19. Le Chantier de Correns
Centre de création des nouvelles musiques traditionnelles et musiques du monde
Entretien avec Françoise Dastrevigne, directrice du Chantier de Correns (83).
CMTRA : Le Chantier constitue
une initiative originale dans l’hexagone.
Comment a t’il été créé ? Quels sont les axes de son projet ?
Le projet du Chantier est né en 2002.
Quand je suis arrivée à l’ADIAM 83,
j’ai découvert les activités de Miquèu
Montanaro et de son association, basée
à Correns. J’y ai décelé une perspective
extraordinaire, Montanaro étant
une figure emblématique sur le plan de
la création dans le champ des nouvelles
musiques traditionnelles. L’association
portait alors plusieurs activités
notamment autour des pratiques
vocales et un festival. Il y avait là un
tissu d’initiatives et de projets qui
représentaient un fort potentiel. Le
projet du Chantier est né de la valorisation
de ces activités, avec le désir
affirmé de créer un lieu dédié à la création
dans le champ esthétique des nouvelles
musiques traditionnelles et
musiques du monde.
Nous avons réuni les tutelles (DRAC,
Région, Pays de la Provence Verte*,
commune) qui ont choisi de soutenir le
projet. Le maire de Correns et son
conseil municipal ont dédié un fort du
XIIème siècle à ce pari où nous avons
actuellement des bureaux, un studio de
répétition, une salle d’exposition
qu’on transforme régulièrement en un
espace de spectacle
(100 personnes). Pour la conception
du projet, je me suis appuyée sur les
missions des centres nationaux de
création musicale. Les activités du
Chantier se déclinent en cinq grands
axes : les résidences de création et
l’accueil d’artistes, une mission de diffusion
avec un festival, des activités de
recherche et de réflexion, des opérations
de sensibilisation et de médiation
culturelle, notamment auprès des
publics scolaires et enfin, le développement
de la pratique amateur.
L’année 2007 a été une année de changement
car Miquèu Montanaro a autonomisé
sa Compagnie et a passé la
main pour la direction artistique.
Comment le Chantier choisit-il les
artistes qu’il accueille en résidence ?
Et comment sont-elles construites ?
Pour les résidences, soit des artistes
nous sollicitent, soit je vais au devant
de musiciens en leur demandant ce
qu’ils ont en projet. J’arbitre ensuite en
fonction de la pertinence des projets.
Ainsi pour 2008, j’ai retenu des projets
d’artistes de la région, un projet porté
par un jeune artiste, des projets nationaux
et internationaux.
On peut accueillir les artistes pour une
semaine ou quinze jours. Chaque fois
qu’un artiste est en résidence, en
résulte un moment de présentation au
public. Au cours de ces « étapes musicales
» les artistes racontent leur
genèse artistique et font écouter leur
travail en création. Sans trop communiquer,
on atteint un public de cent personnes,
performance très acceptable
en milieu rural. Ces étapes musicales
sont également adaptées aux enfants
dans le cadre d’opérations spécifiques.
Nous développons également des
classes à PAC** ; il s’agit là d’un travail
beaucoup plus régulier avec un
musicien intervenant qui vient 15
heures sur l’année. Nous travaillons
également en lien avec l’Education
nationale pour développer des formations
auprès des instituteurs. Nous
avons proposé dans le cadre des formations
Education
nationale de monter
un programme spécifique
aussi aux
nouvelles musiques traditionnelles.
Sur quels points pensez vous qu’il
est nécessaire de travailler dans le
domaine de la diffusion ?
En travaillant sur le programme des
résidences, j’ai mesuré à quel point les
musiciens n’avaient pas l’habitude de
solliciter un accueil en résidence. Pour
eux, ce sont là des démarches professionnelles
peu ancrées dans la culture
du réseau. Je n’ai pas encore vu par
exemple un artiste qui frappe à la porte
pour monter une coproduction avec
d’autres lieux, excepté chez quelques
agents peut-être. Nous avons à encourager
et à accompagner le développement
de ce type de démarches. Un des
moyens qui me semble des plus adéquats
est de développer au maximum
la notion de « compagnie musicale » et
d’aider les artistes à la structuration
sous cette forme. En région PACA,
nous avons trois compagnies conventionnées,
La Compagnie
du Lamparo
de Manu Théron
avec le Cor de la Plana ; celle de
Miquèu Montanaro et celle de Patrick
Vaillant, qui est en passe de l’être. Ce
dispositif permet de disposer de financements
croisés. Par ailleurs, un dispositif
d’aides à l’emploi d’agents de
développement culturels permet dans
notre région, de créer des postes pour
accompagner ces compagnies sur le
plan administratif. Ces dispositifs
ayant permis « d’amorcer la pompe »
et de développer une économie, certaines
compagnies ont désormais plusieurs
salariés. C’est un axe de développement
qu’il serait idéal de généraliser
dans l’ensemble des régions de
France, comme cela peut-être le cas en
théâtre ou en danse. Quand on pense,
par exemple, que les trois plus grands
viellistes en France (Valentin Clastrier,
Gilles Chabenat et Patrick Bouffard)
n’ont aucune structure qui s’occupe
d’eux, cela laisse perplexe.
De même, il est très important que l’on
fasse acte de pédagogie autour des
musiques traditionnelles, pour gagner
de nouveaux publics ou circuits de diffusion,
pour créer une meilleure lisibilité.
Par rapport au réseau généraliste des
scènes nationales, conventionnées
(…), nous avons un rôle à jouer. Lors
d’une récente rencontre organisée par
Zone Franche, la directrice du festival
des Francophonies
en Limousin, ex
directrice d’une
scène nationale, a
très bien expliqué qu’il n’y avait pas
toujours les personnes compétentes
sur le plan musical dans ces équipes
d’une part, et que ces scènes avaient
leur calendrier, leur rythme de travail
et des modes de gestion propres,
d’autre part. Nous avons tout à gagner à
aller rencontrer ces circuits professionnels,
à savoir comment ils fonctionnent
et savoir aussi quel est leur degré
d’exigence.
Pendant les Assises des musiques traditionnelles
organisées par la FAMDT
en novembre dernier, nous avons
décidé de constituer un groupe de travail
de diffuseurs et de lieux de créations
présents dans le réseau afin de
mieux se connaître dans un premier
temps, pour pouvoir ensuite engager
des projets en commun.
Enfin, je pense qu’il nous faut être très
actifs au niveau des réseaux nationaux
et être présents auprès de nos élus
locaux pour faire remonter nos
besoins. Acet égard, durant les assises,
Jean-Michel Lucas nous a interpellés
sur un outil qui est à notre disposition
: la convention de l’UNESCO avec ses
deux volets portant sur la diversité culturelle
et le patrimoine immatériel. Je
pense que nous devons sérieusement
nous pencher sur ces enjeux.
Propos recueillis par Jean Sébastien Esnault
* La Provence Verte regroupe 37 communes
situées au coeur du Var, entre le Verdon, la
Sainte-Baume et la Sainte-Victoire
** Classe à Projet
Artistique et Culturel