Boutique Mon compte
page facebook du CMTRA page twitter du CMTRA page youtube du CMTRA
accueil > nos actions > lettres d'information > lettre d'information n°68 > lettres d'information > 4. la vielle disséquée Adhérer
menu
page facebook du CMTRA page twitter du CMTRA page youtube du CMTRA

4. La vielle disséquée
La vielle à roue entre génie mécanique et roman musical...

Entretien avec Michel Pignol


CMTRA : Vous occupez une place particulière dans le monde de la vielle à roue, peut-on vous considérer comme un luthier ?

Je ne suis pas luthier au vrai sens du terme, même si j’ai failli le devenir vers l’âge de quarante ans. Je suis avant tout professeur de constructions mécaniques, un métier que j’ai exercé toute ma vie jusqu’à ma retraite et qui m’a passionné et entraîné vers la recherche. Dans mon parcours professionnel, j’ai accordé une importance particulière à l’analyse des objets techniques (la vielle en est un) et à l’invention (à mon sens, l’imagination est beaucoup trop bridée aujourd’hui). C’est avec ces deux fils rouges que j’ai abordé la fabrication des instruments de musique. J’ai développé ma capacité à rentrer dans la matière, dans les objets, dans les mécanismes pour tenter de les comprendre. Au niveau de la conception et de l’exécution de produits, rien ne m’effraie, je le dis sans prétention. Le seul vrai handicap à mon sens se situe dans le courage physique qui doit accompagner tout homme d’action. Il est beau d’avoir des idées, si le corps ne suit pas, on ne peut mener à terme un projet. Ce courage physique je le stimule par le sport, à tel point qu’il est toujours présent dans mes romans. A la pugnacité doit s’adjoindre la patience et l’application, car vous savez un prototype de vielle, sans pièce disponible au départ, nécessite plus de trois cents heures d’atelier !

Vous poussez cette logique tellement loin que vous avez publié ce livre : « La vielle à roue. Découvrir, comprendre, fabriquer » !

A partir du moment où j’ai découvert la vielle à roue, je n’ai eu de cesse d’analyser toutes celles qui sont tombées dans mes mains. Une centaine. J’ai passé des miroirs par les ouïes, j’ai relevé des cotes, décelé les zones vibratoires et les zones inertes, évalué les jeux mécaniques, les possibilités de maintenance, recherché les relations des formes, des dimensions, des essences avec le timbre, le volume sonore, les relations avec le musicien, essentielles aussi celles-là. Au bout de trente ans d’étude attentive, deux solutions s’offraient à moi : mettre le tout à la poubelle ou écrire un livre. Comme je ne désirais pas faire construire une vielle sans aucune explication (le « Tais-toi et colle », m’est insupportable), j’ai monté un laboratoire d’acoustique appliquée à la vielle. Maintenant je peux argumenter mon choix pour tel chevalet plutôt que tel autre, prouver que sa position longitudinale sur la table d’harmonie intervient dans le timbre des notes émises, proposer l’emplacement optimum, expliquer le rôle des perces… .J’en suis arrivé à justifier la raison d’être de chaque composant dans l’instrument que j’ambitionnais de faire construire. Pédagogue, on ne se refait pas ….

Comment s’est vendu votre livre ?

Près de cent luthiers ont acheté mon livre. Mes recherches les ont confortés dans leur savoir souvent empirique. Je vais bientôt atteindre le millier d’exemplaires vendus et ne rééditerai pas. D’autres projets m’appellent avec force. C’est un grand bonheur de recevoir des mails et des courriers de gens qui ont réalisé leur vielle grâce à mon bouquin, environ un par mois. Mieux d’entendre au téléphone une montée de gamme propre, preuve d’une vielle bien réglée. Aider quelqu’un à atteindre son rêve conduit aux sentiments les plus forts qui soient.

Vous semblez davantage être un analyste qu’un fabricant ?

