Répliques
3ème album de Djal
Entretien avec Jérémie Mignotte, flutiste du groupe Djal, à l'occasion de la sortie de leur 3ème album.
CMTRA : Après deux albums live, Djal sort un nouveau CD, entièrement enregistré en studio. Qu'est ce qui a motivé ce choix ?
J.M. : Les deux premiers albums de Djal, enregistrés en public, correspondaient bien à la dynamique du groupe, à sa démarche artistique dans sa première période. On est avant tout un groupe de scène, mais pour le troisième disque, on a eu envie de travailler en studio, et cela pour plusieurs raisons.
D'abord parce que le groupe ne se voyait pas enregistrer un troisième live de suite ! On a eu de saines envies de changement de méthodes d'enregistrement, et aussi de son bien sûr.
Ensuite parce que Djal n'avait jamais eu cette expérience-là et qu'on sait tous, pour l'avoir éprouvé individuellement et par ailleurs, que c'est un travail qui fait progresser un groupe collectivement et qui permet d'en consolider les acquis. Enfin, il y a aussi une raison majeure liée à l'évolution de notre répertoire qui se prête beaucoup plus, à mon sens, à ce type de travail.
Le premier album était essentiellement composé de morceaux qui ont été rodés sur scène pendant près de dix ans. C'était une mise à plat de nos tubes de cette période, aux structures
relativement simples, voire « djaliennes » : tous ensemble, tout le temps, et à fond ! (une belle époque aussi !). Le second disque correspond à une deuxième génération de morceaux, toujours dans la même lignée, mais déjà légèrement plus arrangés et avec des compositeurs plus variés. Dans ce troisième album, le répertoire est différent dans la mesure où il est
extrêmement polyphonique, c'est-àdire que la plupart des morceaux sont très écrits, à plusieurs voix, ce qui n'est pas du tout le cas des deux premiers. Donc en ce sens ça change beaucoup, et le travail en studio nous permet de mieux traiter toutes les voix, de prendre le temps d'enregistrer au propre chaque partie et d'être beaucoup plus précis et exigeants avec
nous-mêmes, ce qui n'est pas peu dire dans le groupe !
Comment et avec qui avez-vous travaillé ?
Concrètement, avec Daniel Saulnier aux manettes pendant les enregistrements, on a fait plusieurs prises de chaque morceau, beaucoup réécouté, choisi une version de base, enregistré par-dessus les parties qui nous semblaient importantes à refaire où à rajouter, et le soir on procédait déjà aux montages. Tout a donc été fait dans la foulée, morceau par morceau, à raison d'un morceau par jour en moyenne.
Au niveau du mixage final, on a voulu que le disque sonne assez large. Il y a beaucoup de voix - on est sept et des fois il y a sept voix ! - et pour que tout ça sonne bien dans une paire d'enceintes stéréo, il a fallu pas mal travailler sur la largeur du spectre et la spatialisation, ce qui n'était pas rien vu la richesse des arrangements. Ce travail d'orfèvre a été réalisé par les
oreilles magiques de Pascal Cacouault et des pénibles djaleux qui le guidaient en cabine !
Comment composez-vous ? Qu'est ce qui différencie cet album des deux premiers au-delà des polyphonies?
Nous avons deux grandes lignes d'approche. Dans la première, les compositeurs apportent un morceau finalisé, avec l'arrangement, toutes les voix écrites précisément pour chaque instrument, et la structure plus ou moins définitive. C'est le cas des compositions de Stéphane Milleret et de Jean Banwarth notamment. D'autres compositeurs, comme Daniel Gourdon, amènent la ligne mélodique seule et on trouve l'harmonie, la structure et les arrangements tous ensemble en répétition. Il n'y a pas une méthode mieux que l'autre, simplement un travail différent et par-là même complémentaire. Il y a donc deux types de morceaux et je pense qu'au final, ça s'entend.
Ce qui tranche aussi par rapport aux disques précédents, c'est l'arrivée d'un nouveau musicien, Sébastien Tron, qui a remplacé Yann Gourdon à la vielle, il y a deux ans. Il a apporté plein de choses, un autre son, une autre manière d'utiliser l'instrument, dans une direction tout aussi moderne, mais différente. Ça a un peu changé la couleur. Il joue aussi du dounounba, une percussion africaine traditionnelle sur un rondeau. Il y a d'ailleurs plusieurs
instruments nouveaux sur ce disque : Christophe Sachettinni joue beaucoup
de cajón , Stéphane improvise à l'accordina, Jean a sorti sa guitare open tuning et une douze cordes, Daniel utilise aussi le violon électrique et Claude Schirrer joue même un peu de guitare ! D'autres au contraire ont disparu, comme l'épinette, la bombarde ou encore le djembé.
Est-ce que ces changements sont liés à une évolution de votre démarche artistique, des orientations générales du groupe ?
