Entretien avec Jean-François Braun, ex-directeur du Brise Glace, scène de musiques actuelles d’Annecy, actuel
directeur de La Source, équipement culturel en cours de construction à Fontaine et « membre historique » du réseau musiques actuelles (Fédurock...).
CMTRA : En posant la problématique de
la diffusion des musiques traditionnelles,
on se demande pourquoi elles ne sont pas
davantage présentes dans les SMAC sans
procès d’intention bien évidemment.Qu’en
penses-tu ?
La problématique est posée de façon très sectorielle.
Et ce qui me gêne souvent lorsqu’on
raisonne par approche musicale, c’est qu’on
juxtapose trop ces familles, en les considérant
comme étanches. En tant que gestionnaire
de lieux, je ne les considère pas comme
étanches. Bien entendu, je peux me poser des
questions d’ordre esthétique, mais je ne me
suis jamais dit « il faut absolument que je
fasse du jazz, il faut absolument que je fasse
des musiques traditionnelles ». Je réagis par
rapport au territoire sur lequel je travaille, en
tenant compte de sa géographie, ses publics,
ses enjeux sociaux ou autres. Tout projet,
artistique, culturel ou autre, est singulier, mais
doit se nourrir de son territoire et entrer en
résonance avec lui. C’est fondamental. A
Annecy, un long travail de recherches historiques
et sociologiques avait été mené pour
situer les acteurs. Sur la construction du projet
à Fontaine, où l’on est en préfiguration, le
travail de repérage et d’identification des
musiciens, des pratiques artistiques et musicales
sur le territoire est engagé différemment.
On travaille avec un collectif d’artistes
(La Forge) sous forme de collectages sonores,
de portraits, ou autres, recueillis auprès de
tous types d’acteurs qui vont de la batterie
fanfare à l’école de musique ou au groupe de
rock, des traditions orales ou écrites, … Une
artiste peintre travaillera elle sur du collectage
de photos d’identité de
musiciens de tous âges, de
tous milieux et puis à partir
des collectages, de tous
les supports et de tous les enregistrements,
l’idée sera de constituer un répertoire, un
orchestre et des temps de restitution.
Quand on souhaite travailler sur un objet
musical X avec cette nécessité de résonance
sur son territoire, c’est un système global
qu’on va interroger et mobiliser le cas échéant
: la pratique amateur sur cet objet X, et donc
les possibilités de formation, les acteurs professionnels,
etc… Sur Annecy par exemple,
les opérations dans le secteur des musiques
traditionnelles, notamment de sensibilisation,
étaient rendues possibles par le biais, à
l’époque, de l’école nationale de musique et
d’autres structures d’enseignement. « On ne
fait pas pour faire, on n’organise pas un spectacle
pour organiser un spectacle ».
Et puis, un projet artistique se nourrit également
en fonction de la nature de ton lieu. Sur
le Brise-Glace d’Annecy par exemple, les
choix de configuration du lieu ont répondu à
la question initiale : Comment traiter les
musiques amplifiées ? , puisqu’elles étaient
les moins bien loties à l’époque. La question
d’amplifier certaines musiques traditionnelles
n’est sûrement pas évident pour toutes…
C’était sur une approche essentiellement
technique que s’est faite le bâtiment. De ce
point de vue, on ne diffuse pas de la même
façon selon une configuration de salle, son
acoustique, sa jauge, … C’est là une réalité
essentielle à prendre en compte et tout ceci
contraint plus ou moins et explique que certaines
musiques s’y retrouvent plus que
d’autres. C’est aussi la raison pour laquelle je
suis partisan des lieux modulables, pour être
en capacité d’alterner petits et grands formats.
