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Greg Doc Rossi, joueur de cistre

Greg, tu es spécialiste du cistre, instrument ô combien rare et fascinant. Peux tu nous expliquer quelles sont les caractéristiques de cet instrument ?

Le cistre remonte au moins à 500 ou 600 ans, avec de premiers exemples datant de la Renaissance, notamment en Italie du Nord. Brescia semble avoir été un premier centre de fabrication de cistres. Les mots "cistre", " guitare" et "cithare", en incluant leurs variantes en différentes langues et dialectes, proviennent du mot grec classique "kithara". Il semble que le cistre Renaissance était utilisé pour tenter de faire revivre la kithara classique en fonction des goûts et des besoins de cette époque. Il est constitué d’un corps très peu profond, d’un chevalet non fixé (ou flottant) et d’une corde faite en fil de fer ou en laiton, donnant un son brillant, cliquetant.

Différents types de cistres ont commencé à prendre forme au 17ème siècle de telle façon qu’au milieu du 18ème, il y eut plusieurs grandeurs et types de cistres, dont beaucoup se distinguèrent tout à fait de l'instrument typique de la Renaissance. Leurs points communs avec le cistre Renaissance sont des cordes métalliques, un chevalet flottant et un corps relativement petit, peu profond. De nouveaux modes d’accords ont été trouvés au 17ème siècle, et au 18ème, l’accord harmonique était devenu tout à fait courant. Le cistre connu comme "guitare anglaise" - celui dont je joue le plus - était populaire au 18ème siècle en Europe et en Amérique Coloniale. Son corps est plus profond que le cistre Renaissance et est accordé en majeur. La "guitare anglaise” n'était pas la seule sorte de cistre au 18ème siècle. Il y avait aussi le cistre -ou guitare allemande au 18ème siècle-, apparemment plus grand que le modèle anglais. Les cistres irlandais et les instruments français étaient beaucoup plus grands que le modèle anglais typique. Des luthiers français ont produit des cistres avec des cordes de basse supplémentaires et des cistres à double manche, avec un manche long et un court. Par ailleurs, le cistre était populaire au Portugal, en Espagne, en Corse, en Suisse, aux Pays-Bas, en Belgique et dans beaucoup d'autres pays, en incluant certaines de leurs colonies. Beaucoup de ces instruments ressemblent à la guitare anglaise du point de vue de l’accordage, du nombre de cordes, de la technique et de l’utilisation.

Cependant, des instruments de type cistre Renaissance ont continué à être fabriqués.

En théorie, on admet que le cistre a disparu durant la deuxième moitié du 19ème siècle. La guitare portugaise a été jouée depuis le 18ème siècle et les cistres continuent d’être joués en Corse, en Suisse, en Allemagne et dans d'autres parties d'Europe septentrionale ; des instruments semblables sont aussi utilisés en Amérique du Sud et Centrale.

Avec l'énorme intérêt pour la musique irlandaise et la popularité du groupe formidable Planxty, le cistre est partout maintenant. Au début de Planxty , Andy Irvine utilisait un cistre portugais et un cistre allemand. Maintenant ils reçoivent des instruments conçus spécialement pour eux et on trouve des fabricants partout dans le monde.

Le Bouzouki irlandais est composé d’un manche de bouzouki sur un corps de cistre.

Dans toute l'histoire du cistre, le répertoire est un mélange de musique savante et d’airs populaires du moment, de chansons de spectacles, de gigues,de reels, de hornpipes et de menuets.

Qu’est ce qui t’a amené à jouer de cet instrument ?


Vers 12 ou 13 ans, j’ai découvert la musique traditionnelle et la musique savante. Un de mes amis était alors un immigrant polonais et son grand-père jouait de l'harmonica -ce fut la première musique traditionnelle que j'entendis -et il m'a vraiment impressionné. J'ai commencé à écouter tout que je pouvais trouver à la bibliothèque et sur une émission de radio le samedi matin qui présentait la musique du monde. J'ai entendu une ressemblance modale entre la musique ancienne et la musique traditionnelle, c’est ce qui m'a vraiment interpellé. Cela m’a semblé tellement plus indispensable que la musique pop et que la musique classique... Un jour pendant que je faisais mes devoirs, j'ai vu une peinture représentant un cistre de la Renaissance dans l'encyclopédie et il m’en a fallu un aussitôt. Alors j’ai demandé à ma mère qu’elle récupère des chutes de bois auprès d’un menuisier et c’est comme ça que j’ai bricolé mon premier cistre. C'était affreux et il est vite tombé en morceaux, mais j’ai compris alors ce que je voulais faire. Environ 5 ans plus tard, quand j’étais à l'université, j'ai reçu un cistre qui fonctionnait. J'avais un ami qui était en fauteuil roulant. Il jouait du dulcimer mais ne pouvant pas en jouer dans son fauteuil, quelqu'un lui avait construit deux ou trois instruments avec un manche de dulcimer sur un corps de mandoline à fond plat et il m’en a donné un. Jusque-là j'avais joué de la guitare, du banjo ténor et de la mandoline. Si ce premier cistre n'était pas un très bon instrument, il a vraiment changé ma vie. Finalement, parce que Planxty devenait si populaire, les gens ont commencé à les construire et j'ai reçu mon premier « bon » cistre au milieu des années 70. Maintenant je joue du cistre de la Renaissance de style français, des cistres anglais, français et irlandais à partir du 18ème siècle et du cistre irlandais moderne. Je joue toujours de la guitare, mais pas autant qu’avant. Quand j'ai commencé à jouer la musique traditionnelle, par opposition au rock et à la musique country, j'ai joué pour les bals folks, il y avait des quadrilles et contredanses presque chaque week-end. C'est comme ça que j'ai appris. J'ai trouvé un enregistrement appelé Paddy in the smoke : irish music from a London Pub. Il m'a sidéré - c'était un enregistrement de pauvre qualité - un gars avec un microphone assis dans un pub bruyant - mais la musique était fantastique et j'ai commencé à apprendre certains airs. J'ai aussi appris comment accompagner des airs en imitant Reg Hall, le joueur de piano sur cet enregistrement. Quand j'ai finalement déménagé à Londres en 1984, dès la première semaine, Roger Digby m'a invité à une session du dimanche. Ce n'était pas le même pub, donc je n'étais pas prêt pour le choc - mais c'étaient les mêmes gens que sur l’enregistrement. J’ai failli avoir une crise cardiaque et quand ils m'ont demandé de jouer quelques airs, je ne pouvais presque pas bouger, mais à partir de ce moment-là, je suis venu tous les dimanches où j’étais libre. Avec Reg, nous sommes devenus de bons amis et il a commencé à m'inviter à jouer d'autres concerts avec eux. J'étais vraiment au septième ciel. Lucy Farr était surtout gentille avec moi, en m'enseignant ses airs et en m'aidant à comprendre le sens général de la musique. Ils jouaient différemment de notre façon de jouer au Michigan ! Je me suis toujours aussi intéressé à la musique ancienne. Quand j'ai déménagé en Italie 10 ans plus tard, comme il n'y avait pas de musiciens irlandais traditionnels pour jouer avec moi, j'ai commencé à consacrer plus de temps à la musique pour cistre du 18ème siècle. Maintenant je réunis mes deux amours.

