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6. Carolan's Dream

Entretien avec Franck-Emmanuel Comte, directeur artistique du Concert de l’Hôtel Dieu, co-créateur avec le groupe Garlic Bread du projet Carolan’s Dream. Quand le violon, les flûtes et le bouzouki irlandais trad’ rencontrent le clavecin et la viole de gambe…



CMTRA : Vous avez arrangé les compositions de Turlough O’Carolan, harpiste né en 1670 et vous avez décidé pour interpréter ces oeuvres de travailler avec un groupe de la scène traditionnelle qui joue le répertoire irlandais, pourquoi ?

Quand j’ai trouvé ces partitions, notamment le manuscrit de Dublin, elles m’ont paru ambiguës, il y avait plusieurs façons de les aborder. Elles avaient un côté baroque mais aussi une couleur trad’ : des reels, des gigues trad’, mais avec un langage mélodique proche de la musique savante de cette époque là, avec l’emploi des notes sensibles et des formes classiques (concertos, thèmes et variations, rondeaux). Pour rendre compte de cette musique il fallait créer un instrumentarium lui aussi ambigu , je ne voulais pas prendre un parti clairement baroque ou clairement traditionnel. Les versions traditionnelles de Carolan sont légions, je voulais apporter une point de vue plus baroque, qui n’est pas prédominant dans ces partitions pour harpe seule, avec le concours de musiciens traditionnels.

Comment avez-vous rencontré ce compositeur ?

Par hasard. Nous travaillons plutôt sur le pourtour méditerranéen, je ne suis pas du tout spécialiste de la musique celtique, par contre j’ai beaucoup travaillé la musique anglaise : Purcell, contemporain de Carolan. Ce qui a attiré mon regard, c’est la pièce Faery Queen de Carolan car je venais de monter l’opéra Faery Queen de Purcell, j’ai écouté cette pièce qui m’a paru charmante et j’ai eu envie de creuser autour de ce compositeur.

Vous avez choisi Garlic Bread ou vous avez construit le projet ensemble ?

J’ai choisi le Garlic Bread pour monter le projet. J’avais besoin de musiciens pour mener ce projet et j’ai cherché. J’ai découvert le Garlic Bread dont j’ai apprécié le talent tout de suite. Je fonctionne toujours comme ça, j’ai une idée de thématique ou de rencontre et je me mets en chasse de collaborateurs. Au départ je voulais plutôt recruter des individualités, un chanteur, un guitariste et finalement je suis tombé sur un groupe constitué, un collectif qui marchait bien.

C’est Carolan qui a écrit les paroles que chante Sandrine Burtin ?

Pas toujours, chaque chanson a son histoire. Parfois il récupère des paroles et écrit la mélodie et quelques fois c’est le contraire, il est interprète, auteur, adaptateur, arrangeur, selon les cas de figure. Pour « Miss Mac Dermott », il écrit le thème et le texte en gaélique, en honneur à cette dame. Cette chanson du patrimoine gaélique a été récupérée par les Anglais, elle est devenue « l’Arethusa », une chanson anti-français très patriotique avec des paroles réécrites ultérieurement en anglais. Sur « When She Cam Ben », Carolan reprend un thème écossais et les paroles anglaises. Ses chansons ont tourné entre l’Irlande, l’Angleterre et l’Écosse. Ces mélanges et ces ambiguïtés s’expliquent aussi parce que Carolan a été un pont entre deux mondes : le monde gaélique dont il était issu et celui des occupants anglais, ses mécènes et patrons, chez qui il rencontre la musique baroque et les musiciens italiens.

Pourquoi Carolan’s Dream ?

Ah ! tout d’abord c’est le nom d’une chanson très poétique, enregistrée à la viole de gambe, qui clôt l’album. Mais aussi parce qu’on s’est dit que le rêve de Carolan pouvait être plein de chose, dont un rêve de mélange de mondes musicaux et culturels, ce qui représentait bien le projet de l’album. Puis Carolan, musicien aveugle et itinérant a plus de rêves dans la tête que d’autres, cet univers qui l’entoure, de mythes, de légendes est très proche du rêve. Enfin ce sont des suppositions, mais ce n’est pas un album scientifique, on peut se permettre de surfer sur cet aspect poétique librement.

Certaines créations ont-elles nourri votre réflexion ?

Non pour Carolan je suis parti de rien. Je ne m’inspire pas de ce que font mes collègues. J’ai plutôt pour habitude de travailler sur des archives sonores, ou je pars collecter moi-même, ce que je n’ai pas fait pour Carolan, mais les Garlic eux sont allés souvent en Irlande, ils avaient leurs habitudes, et leur manière de vivre ce répertoire. Nous nous sommes réparti la tâche : parfois je faisais l’arrangement, parfois c’était eux et parfois ensemble. Donc certaines pièces partent dans des directions très différentes, même parfois jazzy. On a laissé le projet partir dans différentes directions, je l’ai laissé déraper, on entend même des crotales que le percussionniste frotte avec un archet de violon etc…

Vous avez d’autres projets avec les musiques trad’ ?

Oui, j’ai deux projets dans des univers très différents : un spectacle autour d’un capitaine de flibuste de la fin du 17e siècle nommé Borgne-Fesse, encore un métissage entre des instrumentistes trad’(chants de voyage, de marins, de malouins, de Nouvelle France, du Québec), début 18ème, avec une composante baroque. Nous allons aussi travailler avec le percussionniste Kevan Chemirani autour d’un axe Naples et l’Orient.

Propos recueillis par F. Morel



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