Al’époque au Brise Glace, j’avais beaucoup
insisté pour qu’il y ait un petit club synonyme
de proximité, avec moins de lourdeurs techniques,
On y a fait de belles choses, dans des
formats scéniques réduits, avec Eric Montbel
ou l’Arfi notamment, … Mais j’ai eu beaucoup
de mal à défendre cet axe du projet,
faute de réelles marges artistiques. Je les ai
tenues deux saisons, puis on m’a dit : « tu es
bien gentil avec ça… mais on arrête. » Il n’était,
pour un financeur, pas justifiable de faire un
concert pour cinquante personnes dans un équipement
qui peut en compter dix fois plus.
Penses-tu que les musiciens de ces esthétiques
ne vont pas suffisamment frapper
à la porte des équipements présents sur
leur territoire ?
Je ne sais pas si on peut généraliser. Peutêtre
que du côté des SMAC au sens de complexes
tels que le Brise Glace, les musiciens
de ces secteurs ne viennent pas spontanément.
Sur des projets pensés et implantés différemment,
je suis persuadé qu’ils viennent.
Je distingue certains projets de type urbain. A
mon sens, un projet situé dans un grand bassin
de vie a plus de chances d’être spécialisé
et d’avoir d’autres lieux
autour de lui qu’un lieu
sur un territoire un peu
plus isolé et qui verra
converger beaucoup plus de demandes différentes
parce qu’il est seul.
Sur l’agglomération d’Annecy, nous nous
étions un peu partagés le territoire avec quatre
équipements de spectacle vivant (Bonlieu
scène nationale, l’auditorium de Seynod, le
Rabelais et le Mironton de la MJC de Novel).
Il y a donc des esthétiques auxquelles je me
suis interdit de toucher parce que je considérais
que c’était le rôle des autres. Sur certaines
musiques traditionnelles, on s’était dit à un
moment : « Tiens, un cycle se met en place à
l’auditorium de Seynod, faisons tout pour le
défendre, pour qu’il soit seul à ce moment-là,
qu’il n’y ait pas de confusion et pour que le
public se retrouve dans ses propositions. » De
mon côté au Brise Glace, quand j’ai travaillé
sur les musiques traditionnelles, je l’ai plus
fait en dehors de ma saison, sur des temps où
j’étais partenaire avec d’autres. Là, on a vraiment
mis des cycles en place en proposant
des esthétiques que je ne faisais pas dans l’année
ou que je ne pouvais pas faire dans la
configuration du lieu. Cela a notamment été
le cas du plein air avec Bonlieu autour de programmations
d’été (cycle afro-cubain, bals,
fanfares…).
Selon toi, il n’y a pas de freins d’ordre
idéologique ou conventionnel de la part
des directeurs d’équipements de type
SMAC…
Moi personnellement, je n’en ai pas ! Après,
quelle est la culture musicale des programmateurs
? C’est une autre question. Ne négligeons
pas non plus l’aspect économique :
programmer certaines musiques du monde
est hors de portée de nombreux lieux. Cela
soulève aussi une autre problématique,
puisque le programmateur ne programme pas
pour lui, c’est celle de la découverte : comment
faire découvrir des choses ? C’est dur à
faire, d’autant que ce n’est dans l’esprit du
temps. Est-ce que ça l’a jamais été ? me dira
t’on. Même quand tu annonces un concert
gratuit, s’il n’y a ni sens, ni résonance, ni
médiation pour montrer aux gens que ça n’est
pas dévalorisant d’aller découvrir un style
ou voir quelqu’un qui n’est pas connu, cela ne
fonctionne pas. Cette question en entraîne du
coup beaucoup d’autres et notamment : jusqu’où
peux tu aller en termes de prise de risques
avec un budget forcément très contraint ?
Je crois surtout que c’est de plus en plus dur
de créer des rencontres. Il en va de même
pour le musicien qui cherche à se faire
connaître d’un lieu ou d’un programmateur.
Il a aujourd’hui tout intérêt à imaginer des
manières de s’en rapprocher par des biais qui
font sens au delà du simple envoi d’un disque
et d’un dossier.