Crise de l'intermittence, crise de la démocratie
Président du Collectif des
Professionnels en Musiques et
Danses Traditionnelles, Jean-
François Vrod nous présente
cette organisation, évoque les
problématiques du secteur et
pointe l'urgence de débattre
autour de la notion de culture
dans notre pays.
CMTRA : Le CPMDT a été créé
suite aux événements de 2003 qui
ont gravement secoué le milieu de
la culture. Quelle idée a précédé
la création de ce collectif ?
J.F.V. : Pour la première fois à ma
connaissance, à l'occasion des actions à
propos de l'intermittence du spectacle,
des musiciens professionnels du
secteur des musiques traditionnelles se
sont réunis à une même table pour
réfléchir à des actions communes et
ceci, en dehors des questions artistiques,
historiques ou géographiques
qui avaient plutôt contribué à les
éloigner qu'à les rapprocher jusqu'à
présent.
Nous avons constaté que nous
avions beaucoup de choses à nous
raconter, au-delà des seules questions
relatives au statut. L'été fini, nous
avons continué à échanger et à réfléchir
à travers ce collectif.
Quels acteurs ce collectif fédère-t-il
? Autour de quel projet ?
Suite à notre rencontre nationale de
2004, un manifeste a été rédigé puis
signé par 70 personnes (musiciens,
structures, associations, diffuseurs ou
journalistes). Ce document dresse un
état des lieux critique du secteur des
musiques et danses traditionnelles et
à travers cela, de la place qu'y
occupent les artistes professionnels.
Le CPMDT réfléchit sur la spécificité
et les fondamentaux de nos pratiques
artistiques ainsi que sur les formes de
diffusion de ce travail.
Ainsi, pour
2006, le collectif a programmé des
réunions thématiques autour de
plusieurs sujets : repérage des lieux de
diffusion, rédaction d'une charte du
diffuseur, partenariat, aide au projet,
formation professionnelle, production.
La rencontre 2006 abordera le rapport
musique-danse ainsi que les relations
entre musiques du monde et musiques
traditionnelles françaises.
Quel regard portez-vous aujourd'hui
sur les problématiques des
carrières d'artiste, de la professionnalisation
et de l'aide à la
création dans notre secteur ?
L'idée qu'il y ait des musiciens
professionnels dans les musiques
traditionnelles ne va pas de soi pour
tout le monde ! C'est d'ailleurs une
raison qui a contribué à l'émergence
du collectif. Sans en re-débattre ici,
l'histoire a parlé : que seraient aujourd'hui
les musiques traditionnelles sans
le travail du secteur professionnel en
étroite relation avec celui de la
pratique amateur ?
Par ailleurs, personne ne peut dire
aujourd'hui ce qui restera du paysage
culturel de ce pays ne serait-ce que
dans les 5 ans à venir. Les mutations
sont bien plus rapides que tout ce que
l'on avait pu imaginer. Chacun d'entre
nous a acheté une petite pelle et creuse
sa tranchée aussi vaste et confortable
que possible ! Nous pensons l'avenir
plutôt en termes de survie qu'en
termes de développement.
Mais s'il faut parler de création, nous
sommes prêts, alors parlons-en. Il
suffit pour cela de poser quelques
questions simples : Où va l'argent
public ? Qui est aidé ? Dans quelles
proportions ? Pourquoi ? Le pouvoir
politique a répondu à ces questions,
mais comme nos petits camarades,
nous allons poursuivre la lutte pour
pouvoir continuer à exercer nos
métiers dans les meilleures conditions
de création et de diffusion.
Qu'est-ce qui vous semble aujourd'hui
le plus urgent à défendre ?
Le laxisme avec lequel l'Etat traite
depuis 3 ans la question de l'intermittence
confirme la nécessité de redonner
sens au mot culture dans le débat
public. Peut-on cesser de parler du
coût de la culture pour évoquer aussi
ce qu'elle (r-)apporte ?
Depuis
longtemps, elle génère du lien social,
de l'activité économique, des représentations
du monde contemporain,
des repères identitaires... Peut-on
décemment accepter comme seuls
projets culturels diffusés, ceux de la
culture commerciale ?
C'est bien
l'absence totale de projet politique
pour la culture qui pose question.
Alors soit la gravité de la situation
arrive à déclencher un réel débat
auquel s'associent tous les maillons de
la chaîne, soit...
Dans ce travail, nous pouvons apporter
notre réflexion sur les questions qui
agitent le monde contemporain :
quelles relations existent entre un
individu, son espace de vie, son
histoire, sa culture et le reste du monde ?
Comment font-elles sens dans le
développement de chacun et dans sa
compréhension du monde ? Et cela,
nous pouvons le faire sans exclusion,
ostracisme ou dérive folklorisante
identitaire, notre pratique artistique
nous ayant conduit depuis bien
longtemps, à comprendre l'impasse de
telles postures.
On peut aussi s'interroger sur les
modes opératoires les plus efficaces
pour être entendu. Sur la gestion de la
crise de l'intermittence, aux solutions
proposées nous a répondu un grand
silence. Il ne s'agit plus seulement de
proposer, il faut savoir maintenant
comment se faire entendre. C'est la
question du fonctionnement de notre
démocratie qui est posée, ni plus, ni
moins.
J.S. E. d'après les propos recueillis
auprès de Jean-François VROD