Instruments de musiques du monde à Lyon
Entretien avec Bernard Boch et Richard Pick
CMTRA : Vous êtes responsables d'un lieu tout à fait étonnant, sur la rive droite de la Saône, à Lyon. C'est beaucoup plus qu'un magasin de musique, un endroit unique, qui déborde d'instruments, dont beaucoup d'instruments de musique du monde. Comment en êtes-vous arrivés là ?
Bernard Boch : Ce lieu, c'est l'expression de nos désirs. Au bout de vingt-cinq ans, on arrive à concrétiser en un lieu toutes nos envies professionnelles, artistiques et musicales. C'est une très longue histoire. Richard et moi nous nous sommes rencontrés à l'âge de douze ans, au lycée. Nous avions quinze ans au tout début de la période « folk », et nous nous sommes mis à fabriquer des instruments, des épinettes, des psaltérions, des vielles à roue, sans aucune connaissance au départ.
À cette époque, nous étions dans le nord de la France. Je suis venu à Lyon faire des études supérieures, et Richard, resté là-bas, s'est engagé dans des études techniques sur la chimie. Il m'envoyait ses plans d'instruments, moi j'en construisais pour les amis, et on se retrouvait pour la période des vacances. On partait en deux-chevaux, et on jouait de la musique en faisant la manche. Richard faisait les musiques et moi les paroles, on jouait dans la rue et ça nous payait nos vacances.
J'étais engagé dans des études d'ingénieur agricole, et très branché sur l'écologie. Je me suis vite rendu compte que devenir ingénieur agricole ne pouvait me mener qu'à utiliser ou vendre des engrais chimiques, et j'ai tout abandonné. J'ai eu la possibilité de faire un stage d'ébénisterie, et j'ai téléphoné à Richard. Il a immédiatement tout plaqué pour suivre le stage avec moi. Nous avons passé le CAP d'ébéniste-marquetteur, et chacun de notre côté, nous avons travaillé avec des artisans qui savaient encore travailler à l'ancienne.
Nous avons appris à travailler avec la varlope, les gouges, et nous avons ouvert une première boutique, vingt-trois mètre carrés, un meuble, un bibelot, rien. Nous avons beaucoup travaillé pour les antiquaires, réparé les meubles, et, avec les bénéfices, nous avons acheté des instruments anciens, de plus en plus, et nous en avons fait le commerce. À un moment donné, nous avons décidé de nous consacrer uniquement aux instruments. Nous avons suivi des stages de lutherie, et c'est comme ça que nous avons commencé. Au départ, nous nous intéressions uniquement aux instruments anciens, aux antiquités musicales, et nous avions déjà la collectionnite, surtout en ce qui concerne les instruments fabriqués à Lyon.
Notre collection compte actuellement trois cents instruments de facture lyonnaise, du XVIIe à nos jours, avec des documents qui s'y rapportent, notre but, notre rêve, c'est d'en faire un musée. Nous avons d'ailleurs créé une association en ce sens, l'Association du musée des Instruments de Musique Lyonnais. Ce projet nous tient vraiment à coeur, nous aimerions beaucoup montrer ces instruments, pour que les musiciens puissent suivre l'évolution de la facture à travers les clarinettes, les flûtes, les guitares, les accordéons, les violons, sans oublier la grande famille des cuivres. Voir des instruments permet de faire revivre l'histoire de la facture instrumentale, c'est absolument fabuleux.
En 1979-1980, nous avons été attirés par la philosophie indienne, le yoga, la méditation. Nous sommes allés en Inde, Richard a rencontré son maître de sitar, et moi j'ai pratiqué le chant indien, les tablas, l'harmonium, et nous sommes tombés amoureux de ce pays. Et c'est comme ça que nous avons commencé à proposer des instruments de musique du monde à Lyon. Cette activité nous a permis de voyager, de rencontrer en Inde les facteurs d'instruments, d'échanger nos connaissances. C'est une situation extrêmement riche en enseignements, et très intéressante au niveau historique.
Découvrir les ateliers de lutherie en Inde, au Vietnam, en Turquie, nous permet d'imaginer comment se faisaient les instruments de façon traditionnelle à la fin du XIXe en France. Nous avons visité dans le nord de l'Inde un atelier de cuivres, où les gars travaillent par terre, en utilisant leurs pieds comme étaux, avec deux ou trois outils, et nous nous disions « voilà, c'est comme ça que ça se passait chez nous », comme un film vivant, un retour dans l'histoire d'une richesse incroyable et sur le plan humain, rencontrer des personnes qui font le même métier que nous sur d'autres continents constitue une expérience forte.
C'est comme ça que nous avons commencé cette activité d'instruments du monde. Nous avons structuré notre société autour de cette activité, en ajoutant la location, la fourniture d'accessoires, la réparation. Nous pouvons proposer des instruments neufs occidentaux, orientaux, des instruments anciens, des instruments d'occasion, une profusion dans le temps, dans le nombre et la diversité des instruments.
