Entretien avec Michel PignolCMTRA : Vous occupez une place particulière dans le monde de la vielle à roue, peut-on vous considérer comme un luthier ?
Je ne suis pas luthier au vrai sens du
terme, même si j’ai failli le devenir
vers l’âge de quarante ans. Je suis
avant tout professeur de constructions
mécaniques, un métier que j’ai exercé
toute ma vie jusqu’à ma retraite et qui
m’a passionné et entraîné vers la
recherche. Dans mon parcours professionnel,
j’ai accordé une importance
particulière à l’analyse des objets
techniques (la vielle en est un) et à l’invention
(à mon sens, l’imagination est
beaucoup trop bridée aujourd’hui).
C’est avec ces deux fils rouges que j’ai
abordé la fabrication des instruments
de musique. J’ai développé ma capacité
à rentrer dans la matière, dans les
objets, dans les mécanismes pour tenter
de les comprendre. Au niveau de
la conception et de l’exécution de produits,
rien ne m’effraie, je le dis sans
prétention. Le seul vrai handicap Ã
mon sens se situe dans le courage physique
qui doit accompagner tout
homme d’action. Il est beau d’avoir
des idées, si le corps ne suit pas, on ne
peut mener à terme un projet. Ce courage
physique je le stimule par le sport,
à tel point qu’il est toujours présent
dans mes romans. A la pugnacité doit
s’adjoindre la patience et l’application,
car vous savez un prototype de vielle,
sans pièce disponible au départ, nécessite
plus de trois cents heures d’atelier !
Vous poussez cette logique tellement
loin que vous avez publié ce
livre : « La vielle à roue. Découvrir,
comprendre, fabriquer » !
A partir du moment où j’ai découvert
la vielle à roue, je n’ai eu de cesse
d’analyser toutes celles qui sont tombées
dans mes mains. Une centaine.
J’ai passé des miroirs par les ouïes, j’ai
relevé des cotes, décelé les zones
vibratoires et les zones inertes, évalué
les jeux mécaniques, les possibilités de
maintenance, recherché les relations
des formes, des dimensions, des
essences avec le timbre, le volume
sonore, les relations avec le musicien,
essentielles aussi celles-là .
Au bout de trente ans d’étude attentive,
deux solutions s’offraient à moi :
mettre le tout à la poubelle ou écrire un
livre. Comme je ne désirais pas faire
construire une vielle sans aucune
explication (le « Tais-toi et colle »,
m’est insupportable), j’ai monté un
laboratoire d’acoustique appliquée à la
vielle. Maintenant je peux argumenter
mon choix pour tel chevalet plutôt
que tel autre, prouver que sa position
longitudinale sur la table d’harmonie
intervient dans le timbre des notes
émises, proposer l’emplacement optimum,
expliquer le rôle des perces…
.J’en suis arrivé à justifier la raison
d’être de chaque composant dans
l’instrument que j’ambitionnais de
faire construire. Pédagogue, on ne se
refait pas ….
Comment s’est vendu votre livre ?
Près de cent luthiers ont acheté mon
livre. Mes recherches les ont confortés
dans leur savoir souvent empirique. Je
vais bientôt atteindre le millier
d’exemplaires vendus et ne rééditerai
pas. D’autres projets m’appellent avec
force. C’est un grand bonheur de recevoir
des mails et des courriers de gens
qui ont réalisé leur vielle grâce à mon
bouquin, environ un par mois. Mieux
d’entendre au téléphone une montée
de gamme propre, preuve d’une vielle
bien réglée. Aider quelqu’un Ã
atteindre son rêve conduit aux sentiments
les plus forts qui soient.
Vous semblez davantage être un
analyste qu’un fabricant ?
Oui c’est cela, plus physicien que
luthier, plus théoricien que praticien.
Je ne suis pas arrivé à la lutherie par
la grande porte de la tradition mais par
une porte latérale qui est celle de la
physique. Je conçois que cette entrée
puisse être contesté parce que pendant
400 ans, c’est avec de l’empirisme, des
essais, des expérimentations qu’on a
fabriqué les instruments de musique.