Oui c’est cela, plus physicien que luthier, plus théoricien que praticien. Je ne suis pas arrivé à la lutherie par la grande porte de la tradition mais par une porte latérale qui est celle de la physique. Je conçois que cette entrée puisse être contesté parce que pendant 400 ans, c’est avec de l’empirisme, des essais, des expérimentations qu’on a fabriqué les instruments de musique. On ne peut pas le nier, le violon s’est construit comme cela et aujourd’hui c’est un instrument abouti, un instrument d’une beauté inouïe, dans tous les sens du terme. Ce n’est pas la physique qui l’a aidée à se construire, c’est bien l’oreille et les millions d’heures d’ateliers des luthiers. On peut dans ce domaine avancer sans la physique, c’est d’autant plus vrai pour l’instrument de musique qui est si proche de l’homme et comme lui se montre instable, changeant, pas toujours très crédible. Cette magie, cette intangibilité, je l’accepte volontiers, il faut qu’elle demeure car je reconnais l’homme dans sa fragilité et le mystère qui l’accompagne. Mais tout de même, ma discipline m’a permis de dire que ce qui a été fait jusqu’à présent peut trouver une explication et une aide dans les lois de la physique.







Qu’est ce qui vous a amené à la vielle à roue en particulier ?

C’est un instrument très mécanique aussi ma condition de professeur de construction m’a poussée vers cet objet très technique. Les jeux fonctionnels dont elle regorge, les mouvements de translation, de rotation, la mécanique appliquée : statique, dynamique, résistance des matériaux, toutes mes technologies en somme y trouvent place. Je me régale, je me roule dedans. J’exulte. Il y a trente ans que je parle d’introduire des roulements à billes dans la rotation de l’axe, d’appeler des composants de l’industrie mécanique, de repenser entièrement le clavier…. Ce n’est pas la musicalité grinçante de cet instrument sorti d’un grenier ou d’un bistrot qui m’a attirée. Je dois le dire. Aujourd’hui c’est différent, le son de la vielle électroacoustique me transporte, m’émerveille. Danseurs, écoutez Rosebud, une création de ma fille Isabelle, si vous ne décollez pas c’est que vous ne savez pas danser. Comment dit-on ? Ça déchire ! Et les luthiers en vielle traditionnelle sont arrivés à un très haut niveau dans leurs prestations tant acoustiques - par l’équilibre des différentes sources sonores - que par la qualité de l’exécution, si je peux me permettre de le dire.

Les goûts musicaux ont également changé ; le rock et le punk ont réintroduit le cri, le grincement et la dissonance dans la musique comme éléments d’expression.

Oui, je suis très ouvert musicalement, mais ce n’est pas forcément ma tasse de thé. Je suis un romantique, je suis plutôt lyrique, épris de mélodie. Mais j’ai aussi besoin d’être secoué. Ce que font un Valentin Clastrier, un Yann Gourdon ne me place pas forcément dans un confort poétique. Mais ils me surprennent, m’étonnent, m’embarquent dans leur univers qui me déséquilibre. L’art est aussi fait pour cela. A skis dans une tempête de neige, l’émotion est stupéfiante.

Que pensez-vous des évolutions musicales liées à l’électroacoustique ?

A mon sens la veille à roue devra son avenir à l’électroacoustique, même s’il faut s’accrocher par ailleurs à la conserver aussi dans sa forme purement acoustique. Enfin les vrais problèmes de cet instrument ont été posés et sont en voie de résolution. J’en parle longuement dans mon roman en cours –Sonate pour un arc en ciel- Je suis un inconditionnel de la vielle électroacoustique qui a fait progresser notre instrument d’une façon incroyable. On n’a pas résolu que des problèmes de sons criards ou acides ou celui de l’équilibre des sources sonores : chanterelles, bourdons, chien, cordes sympathiques… on a aussi simplifié l’appropriation par le musicien lui-même d’un ensemble mécanique complexe. Enfin ! Avec l’électroacoustique, tous ces problèmes d’équilibre sont résolus par le matériel, par cet attirail électronique, la table de mixage et le système de balance de son, qui permet de rééquilibrer les sources sonores ; on peut faire ce que l’on veut, ressortir le chien ou la chanterelle, des effets sonores … Tout cela est possible. Il ne faut pas avoir peur de cet environnement. Nous sommes aujourd’hui.

Après ce livre très technique, vous vous lancez dans la veine romanesque avec un projet que vous définissez comme un « roman musical » dont l’histoire traverse le milieu des musiques traditionnelles. Que raconte t-il ?

