A la croisée des musiques
Musiques de Bresse et du Revermont
Musée de société, le musée du Revermont
s’attache à présenter divers éléments du
patrimoine ainsi que leurs implications et
prolongements dans la société d’aujourd’hui.
Il investit depuis plusieurs années
des thématiques particulières : religion
populaire, rapport au temps, passion pour
les plantes ou les jardins… et interroge les
objets, les pratiques, les savoirs… comme
autant de clefs de compréhension du social
entre passé et présent, entre ici et ailleurs.
Avec l’exposition « A la croisée des
musiques » proposée au public durant les
saisons 2008 et 2009, l’objectif est de
mettre en valeur les musiques et chants
comme éléments du patrimoine immatériel,
en confrontant pratiques et traditions
propres au Revermont et aux régions
proches (Bresse et Petite Montagne) avec
celles des populations immigrées de l’Ain.
Ces musiques ont pour caractère commun
un mode de transmission orale de règles,
de techniques et de répertoires. De ce fait,
elles présentent de multiples variantes,
avec des thèmes musicaux en constante
transformation et interaction, conjuguant
culture d’origine et culture d’accueil,
ancrage local et référence à un territoire
lointain. Vivantes, en perpétuelle recréation
de pratiques, de savoirs et de représentations,
elles renvoient à des systèmes
de valeurs entre sphère intime et espace
public. Ala faveur de voyages, rencontres
et échanges… elles sont amenées à croiser
rock, jazz, rap, slam ou autres genres
musicaux… dans le vaste brassage des
musiques du monde.
Cette exposition est réalisée par la Conservation
départementale des musées des
pays de l’Ain en partenariat étroit avec le
CMTRA(Centre des Musiques Traditionnelles
Rhône-Alpes) et l’ADDIM de
l’Ain (Association pour la Diffusion et
l’Initiation Musicale). Elle s’accompagnera
tout au long de la saison d’une programmation
de concerts en étroite relation
avec le centre de développement culturel
de la Grange Rouge en Saône-et-Loire
ainsi que les festivals « Musicollines » Ã
Treffort et « Les Temps chauds » dans
l’Ain.
Une tradition musicale bien ancrée
Au début du 20e siècle, Paul Carru, folkloriste
local raconte : « Dans la période qui
suivit 1850, une remarquable émulation
s'empara des ménétriers de notre région,
qui devinrent, dans leur genre, de véritables
artistes et dont la réputation s'étendit
jusque dans le Jura et dans la Saône-et-
Loire». Il cite ensuite plusieurs musiciens
du Revermont à Courmangoux, Treffort…
Paul Carru se situe dans la lignée des collecteurs
du 19e tels Charles Guillon, Philibert
le Duc… qui à la suite de l’enquête
Fortoul parcourent les campagnes et
recueillent les poésies et les chansons paysannes.
Il n’est pas sans rappeler non plus
Georges Sand décrivant les moeurs et pratiques
rurales du Berry et notamment les
joueurs de grande cornemuse. La mode est
à la redécouverte des traditions paysannes
des régions de France et au régionalisme.
Ainsi, le décor d’une tradition musicale
particulière au territoire est posé. Au
moment où Paul Carru écrit, cette musique
fait l’objet d’une ré-appropriation par les
groupes folkloriques, notamment par
Prosper Convert, dans le cadre de son
spectacle « Les Ebaudes bressanes », véritable
ambassadeur de la Bresse et porteur
d’une revendication identitaire marquée.
A noter aussi à la même époque les travaux
de Julien Tiersot sur la chanson
populaire qui comportent quelques mélodies
de Bresse et du Revermont. A noter
également l’importance d’instruments
anciens comme la vielle et la musette
remis à l’honneur à cette époque.
Le revival « folk »
Dans les années 1970-90, un mouvement
associatif d’ampleur se ré-intéresse au
patrimoine rural. En Bresse, diverses
recherches sur la musique furent menées
par l’Université rurale bressane et les
Musiciens routiniers des pays de l’Ain et
de la Saône. Les enquêtes réalisées auprès
de musiciens du Revermont et de la Petite
Montagne donnèrent lieu à la production
d’un disque et d’un film vidéo. Peu après,
l’atlas sonore du CMTRA « Conscrits en
Bresse » mettait en lumière les divers
moments de la fête des conscrits, et les
caractéristiques d’une musique spécifique :
styles de jeu, répertoires... Parallèlement,
les recherches sur les instruments anciens,
vielle et musette, permirent la mise en évidence
d’une fabrication locale à rapprocher
de la facture des vielles parisiennes
du 18e et d’autres cornemuses proches
d’un point de vue organologique. Pour les
protagonistes de ces recherches, dans la
vague du revival des années 1970, il s’agit
de jouer de nouveau de ces instruments, de
les étudier en détail pour les re-fabriquer.
