Les Doigts de l'Homme
CMTRA : Les Doigts de l’Homme
existent depuis 2003… Rappelez-nous
comment s’est-il créé?
Ma question préférée...! Le groupe est né
« du fruit du hasard des rencontres »,
comme on dit, de musiciens qui opéraient
dans la même zone (en Bretagne
à l'époque) et qui se sont retrouvés
autour de la musique que je proposais.
Celle-ci semblait présenter une bonne
alternative pour ceux qui souhaitaient
sortir des clichés du jazz manouche
dans un projet qui se fixe finalement
assez peu de limites ! On vient tous
d'univers musicaux assez mélangés,
mais nous avons une volonté commune
de combattre l'immobilisme
musical, ce qui, je pense, nous a
réunis.
Un quatrième musicien s’est
récemment joint aux Doigts de
l’Homme. Qu’a-t-il apporté?
Benoît Convert, un jeune guitariste
brillant, à force de nous suivre dans
nos concerts, a fini par se faire naturellement
une place dans le groupe. Il
passait son temps à relever tous les
solos que j'avais enregistrés et
connaissait déjà très bien notre répertoire.
C'est très difficile de trouver des
musiciens qui soient suffisamment
ouverts pour accepter de sortir d'un
style donné pour se donner la chance
de fabriquer quelque chose d'unique.
En plus d'être un excellent soliste,
Benoît a toute la fougue de la jeunesse
et le goût de l'expérience qui me semblent
indispensables dans ce groupe !
Chacun a t-il un rôle bien défini,
ou le soliste peut-il changer ?
Comme je compose pratiquement tous
les morceaux, j'ai souvent le rôle d'exposer
les thèmes et de prendre les premiers
chorus. Mais Benouche (Benoît
Convert) étant ce que j'en ai dit, dès
qu'un morceau s'y prête, il prend le
solo. Il faut s'entendre sur un truc : ma
musique est souvent très écrite et, pour
laisser Benouche s'exprimer où il est
très fort, il faut que la structure le permette.
Comme il n'est rentré dans le
groupe qu'au mois de septembre dernier,
on continue à se découvrir et je
pense que sa place se définit au fil des
concerts et du temps qu'on passe
ensemble. Mais, bien sûr, aucune restriction
ne lui est posée à ce niveau là,
et comme il n'y a pas le moindre souci
d'ego entre nous, les choses se font
tout à fait naturellement.
Depuis ses débuts, le groupe a progressivement
incorporé la voix et
des instruments du monde (oud,
charango). Pouvez-vous nous
expliquer cette évolution ?
Le Jazz Manouche est un style qui me
parle vraiment beaucoup. Mais j'ai vite
compris que j'allais faire une croix sur
tout mon parcours musical si je cherchais
en délivrer une version trop
puriste. Je ne peux pas être gardien du
temple, d'autres le font mieux que moi !
Par contre, arriver à faire se côtoyer
cette musique avec toutes celles qui
m'ont construites, ça c'est quelque
chose de passionnant ! Et puis, je ferai
toujours partie de ceux qui pensent que
tout n’est pas encore inventé. Il y a
encore des choses à trouver mais cela
ne peut être le privilège que de ceux
qui cherchent ! C'est très libérateur de
se lever le matin en se disant "Tiens,
aujourd'hui je vais faire ça, ils appelleront
ça comme il veulent !". J'essaie
de me rappeler que le jazz manouche
est une musique qui doit bouger,
puisque, par sa construction même,
elle est née du voyage et du fait d'avoir
croisé des gens qui l'ont entendue différemment
et réinterprétée. Vouloir
mettre des noms très précis sur les
choses les stigmatise, et c'est vraiment
dommageable.
Pensez-vous continuer cette ouverture
vers d’autres sonorités musicales
?
Je continuerai à chercher, jusqu'à mon
dernier souffle de vie, le moyen de
faire entendre aux gens quelque chose
qu'ils n'ont pas déjà entendu trois cent
fois. Cela passe par l'ouverture absolue.
C'est important pour un artiste
d'être en paix avec ce qui l'anime. Je
suis parfaitement conscient de ce qui
fait réagir les gens pendant les
concerts. C'est souvent des choses
dans lesquelles ils se reconnaissent, où
ils comprennent directement sans forcément
avoir à faire un effort. Et c'est
finalement très facile, une fois que tu
as compris ça, de jouer sur ce qui leur
plait, en limitant les risques. Je refuse
catégoriquement de rentrer là-dedans,
ça ne m’excite pas du tout...
Je suis par exemple très admiratif du
travail de Jacques Higelin qui a toujours
fait ce qu'il avait envie de faire.
Il ne s'est jamais prostitué et a fait des
choses qui, du coup, n'ont été faites par
personne d'autre, ni avant, ni après lui !
Propos recueillis par M.S.