Nuit des cultures
Entretien avec Martial Pardo
Le 12 mai prochain aura lieu
la Nuit des cultures, organisé
par l'Ecole Nationale de
Musique de Villeurbanne au
TNP.
Entretien avec Martial
Pardo, directeur de l'ENMV.
CMTRA : Martial Pardo, vous êtes à
l'initiative de la Nuit des cultures,
soirée musicale qui aura lieu le 12
mai prochain au Théâtre National
Populaire de Villeurbanne.
Comment est né cet événement et
comment s'inscrit-il dans le projet
de la structure que vous dirigez,
l'Ecole Nationale de Musique de
Villeurbanne ?
L'idée est de valoriser les artistes des
différentes cultures qui se côtoient
dans la cité (et notamment celles de
l'immigration), et de montrer ainsi que
cette cité est déjà par son histoire un
conservatoire, de par les trésors qu'elle
accueille, génère, retransmet, risque de
perdre parfois et tente sans cesse de
restaurer et d'inventer.
Le lien avec l'Ecole Nationale de
musique est simple : si la cité est en
elle-même un conservatoire multiculturel,
l'école de musique doit être à
l'image de cette diversité, et faciliter
les échanges, les rencontres. Elle est à
la fois segment de cette diversité et
catalyseur potentiel vers un interculturel
plus conscient, mieux assumé.
Lors de la Nuit des cultures, c'est tout
naturellement que des artistes / enseignants
de l'école de musique côtoient
les artistes professionnels ou amateurs
rencontrés "hors ses murs".
Quelle orientation donnez-vous à
cette édition ?
Depuis deux ans, nous construisons les
Nuits des cultures sur un thème : "les
rythmes du monde" l'an dernier, "la
voix dans les répertoires populaires du
monde" cette année. Jusqu'ici, les
Nuits se consacraient presque exclusivement
aux musiques et danses des
cultures issues de l'immigration.
Cette
dimension est toujours présente mais
le fil conducteur du thème permet
désormais d'ouvrir la scène à des
esthétiques plus variées allant des
musiques anciennes jusqu'aux cultures
urbaines d'aujourd'hui : tous ces
moments de l'expression humaine puisent
dans le substrat des traditions et
des frottements interculturels entre
savant et populaire, entre l'identitaire
et l'altérité.
Pouvez-vous nous parler des chanteurs
et des cultures qui seront
représentés ?
Le hasard des rencontres donnera une
couleur assez européenne à cette Nuit
consacrée à la voix : une Europe à la
fois taraudée par ses mémoires et ses
fractures et ouverte au-delà de ses
détroits.
Ainsi se succéderont le flamenco
avec Miguel della Torre, le
rebetiko du groupe To Gledi, chavirement
musical entre les deux rives
grecque et turque, le chant Yiddish du
groupe Dibouk, narration musicale
d'un monde enfoui mais toujours
vibrant, les chansons de Pierre Mac
Orlan et de Kurt Weil (interprétées par
Aurélie Négrier et Anne Fromm), revisitant
la même sève populaire par-delà
les frontières et les mers, les mélopées
berbères, soyeuses et ciselées, remémorées
par les femmes de l'association
Awal, ou encore (des femmes toujours)
Evelyne Girardon et le groupe
"Embarquons-nous" témoignant de la
vitalité du chant traditionnel français.
Le rap de FRVsens pulsera ses dires
sur les violoncelles de la musique
ancienne et quelques surprises viendront,
je l'espère "gromeler" et "slamer"
le déroulement de la soirée !
Je remercie le CMTRA (et plus spécialement
Yaël Epstein) pour les belles
rencontres avec Emeri dans son restaurant
de la Guillotière et avec l'association
Awal.
C'est un vrai défi que de demander
à des musiciens amateurs qui ne se
sont parfois jamais produits sur
scène de se présenter dans une salle
de 700 places... Quel accompagnement
et quel dispositif avez-vous
mis en place pour rendre cela
possible ?
Tout d'abord, de nombreux artistes
invités lors des Nuits des cultures sont
de brillants professionnels. D'autres se
situent "socialement" comme amateurs
car ne vivant pas de la musique,
mais témoignent d'une ferveur et d'une
présence en public dignes de professionnels.
Ceci dit, passer sur une scène
telle que le TNP est à la fois valorisant
et...impressionnant ! A nous de
les accueillir le mieux possible, sur le
plan technique bien sûr mais surtout
sur le plan humain.
Cela commence
bien en amont par des rencontres au
cours desquelles nous pénétrons dans
l'univers de chaque groupe et nous
expliquons le sens de l'événement.
Cette familiarisation mutuelle permet
aux groupes de faire les bons choix
pour préparer leur passage et à nous,
de mieux les présenter au public qui,
l'expérience le montre, sait alors réserver
un accueil fin et chaleureux à tous,
du plus "fragile" au plus confirmé.
D'ailleurs, pourquoi le TNP pour
la Nuit des cultures ?
Il y a "populaire" et "national" dans
"TNP", il y a ce geste fondateur qui
voulait une culture de qualité offerte
au plus grand nombre : autant de
signes dans lesquels une école nationale
de musique, engagée passionnément
dans ses missions de qualité,
d'ouverture et de démocratisation, ne
peut que se reconnaître ! C'est pourquoi
nous avions proposé il y a 6 ans
d'y situer la Nuit des cultures, qui a
justement pour but d'éclairer, dans la
proximité d'une ville, la diversité française
où les notions de peuple et de
nation sont des enjeux toujours en
question.
Je remercie particulièrement le TNP
pour son aide. C'est tout à l'honneur de
son équipe que d'accueillir et de soutenir
une telle manifestation, rendant
accessible un lieu prestigieux à des
talents si proches et souvent si méconnus,
ainsi qu'à un vaste public villeurbannais
et bien au-delà.
Propos recueillis par Y.E.