33. Pèire Boissière
Chanteur presque malgré lui ...
Entretien avec Pèire Boissière à l’occasion de sa venue à Lyon en mars 2008 pour un stage de chant et un « Thé
musical » au Café De l’Autre Côté du pont.
CMTRA : Dans ton travail d’interprétation
de chants collectés (par toi-même
ou par d’autres), tu sembles privilégier
une approche très proche de la
source, très respectueuse des chants traditionnels
tels qu’ils ont été recueillis...
Bizarrement, quand il m’arrive de réentendre
l’enregistrement de quelque chose
que je chante depuis vingt ans sans être
revenu à la source, je suis souvent surpris.
Je me dis « tiens, là c’est embêtant, il – ou
elle – fait quelque chose que je n’avais pas
remarqué, qui n’est pas dans mon interprétation,
quelque chose qui est très intéressant,
très touchant».
Mais, si les gens ont l’impression que je
y avoir du vrai, et, je l’admets volontiers.
Ce n’est pas vraiment un choix que j’aurais
fait un jour bien consciemment. Ça tient
probablement à mes débuts : pendant de
longues années j’ai chanté sans me rendre
compte de ce que je faisais, sans y réfléchir,
j’étais livré à l’influence de ce que
j’avais enregistré, de ce que j’entendais
répétitivement. Je chantais pour moi sans
savoir comment. Ensuite, en solo face à un
public d’auditeurs, ou pour faire danser,
je faisais ce que je pouvais ; il fallait
d’abord assumer. J’étais alors presque
chanteur « traditionnel » comme ceux que
moi et d’autres avions rencontrés quelques
années auparavant. J’avais chanté, sans
m’en apercevoir, comme ceux, bien plus
âgés que moi, que j’avais entendus ; sauf
que, quand-même, mes références étaient
plus multiples que celles qui avaient été les
leurs. Plus tard, j’ai commencé à écouter
et non pas seulement à entendre, je suis allé
au-delà de la spontanéité des débuts.
Aujourd’hui, vis-à-vis du « traditionnel »,
des collectes, que ce soit les miennes ou
celles des autres, je réagis à ce qui me
touche dans l’instant. Ça peut être une
« bribe » collectée, ou un chant complet
dont les paroles, la mélodie et la voix
m’émeuvent. Je me demande pourquoi
ça me captive, j’essaie de comprendre ce
que le chanteur fait. Souvent je n’y arrive
pas, alors je reviens à l’imprégnation, je
chante ce morceau pendant des semaines,
en réécoutant de temps en temps la source.
Il m’arrive aussi de faire des mélodies, qui sont
probablement de type très « traditionnel ».
Quels choix esthétiques et éthiques ont guidé
ton dernier cd « Margarida » ?
Avec Margarida je voulais montrer ce que
je faisais en solo et je pensais que ce serait
vite bouclé. Mais l’enregistrement s’est
étalé sur quatorze mois. J’ai eu du mal à
me résigner à ne pas chercher encore, à ne
pas changer ce qui pourtant m’avait semblé
solidement établi.
Je n’ai pas vraiment fait de choix esthétique
délibéré ; s’il y en a un, je ne peux pas
le définir clairement Je voulais que ce soit
émouvant, pour moi ; que ça me fasse
quelque chose, au moins par moments, de
la pointe des cheveux jusqu’aux orteils.
C’est lors de cette période de l’enregistrement
que je me suis rendu compte que tous
les textes associés avaient une certaine
cohérence, qu’ils parlaient, finalement.
Que ça parlait un peu de tout, de l’humain
comme peu de chose et comme le contraire
de peu de chose.
Tu chantes essentiellement en occitan
et maintenant tu t’intéresses au
francoprovençal… Pourquoi ces
chants en langue régionale t’intéressent-
ils particulièrement ?
Pourquoi je chante en occitan ? Je ne peux
pas répondre. Pourquoi un turc parle turc ?
C’est mon histoire personnelle qui l’a
voulu. Ce n’est pas en tout cas parce que
l’occitan serait dans la catégorie des
langues dites régionales (rationnellement
je conteste cette classification, mais, plus
important, je ne sens pas de différence,
pour ce qui est du chant). Je chante aussi
en français, d’ailleurs, et pas que du traditionnel
(j’aime bien Bobby Lapointe). Et
aussi en espagnol (castillan), en catalan,
langues auxquelles mon histoire a donné une
place dans ma culture.
Dans l’occitan chanté et parlé, je m’intéresse
aux variantes dialectales, je ne sais
pas trop pourquoi. Peut-être la nécessité
que nous avons tous (?) de nous réjouir de
ce qui n’est pas uniforme, mais aussi de
se rassurer avec l’unité. Ça me fait plaisir
de chanter aussi bien dans le gascon le plus
typé, ou dans le vivaro-alpin du nord de
l’Ardèche, que dans mon parler du Haut-
Agenais. Tout ça est ma géographie, mon
imaginaire.
Peux-tu nous parler du stage que tu vas
donner à Lyon les 15 et 16 mars prochains
? Tu vas notamment aborder
des chants collectés par Sylvette
Béraud-Williams en Ardèche et à
Rive-de-Gier par Jackie Bardot… ?
J’aime bien transmettre ce que j’ai découvert
il n’y pas trop longtemps et que j’ai
l’impression d’avoir assimilé (au moins
provisoirement), à ma façon. Dans les collectes
diverses publiées concernant la zone
dialectale vivaro-alpine de l’occitan, j’ai
trouvé des choses qui me plaisaient, et qui
ne sont guère chantées actuellement, me
semble-t-il. Il y a de l’occitan dans ce
répertoire, mais aussi du français. Vocalement,
j’y ai rencontré une esthétique différente
de celle de l’Ouest occitan. L’ornementation
y joue un rôle moins important
; le chant assure sa présence et sa force
d’une façon qui peut paraitre plus simple,
mais qui est très prenante, et qui n’est pas
forcément facile à assimiler. Ça m’intéresse
de transmettre, ce que j’ai ressenti et
compris de cet art vocal.
L’altérité linguistique m’intéresse, et il y a
des choses qui m’ont plu vocalement dans
la collecte publiée sur Rive-de-Gier. C’est
pour cela que j’ai proposé d’inclure un
chant de ce répertoire dans ce stage.
Propos recueillis par Y.E.