Globalement, la ligne de base reste la même, c'est de la musique à danser, du bal folk. Maintenant Djal ne joue pas de la « musique traditionnelle» au sens où il ne s'agit pas de reprises de morceaux du « répertoire » mais exclusivement ses propres compositions. C'est un groupe de création. Notre démarche c'est toujours le bal folk en perpétuelle réinvention, c'est l'invention de notre propre folklore. Pour ce troisième album, le groupe a franchi un pas du fait de la place donnée à l'écriture, aux arrangements qui sont d'une grande densité, et au final, ça s'écoute comme du concert.
Par rapport au premier disque où c'est pratiquement de l'unisson tout le temps, avec des thèmes tout droits, là il se passe constamment quelque chose, une ligne mélodique nouvelle, une partie en plus ou encore un contrechant. Mais évidemment, c'est toujours
joué avec la même énergie « Djalienne» !
Dans le cadre du bal folk, quel type de danses abordez vous et où pensez vous vous situer dans les musiques traditionnelles et par rapport au public ?
On a continué plus ou moins consciemment à puiser dans les différents rythmes des danses traditionnelles françaises. Il y a une part de répertoire « breton-rhônalpin » avec notamment un pilé menu, sinon c'est assez standard : chapeloise, valse, bourrées, mazurkas etc... On a aussi une scottish marathon de huit minutes, une polka funky truffée de riffs subliminaux
et un rond de Saint-Vincent qui vire en « farelquesh », une danse mystérieuse colportée par Yves Perrin et dont les origines restent encore à découvrir ! Et puis il y a toujours une part d'improvisation relativement importante.
Pour ce qui est de se situer dans les musiques traditionnelles, on est toujours confronté aux mêmes problèmes et ça dépend aussi des publics justement. Pour le « grand public », si on
fait un morceau qui sonne un peu irlandais on va nous dire « c'est celtique ! ». Une autre fois on m'a dit que ça faisait penser à du Yann Tiersen !
Les références du grand public sont vraiment très variables et très différentes... Pour les « connaisseurs », on est catalogué ni celtique ni occitan, ni rien. On ne sait pas où on se catalogue nous-même d'ailleurs... Si par exemple on va jouer notre plinn en Bretagne, on court le risque de se faire lapider à coups de bombarde, alors que si on le joue sur une scène de musique
actuelle, ça va sonner trop trad. Dans
le Centre, nos bourrées trois temps risquent
de ressembler à des valses, et si
on joue un rondeau dans le Sud
Ouest... que sais-je encore ?! Ça
n'empêche pas pour autant qu'à l'intérieur
de Djal, on soit bien calés sur
toutes ces traditions musicales. Mais
on n'a pas l'impression de les dévergonder,
on ne fait que les emmener un
peu ailleurs, avec notre culture de
l'oral et de l'écrit, de l'harmonie, de
l'arrangement et de toutes les
musiques que l'on écoute individuellement...
Comme beaucoup de
groupes aujourd'hui d'ailleurs !
Qu'en est-il de vos espaces de diffusion?
Dans le contexte économique et politique
actuel, le marché de la culture
s'est terriblement réduit. C'est d'autant
plus vrai que nous sommes un
groupe nombreux, qui a une démarche
professionnelle, et donc qui coûte cher.
On est sept musiciens, on travaille
avec deux ingénieurs du son (Daniel
Saulnier et Thierry Ronget) et un
régisseur de tournée. Tout ça fait un
paquet de monde à salarier et au final,
ça représente un certain budget. Aussi,
les lieux de diffusion qui nous accueillent sont très souvent des festivals
ou des associations qui organisent
une soirée événementielle. De plus,
Djal peut très bien se produire dans
un Centre culturel, devant un public
assis, dans une forme plus concertante.
On a un répertoire suffisamment riche
pour cela maintenant. Mais on a toujours
un côté un peu rock qui nous permet
également de jouer dans des salles
de musiques actuelles. Alors on va
continuer à essayer de pénétrer ces
milieux-là parce qu'on est certains d'y
avoir notre place, mais la réalité du terrain
est complexe.
Quelles sont donc les perspectives
du groupe à court terme ?
Il y a donc déjà une dynamique autour
de la sortie du disque et on va pas mal
jouer à partir du mois de mars. Nous
serons notamment dans plusieurs festivals
importants cette année :
Bruxelles, St Chartier, Rodez....
On sort aussi un second recueil de partitions
pour ce troisième album, disponible
en même temps que le CD, et
contenant également quelques titres d'
« Extra Bal », notre deuxième live. A
se procurer d'urgence !
Enfin, nous avons un gros projet avec
le chanteur Gérard Pierron, ses propres
musiciens et le groupe Kordévan.
C'est un travail autour de chansons
choisies par Gérard, à lui ou d'autres
auteurs, réarrangés par les deux
groupes. Un double album devrait être
prochainement enregistré et sortir chez
Harmonia Mundi. Une tournée régionale
pour cet automne devrait également
se mettre en place...
Propos recueillis par J.M.