On ne peut pas le nier, le violon s’est
construit comme cela et aujourd’hui
c’est un instrument abouti, un instrument
d’une beauté inouïe, dans tous
les sens du terme. Ce n’est pas la physique
qui l’a aidée à se construire, c’est
bien l’oreille et les millions d’heures
d’ateliers des luthiers. On peut dans ce
domaine avancer sans la physique,
c’est d’autant plus vrai pour l’instrument
de musique qui est si proche de
l’homme et comme lui se montre
instable, changeant, pas toujours très
crédible. Cette magie, cette intangibilité,
je l’accepte volontiers, il faut
qu’elle demeure car je reconnais
l’homme dans sa fragilité et le mystère
qui l’accompagne. Mais tout de même,
ma discipline m’a permis de dire que
ce qui a été fait jusqu’à présent peut
trouver une explication et une aide
dans les lois de la physique.
Qu’est ce qui vous a amené à la
vielle à roue en particulier ?
C’est un instrument très mécanique
aussi ma condition de professeur de
construction m’a poussée vers cet
objet très technique. Les jeux fonctionnels
dont elle regorge, les mouvements
de translation, de rotation, la
mécanique appliquée : statique, dynamique,
résistance des matériaux,
toutes mes technologies en somme y
trouvent place. Je me régale, je me
roule dedans. J’exulte. Il y a trente ans
que je parle d’introduire des roulements
à billes dans la rotation de l’axe,
d’appeler des composants de l’industrie
mécanique, de repenser entièrement
le clavier….
Ce n’est pas la musicalité grinçante de
cet instrument sorti d’un grenier ou
d’un bistrot qui m’a attirée. Je dois le
dire. Aujourd’hui c’est différent, le son
de la vielle électroacoustique me transporte,
m’émerveille. Danseurs, écoutez
Rosebud, une création de ma fille
Isabelle, si vous ne décollez pas c’est
que vous ne savez pas danser. Comment
dit-on ? Ça déchire ! Et les
luthiers en vielle traditionnelle sont
arrivés à un très haut niveau dans leurs
prestations tant acoustiques - par
l’équilibre des différentes sources
sonores - que par la qualité de l’exécution,
si je peux me permettre de le
dire.
Les goûts musicaux ont également
changé ; le rock et le punk ont
réintroduit le cri, le grincement et la
dissonance dans la musique comme
éléments d’expression.
Oui, je suis très ouvert musicalement,
mais ce n’est pas forcément ma tasse
de thé. Je suis un romantique, je suis
plutôt lyrique, épris de mélodie. Mais
j’ai aussi besoin d’être secoué. Ce que
font un Valentin Clastrier, un Yann
Gourdon ne me place pas forcément
dans un confort poétique. Mais ils me
surprennent, m’étonnent, m’embarquent
dans leur univers qui me déséquilibre.
L’art est aussi fait pour cela.
A skis dans une tempête de neige,
l’émotion est stupéfiante.
Que pensez-vous des évolutions
musicales liées à l’électroacoustique
?
A mon sens la veille à roue devra son
avenir à l’électroacoustique, même s’il
faut s’accrocher par ailleurs à la
conserver aussi dans sa forme purement
acoustique. Enfin les vrais problèmes
de cet instrument ont été posés
et sont en voie de résolution. J’en parle
longuement dans mon roman en cours
–Sonate pour un arc en ciel- Je suis
un inconditionnel de la vielle électroacoustique
qui a fait progresser notre
instrument d’une façon incroyable. On
n’a pas résolu que des problèmes de
sons criards ou acides ou celui de
l’équilibre des sources sonores : chanterelles,
bourdons, chien, cordes sympathiques…
on a aussi simplifié l’appropriation
par le musicien lui-même
d’un ensemble mécanique complexe.
Enfin !
Avec l’électroacoustique, tous ces problèmes
d’équilibre sont résolus par le
matériel, par cet attirail électronique,
la table de mixage et le système de
balance de son, qui permet de rééquilibrer
les sources sonores ; on peut
faire ce que l’on veut, ressortir le chien
ou la chanterelle, des effets sonores …
Tout cela est possible. Il ne faut pas
avoir peur de cet environnement. Nous
sommes aujourd’hui.
Après ce livre très technique, vous
vous lancez dans la veine romanesque
avec un projet que vous
définissez comme un « roman
musical » dont l’histoire traverse le
milieu des musiques traditionnelles.