Tu as différents projets artistiques, en solo ou en duo, dans des domaines très variés... Quelle place particulière tient ton instrument dans chacun de ces projets ?

Quand je joue en solo, je mélange musique traditionnelle et baroque et je joue de trois cistres différents – le cistre Renaissance française, le cistre du 18ème siècle et le cistre irlandais moderne. J'ai fait un CD avec Andrea Damiani comme cela - les sonates pour cistre et continuo, plus les airs irlandais au cistre solo. Mon nouveau CD se compose de solos et de duos pour cistre au 18ème siècle. J'ai un duo avec Robert Amyot appelé Les Dexters. Nous jouons la musique traditionnelle des zones limitrophes française/ italienne/suisse et de la musique canadienne française. Robert joue des cornemuses, du flageolet, de la clarinette et chante, je l’accompagne au cistre moderne. Quand je joue avec lui, j'ai tendance à combiner une contremélodie ou une ligne de basse avec le rythme fort. J'ai aussi un duo avec le Taro Takeuchi - il joue de la guitare baroque et du cistre du 18ème. Nous jouons des duos de musique du 18ème siècle, traditionnelle et savante. Nous travaillons sur un CD de musique irlandaise du 18ème. C'est une musique très charmante, compliquée mais nous la jouons avec du swing, donc pas à la manière de la musique ancienne. Je suis aussi dans un quatuor Renaissance aux Etats-Unis appelé le Bacheler Consort - trois luths et un cistre. Nous jouons la musique de Giovani Pacoloni, dont les parties de cistre sont de Frederic Viaera. Henri Agnel me demande quelquefois de le rejoindre pour des projets aussi. J'apprécie de collaborer avec des gens différents.

Tu vas prochainement développer un projet qui va mêler les musiques traditionnelles. En quoi consiste t’il ?


Ce nouveau projet m'enthousiasme vraiment parce qu'il me permet de réunir tous les fils - la musique de danse traditionnelle, la musique baroque, la musique pour cistre tout en jouant dans un nouveau groupe. Au cours de mes recherches pour le CD avec Taro, j'ai trouvé par hasard un livre appelé « Cent Contredanses en Rond » par Robert Daubat, publié en 1757. C'est un recueil de cent danses avec leurs airs, plus une basse chiffrée. J'en ai joué et c’était vraiment magique , c'est un mélange réel de traditionnel et baroque. Pour moi, c'est un livre très important parce qu'il nous donne une idée de comment cette musique était accompagnée à cette époque. Mon projet est d’arranger cette musique pour un petit groupe de musiciens ; l'arrangement sera fondé sur la basse chiffrée de Daubat, mais j'écris d'autres parties dans le style traditionnel. Notre approche sera celle de musiciens traditionnels plutôt que de musiciens classiques. C'est de la musique de danse, donc elle doit swinger, il y aura aussi de la place pour l'improvisation.

En plus du cistre, je voudrais avoir un violoniste qui peut aussi jouer de la mandoline, quelqu'un comme Robert qui peut jouer des cornemuses, une clarinette et un flageolet, et je pense à la mandora, au basson ou à la viole de gambe pour la basse. La musique doit être légère tout en gardant un rythme soutenu. Idéalement, nous aurions aussi des danseurs et j’aimerais que nous puissions aussi enseigner les danses au public afin qu’il ne reste pas assis à les écouter. Certains des airs ressemblent à des mélodies de musique traditionnelle irlandaise et anglaise, donc j'assemblerai des airs comme dans le jeu traditionnel. Je crois que ce sera un beau spectacle avec un CD qui montrera les liens entre musique baroque et traditionnelle. Propos recueillis par JS.E. Contact :



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