Oui, j’ai écrit un roman qui porte sur les musiques traditionnelles et la vielle à roue en particulier. Mais je noie tout ça dans une histoire où il y a de l’amour, de la bagarre, de l’accordéon chromatique. Il y a beaucoup de chant … La vielle devient de plus en plus petite au fil des pages et le chant gagne du terrain. Je ne suis qu’un homme gagné par l’émotion de cet univers musical qui est le mien et je laisse s’envoler ma plume. Avec le livre figurera un CD compilation de nombreux artistes qui correspondra aux différentes ambiances sonores et musicales des chapitres. On retrouvera dans mes personnages des artistes de groupes qui me sont chers : Dédale, Djal, Vach'inton.g… mais aussi Gilles Chabenat, Valentin Clastrier, Gérard Godon, Corinne Renault et quelques vieux airs du Berry pour la partie historique, des sportifs, parmi les plus grands, des danseurs, des chanteurs… Denis Siorat par ses vielles que je porte aux nues.

Vous avez rencontré beaucoup de monde pour rédiger ce roman, avez-vous restitué les interviews telles quelles ou les avez-vous romancées ?

Je me les approprie avec la permission des interviewés. J’ai fait plus de 30 interviews, certains artistes seront faciles à reconnaître et garderont leur prénom. Pour ne parler que de lui, Valentin Clastrier dans mon film, pardon, dans mon roman, c’est le « maître », celui qui chamboule le jeune Jérôme, le héros de l’histoire, un sportif de haut niveau qui vient de subir un accident irréversible. Ce sera un personnage rugueux, emporté et sans réponse. Ses enseignements se liront plutôt dans sa gestuelle, dans son regard … et dans la musique bien sûr. Tout sera dans le non-dit et dans l’atmosphère du moment. Ces musiciens que j’ai rencontrés, je les ai interrogés sur leur cheminement particulier et leur rapport à l’instrument, mais il y a d’autres choses que j’ai aimé explorer, comme leur vécu d’arrière-scène, le trac… Pour l’écriture, c’est phénoménal de parler de ces trois minutes avant la montée des marches qui vous portent à la scène ; les larmes qui viennent aux yeux, l’envie de fuir, l’instrument qui ne va pas partir, les doigts qui sont contractés ou cette nausée sur l’estomac. Je veux écrire cela, ça m’intéresse beaucoup. Tenter de décrire ce qu’une salve d’applaudissements provoque chez l’artiste tout au fond de lui-même. Et puis l’homme qui l’instant d’après se retrouve seul dans la rue, on n’a pas pensé à son casse-croûte, son hébergement a été à moitié résolu… badaboum il retombe. Pour l’écriture, c’est passionnant. Du pain beurré. Me priver de cela, vous n’y pensez pas ! Mon roman est achevé, j’en suis aux corrections et à confier le manuscrit à mes prélecteurs. Courant avril, je pourrai m’enquérir auprès d’un éditeur puis dans un second temps trouver un producteur pour faire de cette histoire une fiction cinématographique qui mettrait en scène ce monde fascinant des musiques traditionnelles, avec en arrière-plan la danse. Et toujours des hommes, des hommes et des femmes. Avis aux amateurs !

Propos recueillis par P.B


Michel Pignol est aussi professeur à l’Ecole de lutherie d’Instruments traditionnels, à la Châtre (36400), Lycée Georges Sand et conférencier à La Passion du bois, Grenoble (38)


Ses ouvrages :

- La vielle à roue. Découvrir, comprendre, fabriquer. Par l’auteur. 2004. 2 tomes, 10 plans. (52 euros)
- Fabriquer un psaltérion. Par l’auteur. 2007. Livret (25 euros)
- Fabriquer son orgue de barbarie. Par l’auteur. 10 plans, 1 CD de photos. 2008
- Roman : A chaque aube, je nais Aux Editions La Société des Ecrivains, 2007. (23 euros)
- Roman musical : Sonate pour un arc en ciel, 2008 (à paraître)



logo CMTRA

46 cours du docteur Jean Damidot
69100 Villeurbanne

communication@cmtra.org
Tél : 04 78 70 81 75

mentions légales

46 cours du docteur Jean Damidot, 69100 Villeurbanne

communication@cmtra.org
Tél : 04 78 70 81 75