Que raconte t-il ?
Oui, j’ai écrit un roman qui porte sur
les musiques traditionnelles et la vielle
à roue en particulier. Mais je noie tout
ça dans une histoire où il y a de
l’amour, de la bagarre, de l’accordéon
chromatique. Il y a beaucoup de
chant … La vielle devient de plus en
plus petite au fil des pages et le chant
gagne du terrain. Je ne suis qu’un
homme gagné par l’émotion de cet
univers musical qui est le mien et je
laisse s’envoler ma plume. Avec le
livre figurera un CD compilation de
nombreux artistes qui correspondra
aux différentes ambiances sonores et
musicales des chapitres. On retrouvera
dans mes personnages des artistes de
groupes qui me sont chers : Dédale,
Djal, Vach'inton.g… mais aussi Gilles
Chabenat, Valentin Clastrier, Gérard
Godon, Corinne Renault et quelques
vieux airs du Berry pour la partie historique,
des sportifs, parmi les plus
grands, des danseurs, des chanteurs…
Denis Siorat par ses vielles que je
porte aux nues.
Vous avez rencontré beaucoup de
monde pour rédiger ce roman,
avez-vous restitué les interviews
telles quelles ou les avez-vous
romancées ?
Je me les approprie avec la permission
des interviewés. J’ai fait plus de 30
interviews, certains artistes seront
faciles à reconnaître et garderont leur
prénom. Pour ne parler que de lui,
Valentin Clastrier dans mon film,
pardon, dans mon roman, c’est le
« maître », celui qui chamboule le
jeune Jérôme, le héros de l’histoire, un
sportif de haut niveau qui vient de
subir un accident irréversible. Ce sera
un personnage rugueux, emporté et
sans réponse. Ses enseignements se
liront plutôt dans sa gestuelle, dans son
regard … et dans la musique bien sûr.
Tout sera dans le non-dit et dans
l’atmosphère du moment.
Ces musiciens que j’ai rencontrés, je
les ai interrogés sur leur cheminement
particulier et leur rapport à l’instrument,
mais il y a d’autres choses que
j’ai aimé explorer, comme leur vécu
d’arrière-scène, le trac… Pour l’écriture,
c’est phénoménal de parler de ces
trois minutes avant la montée des
marches qui vous portent à la scène ;
les larmes qui viennent aux yeux,
l’envie de fuir, l’instrument qui ne va
pas partir, les doigts qui sont contractés
ou cette nausée sur l’estomac. Je
veux écrire cela, ça m’intéresse beaucoup.
Tenter de décrire ce qu’une salve
d’applaudissements provoque chez
l’artiste tout au fond de lui-même. Et
puis l’homme qui l’instant d’après se
retrouve seul dans la rue, on n’a pas
pensé à son casse-croûte, son hébergement
a été à moitié résolu… badaboum
il retombe. Pour l’écriture, c’est
passionnant. Du pain beurré. Me
priver de cela, vous n’y pensez pas !
Mon roman est achevé, j’en suis aux
corrections et à confier le manuscrit Ã
mes prélecteurs. Courant avril, je
pourrai m’enquérir auprès d’un éditeur
puis dans un second temps trouver un
producteur pour faire de cette histoire
une fiction cinématographique qui
mettrait en scène ce monde fascinant
des musiques traditionnelles, avec en
arrière-plan la danse. Et toujours des
hommes, des hommes et des femmes.
Avis aux amateurs !
Propos recueillis par P.B
Michel Pignol est aussi professeur Ã
l’Ecole de lutherie d’Instruments traditionnels,
à la Châtre (36400), Lycée
Georges Sand et conférencier Ã
La Passion du bois, Grenoble (38)
Ses ouvrages :
-
La vielle à roue. Découvrir, comprendre, fabriquer.
Par l’auteur. 2004. 2 tomes, 10 plans. (52 euros)
-
Fabriquer un psaltérion. Par l’auteur. 2007.
Livret (25 euros)
-
Fabriquer son orgue de barbarie. Par l’auteur.
10 plans, 1 CD de photos. 2008
- Roman :
A chaque aube, je nais
Aux Editions La Société des Ecrivains, 2007.
(23 euros)
- Roman musical :
Sonate pour un arc en ciel, 2008
(à paraître)