L’objectif est de recueillir et se réapproprier
des répertoires originaux liés à un territoire
dans le cadre d’animations, veillées,
bals folk. Si la référence régionale est présente,
le choix est très net de se distinguer
des groupes folkloriques qui mettent en
scène les chants et danses lors de spectacles
costumés. Les recherches s’orientent
également vers des musiciens jouant
de routine, ayant appris de tradition :
joueurs de clarinette et tambour des fêtes
des conscrits, violoneux de la petite montagne,
chanteurs...
Les pratiques musicales issues de
l’immigration
L’industrialisation des bassins d’Oyonnax,
de Bourg-en-Bresse et de Lyon a eu pour
corollaire les immigrations successives de
populations diverses : portugais, italiens,
espagnols, turcs, algériens, marocains,
tunisiens, chiliens, arméniens, roumains…
en quête de travail et d’un monde
meilleur… Autant d’histoires différentes
qui racontent le déracinement, l’implantation
ici avec un très fort sentiment d’étrangeté
à dépasser. On se retrouve entre cousins,
voisins, compatriotes pour un peu
de réconfort, une histoire commune et des
habitudes culturelles à partager, parfois
aussi autour de revendications identitaires
et politiques. Les moments de réaffirmation
et de transmission des valeurs culturelles
sont fréquemment accompagnés de
musique, que ce soit au moment des fêtes
rituelles ou de retrouvailles plus intimes.
Musiques et chants sont aussi l’occasion
d’exprimer la souffrance de l’exil et d’affirmer
les revendications du groupe ou de
la communauté.
L’exposition présente des éléments issus
du DVD à vocation pédagogique
« Musique d’ici et d’ailleurs », résultat
d’une étude ADDIM/CMTRA menée en
2007 sur les cultures musicales des populations
immigrées de la Côtière dans l’Ain,
à la périphérie de Lyon. La Conservation
départementale a sollicité le CMTRA pour
une poursuite des enquêtes dans les bassins
de Bourg-en-Bresse et d’Oyonnax, de
manière à inclure également les témoignages
de personnes ou communautés
proches du musée du Revermont.
Comment rendre compte de la diversité
de ces musiques dans un musée ?
L’instrument, de par sa dimension esthétique
indéniable structure visuellement le
parcours de l’exposition. Qu’il soit d’ici
ou d’ailleurs, il témoigne d’une remarquable
ingéniosité et d’une facture soignée,
héritée de savoir-faire précis, issus
de perfectionnements successifs. Au-delÃ
de sa valeur proprement musicale, l’instrument
véhicule aussi des valeurs symboliques
et esthétiques propres à une
société, une région, un pays. Il participe de
l’identité d’une musique et du groupe où
elle est pratiquée. Dévoué à un répertoire
spécifique, l'instrument forme la musique
et la musique l'instrument.
Souvent, les musiciens qui jouent d’un
instrument, s’inscrivent dans des apprentissages
et des filiations. Cela n’empêche
pas l’ouverture à d’autres influences qui
les amène à développer peu à peu un style
de jeu personnel, Ã sortir des sentiers battus,
à explorer de nouvelles pistes dans les
marges, à passer d’un monde musical Ã
l’autre, tels des nomades contemporains.
Par ailleurs, les documents d’archives, les
partitions, les photographies de musiciens
en situation, les objets témoins liés aux
occasions de jeu permettent d’appréhender
le fait musical dans ses déterminations
et ses finalités sociales. Les témoignages
sonores et audio-visuels ponctuent le parcours
et rendent compte de la richesse de
ces musiques. Le CMTRA a apporté sa
compétence technique pour le choix et à la
mise en oeuvre de ces rendus sonores. La
sélection propose une juxtaposition entre
musiciens d’hier ou d’aujourd’hui, d’ici
ou d’ailleurs.
Les collections présentées proviennent
du fonds départemental des musées des
pays de l’Ain, du musée des musiques
populaires à Montluçon, du musée des
Beaux Arts de Brest, de l’association
« A la recherche de Prosper Convert » et
de nombreux particuliers.
Agnès Ducaroy - Attachée de conservation au Musée des Pays de l'Ain