Le résultat de cette histoire, c'est cet endroit tout à fait étonnant, cet amoncellement d'instruments qu'on peut acheter, qui sont destinés à jouer, cette caverne d'Ali Baba musicien. Mais sous ce lieu, il y en a un autre. De quoi s'agit-il ?
Richard Pick : Ce qui est merveilleux pour nous, c'est que sous le magasin, ces instruments peuvent de temps en temps jouer en direct, au cours d'une série de petits concerts de musiques du monde. Nous avons restauré une salle voûtée, que nous avons baptisée “espace résonance”. C'est un lieu de musique où nous accueillons ce printemps des concerts de musiques rares, du Pakistan, d'Azerbaïdjan, et d'Inde.
Dans les instruments que vous proposez, on trouve des instruments qui viennent d'Inde, votre première passion, mais également d'autres pays, d'autres cultures. Lesquelles ?
R.P. : Nous sommes allés au Vietnam, notamment jusqu'à la frontière de la Chine pour dénicher des guimbardes fabriquées dans les villages mongs. Nous sommes allé au Maroc (le pays natal de Bernard), mais nous avons été déçus par le faible niveau de qualité de la fabrication ; il semble qu' il y a eu une rupture dans la transmission de la facture instrumentale, et la qualité s'en ressent. Par contre, en Turquie, la qualité de savoir-faire est exceptionnelle. L'atelier avec lequel nous sommes en relation emploie une dizaine de personnes avec une ambiance de travail, un rapport humain fantastique. Pour le moment, nous travaillons principalement avec ces pays-là.
B.B. : Nous sommes en relation avec des musiciens qui voyagent, et nous arrivons à avoir des instruments de qualité de pays où nous ne sommes pas encore allés nous-mêmes.
Quand un musicien achète un instrument de musique, il accorde beaucoup d'importance aux accessoires, les cordes, les anches. Ça peux poser un problème pour les instruments qui viennent de très loin ?
B.B. : Prenons l'exemple des harmoniums indiens. Quand on est allé en Inde, je me suis initié à leur fabrication, et ça me permet d'en assurer la maintenance en France. C'est un instrument à anches libres, importé d'occident en Inde depuis la fin du XIXe, et qui est devenu là-bas un des instruments des plus populaires, même s'il ne comporte pas tous les quarts de ton, les shrutis. Ces instruments sont fabriqués exactement comme au XIXe, avec des lames en laiton, à l'opposé des accordéons modernes qui sont montés en lames d'acier. Quand une lame casse, il faut avoir toutes les pièces d'origine, et le savoir-faire de montage.
R.P. : Pour le sitar, le tampura, nous importons bien sûr les cordes, mais aussi le vernis, les chevilles, la matière très particulière pour les chevalets (c'est de la corne de cerf ), les frettes pour les sitars, chaque chevalet est différent. Nous avons également des peaux de rechange pour les diverses percussions indiennes. On a toutes les pièces, tous les accessoires, tous les matériaux correspondant à tous les instruments que l'on propose.
Vous avez une équipe qui est disponible en permanence pour la réparation, la maintenance, la restauration ?
B.B. : Nous formons une équipe de cinq personnes : Gabrielle Henaff-Vargiu, est spécialisée dans les tamponnages pour clarinette, flûte, saxophone, hautbois, basson, Jean-Nicolas Susse s'occupe des cuivres, notamment pour le décabossage, Richard des mandolines et des guitares, je m'occupe du violon, des instruments du quatuor, et tout ceci est administré par Béatrice Bonvarlet.
Avez-vous imaginé un jour faire jouer ensemble tous les instruments que vous avez dans votre magasin ?
B.B. : Quand on a commencé, les musiciens qui nous rendaient visite étaient intéressés par leur propre instrument, et seulement par leur instrument. Il était très déconcertant pour eux, sinon négatif de trouver un lieu avec des tas d'instruments différents, et le doute s'installait quant à notre compétence sur chaque famille d'instrument, chaque spécialisation. Nous n'avons jamais fait d'étude marketing quant à notre projet, on a toujours fait ce qu'on aimait. On aimait des choses différentes, et on en a rempli notre espace. Et il y a eu une évolution très nette dans la culture des musiciens. Depuis quelques années, ce qui était perçu comme un manque de professionnalisme, la diversité, est maintenant accepté comme une richesse. C'est toujours un plaisir pour nous de recevoir des musiciens qui découvrent chez nous les instruments du monde de la même famille que le leur, l'instrument frère ou sœur, qui vient d'un pays lointain, qui est différent. Ils vont essayer d'en jouer, découvrir les points communs, les différences, et à chaque fois, c'est un horizon nouveau qui s'ouvre, une nouvelle palette sonore qui va enrichir la créativité du musicien. C'est ce plaisir que nous avons de plus en plus, de voir des musiciens qui découvrent un instrument complémentaire, qui va éclairer leur pratique musicale.
Propos recueillis par J.B.
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