a beaucoup de pêche, le mixage n'a pas été une simple formalité...
Cela a été comme le montage d'un film, avec un gros travail sur les timbres, les différents plans de narration des chansons. Chacune d'entre elles ont été des univers à créer, à raconter.
Comment as-tu fait l'ordre chronologique de ce double CD ?
J'ai laissé le distributeur choisir les 6 premiers titres du CD numéro 1 ! C'est lui qui va le vendre, je lui fais confiance !
Propos recueillis par N.P.
Retrouvez Evelyne Girardon dans les lettres [n° 63->article522], [n°48->article381], [n°25->article1108]
Contact
[www.ciebeline.com->www.ciebeline.com ] -
[evelyne.girardon@ciebeline.com->evelyne.girardon@ciebeline.com]
Disque
Double cd “Répertoire” Evelyne Beline Girardon
Référence : cb35810
Production : la compagnie Beline
Distribution : l'Autre distribution